Dans l’histoire de Batman publiée en avril 1940 dans DETECTIVE COMICS, National Comics (devenu DC Comics) introduit le personnage de Robin, le jeune prodige, premier membre de ce qui allait s’avérer une longue lignée de super-associés. On pensait à l’époque que ce jeune compagnon de jeux attirerait davantage les lecteurs de comics que la figure parentale du héros adulte parce que ces fameux lecteurs s’identifieraient plus facilement à quelqu’un de leur âge.

N’importe quoi !
En tant que jeune lecteur, je détestais ces jeunes sous-fifres. Comment aurais-je pu, moi, le lecteur de comics, en léger surpoids et allergique au sport, m’identifier à un de ces gosses qui escaladent les feux de signalisation et réussissent des triples sauts périlleux tout en débitant des bons mots ? J’avais l’âge de ces personnages mais je savais ne jamais pouvoir être comme eux. Par contre, le héros adulte représentait un but que, dans mon délire de fan, j’imaginais pouvoir atteindre.

En outre, à dire vrai, je détestais la façon dont ces jeunes héros étaient dessinés, c’est-à-dire petits. Très petits. Tels des lilliputiens. Les gosses DC : Robin, Kid Flash, Aqualad, Speedy, etc. paraissaient tous arriver à peine au nombril des héros. Donc, quand ils seraient adultes, ils atteindraient quoi ? Un mètre trente ? C’est clair, ils me faisaient peur.

De plus, les gosses ne se comportaient pas comme mes amis et moi. Ils parlaient dans un vieil argot qu’aucun gamin qui se respecte n’aurait utilisé. D’ailleurs, la plupart de mes amis n’utilisaient aucun argot. Ces sous-fifres étaient également très respectueux de leurs aînés. Parfois, je me demandais pourquoi Robin devait demander à Batman l’autorisation d’aller dans sa chambre. Je pensais, sincèrement, que si on m’offrait un jour la chance d’écrire des histoires avec des personnages adolescents, j’essaierais au moins de les faire ressembler le plus possible à ce qu’était, selon moi, un ado. Ils seraient d’abord de vrais personnages, et seulement après, des super-héros. Ils seraient aussi parfaitement responsables d’eux-mêmes. Pourquoi de tels super-héros, aux capacités bien au-dessus de celles du commun des mortels, devaient-ils dépendre de mentors adultes ? Je ne voyais pas les choses ainsi.
À la toute fin des années 60, peu de temps après que nous sommes devenus des scénaristes de comics semi-professionnels, Len WEIN, mon meilleur ami et compagnon d’écriture, et moi avons eu la chance de travailler sur un épisode des jeunes associés de DC Comics, les TEEN TITANS. Même si, en ce temps-là, notre talent n’était pas à la hauteur de nos idées, nous étions bien décidés à faire agir ces héros adolescents comme nous agissions, mes amis et moi, au même âge.

Dans les années 70, je suis parti chez Marvel où j’ai écrit et publié plusieurs titres dont Tomb of Dracula, The Man called Nova, Fantastic Four et Spider-Man. On m’a aussi incorporé dans le projet Marvel Two-In-One, une bande dessinée team-up mettant en scène le personnage de la Chose des Quatre Fantastiques en compagnie d’autres héros Marvel.
En fait, si je n’appréciais pas les héros adolescents, je détestais foncièrement écrire des livres team-up. Mon point fort, je le pensais, était de développer des personnages, pas d’écrire des aventures indépendantes, et il ne s’agit que de ça dans les team-up. En 1980, lorsque j’ai décidé de passer de Marvel à DC, j’ai demandé à ces derniers de ne m’attribuer aucun titre en team-up. Donc naturellement, mes deux premières missions chez DC furent THE BRAVE AND THE BOLD et WORLD’S FINEST, deux séries d’épisodes auto-conclusifs en team-up.
Je compris que la seule façon d’échapper à ces tâches-là était de trouver de nouveaux titres à écrire. Comme j’avais aimé travailler sur les Titans, je demandai s’il serait opportun de relancer cette série disparue depuis longtemps. On me répondit que non. Les lecteurs tout-puissants avaient été tellement déçus par ce qui s’était passé lors des précédentes incarnations du titre qu’ils n’en achèteraient jamais une nouvelle version. Comme je ne suis pas de ceux qui se laissent décourager par une réponse négative, je commençai à leur présenter de nouvelles idées. Plutôt que de simplement refaire la série, nous pouvions créer quelques nouveaux personnages, tout en redynamisant aussi nos vieux Titans préférés
On me demande souvent comment nous en sommes arrivés aux New Titans. La réponse est à la fois simple et très compliquée. Je pense que les meilleurs personnages sont ceux dont les origines sont assez fortes et traumatisantes pour qu’on puisse les revisiter en permanence et y découvrir de nouvelles cicatrices avec lesquelles on peut s’amuser. La création de Superman fait écho au récit biblique de Moïse. Promis à une mort certaine, un nourrisson est envoyé par ses parents vers une autre Terre, où il grandit pour devenir un héros. Batman a vu ses parents mourir. Spider-Man a laissé un voleur tuer son oncle bien-aimé et, à partir de ce jour-là, son sentiment de culpabilité le pousse à combattre le crime. Ces héros sont issus de tragédies, et le traumatisme qui les a engendrés continue à les motiver à travers leurs aventures. Psychologiquement parlant, nous sommes ce que notre passé a fait de nous.

Les nouveaux Titans seront créés de la même façon, et leurs origines guideront leurs actions futures. Starfire était une princesse étrangère que son père à l’esprit faible, Myand’r (méandre), a vendue comme esclave pour sauver sa planète de la destruction. La mère de Raven était une Terrienne, violée par un démon inter-dimensionnel. Afin de lui sauver la vie, le père de Vic Stone a dû le transformer en un cyborg vivant : Voyez-vous poindre une nouvelle caractéristique ? Les origines des Titans sont toutes fondées sur une opposition parents/enfants. Le thème des Titans était et restera : les jeunes contre les vieux. Fils et filles contre pères et mères. Ces conflits universels, que tous les jeunes qui grandissent et quittent leurs parents comprennent, pourraient être revisités encore et encore. Je crois qu’ils donnent aux personnages des Titans une profondeur qui n’avait encore jamais été atteinte dans les comics
Il y a plus. Je crois que les Titans doivent émotionnellement être en désaccord entre eux, même s’ils doivent aussi être amis. Pour faciliter ça, j’ai mis en place deux triangles théoriques : un pour les personnages masculins et l’autre pour les féminins. Par exemple, j’ai mis Wonder Girl au sommet du triangle des femmes. Donna Troy est issue d’une tribu d’Amazones qui croient en la paix mais sont aussi des guerrières. À l’un des angles du triangle, j’ai mis Raven, dont la société inter-dimensionnelle est composée de pacifistes extrémistes qui ne se battront jamais, même pas pour sauver leurs propres vies. À l’opposé se trouve Starfire, qui vient d’une culture guerrière pure. Les trois faces d’une même pièce, si j’ose dire, avec assez de points communs pour être amies, mais assez de différences pour rester en désaccord. Ce conflit fondamental, nous l’espérions, créerait de bonnes histoires.
Observez-les aussi d’un point de vue émotionnel : Raven est timide et introvertie, elle a du mal à faire confiance aux autres. Starfire est ouverte, et tout en vigueur. Wonder Girl, une fois de plus, se trouve entre les deux. On a créé le même type de triangle pour les garçons. Robin, qui deviendra plus tard Nightwing, est le meneur équilibré et compétent qui, parce qu’il a été bridé par Batman, se sent souvent inutile face à la tâche à accomplir. Il doit faire ses preuves vis-à-vis de Batman. Parce que tous les gens autour de lui sont morts, Changelin pense qu’il n’a rien à offrir aux autres et se cache derrière une audace de façade. Cyborg était un scientifique rationnel qui a rejeté cet aspect pour devenir un jeune homme plein de colère. L’approche logique de la vie et la colère qu’éprouve Nightwing envers son « parent » sont partagées par Cyborg, alors que son sentiment d’inutilité le rapproche de Changelin. Cyborg et Changelin ont également été physiquement modifiés par leurs parents, ce qui contribue à leur entente. Les personnages ont été créés afin de rivaliser entre eux, mais ils n’étaient encore que des mots sur du papier. On devait leur insuffler la vie. C’est ce qui s’est passé avec l’entrée en scène de George PÉREZ.
J’avais fait la connaissance de George chez Marvel, et je l’avais apprécié. Au début, lorsque j’étais éditeur et lui un dessinateur débutant, nous avions eu nos différends, mais avec le temps, nous étions devenus amis. George s’était spécialisé dans le dessin de groupes : Avengers, Fantastic Four, etc. Plus il y avait de personnages, mieux c’était. George était également l’un des meilleurs narrateurs graphiques parmi les jeunes artistes. Il était le dessinateur idéal pour ramener les Titans à la vie. Comme Starfire et Raven, George et moi sommes semblables mais opposés. George est sociable et ouvert alors que je suis plutôt calme et introverti. Cependant, comme pour nos personnages, le courant est tout de suite passé entre nous. J’ai croisé George un jour chez Marvel et lui ai demandé si ça l’intéresserait de travailler sur la nouvelle BD des Titans. George cherchait quelque chose de nouveau à dessiner et pensait que les Titans ne tiendraient que quelques numéros, mais trouvait ça sympa à illustrer.
Voyez-vous, en 1980, DC avait du mal à vendre des comics. La plupart des nouvelles séries étaient interrompues après seulement six numéros, donc ce n’était pas exagéré de penser que les New Teen Titans seraient la distraction de quelques mois avant de tomber une fois de plus dans les oubliettes de la bande dessinée. Avec George au dessin, Len WEIN et moi avons affronté les autorités et présenté oralement notre nouvelle idée concernant les Titans. Nous avons expliqué à quel point cela serait différent de toutes les autres histoires des Titans. Ça serait fort. Ça serait distrayant. Qui sait, ça pourrait même se vendre. Nous avons dû en faire une super présentation parce que, non seulement nous avons eu notre comic book des Titans, mais en plus, on nous a demandé d’en faire une histoire de 16 pages qui serait insérée gratuitement dans un autre titre (DC COMICS PRESENTS #26). George commença à dessiner les personnages. Dire que ces dessins étaient au-delà de la perfection ne serait pas lui rendre justice. Il transforma Kory, Vic, Raven et les vieux Titans originaux que sont Robin, Kid Flash, Wonder Girl et Beast Boy (devenu Changelin) en des personnes réelles. Je l’ai déjà dit et je continue de le dire : il n’y a pas de meilleur partenaire que George.

Vous pouvez demander à tous ceux qui ont travaillé avec lui. Avant la publication du premier numéro, alors que les publicités annonçant sa sortie paraissaient, nous avons reçu une tonne de courriers se plaignant de ces nouveaux Titans. Qui sont ces personnages ? Sortez-les du livre ! Ramenez Gnaark, le Titan des cavernes. Après la sortie du premier numéro, les mêmes lecteurs nous écrivaient pour jurer allégeance aux nouveaux Titans. Georgeet moi étions en extase. THE NEW TEEN TITANS #1 a fait exploser les ventes. Ils nous aimaient. Ils nous aimaient vraiment. Mais nous ne pensions toujours pas que la série durerait. Le premier numéro s’est bien vendu. Le deuxième moins bien. Le troisième encore moins. Le quatrième encore moins bien. Le cinquième finit dans les camions benne. Le sixième… eh bien, le sixième dépassa même les ventes du premier, et les ventes n’ont jamais cessé de progresser après.

Note : à ceux d’entre vous qui annulent des séries de comics après le deuxième ou le troisième numéro, avant même qu’ils aient trouvé leur lectorat, réfléchissez-y à deux fois. Le succès des Titans fut une surprise. George resta sur ces aventures pendant près de cinq ans, puis il revint y faire un petit tour quelques années plus tard. Je suis resté scénariste pendant plus de seize ans, ce qui doit bien être un record. Mais, à la longue, je me trouvai à court d’histoires à raconter, et les ventes commencèrent à baisser, donc j’ai demandé à DC de me laisser terminer ces aventures. Nous nous accordâmes pour arrêter THE NEW TEEN TITANS avec ma dernière publication. Je suis très fier d’avoir pu cocréer tant de personnages qui ont plu à tant de lecteurs, et j’espère que George et mes TITANS seront encore présents pour les nombreuses générations de lecteurs à venir. Ça fait pratiquement 19 ans que j’ai inventé tout ça, et bien qu’il y ait quelques histoires parmi les 250 que j’ai écrites que je souhaiterais n’avoir jamais vu imprimées, je continue d’aimer profondément ces personnages. J’espère qu’il en va de même pour vous.

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Robin, Wonder Girl, Kid Flash, Changelin : autrefois, ils étaient les jeunes assistants des plus grands super-héros de la Terre, mais aujourd’hui, devenus de jeunes adultes, ces justiciers décident de reformer leur groupe des Teen Titans avec l’aide des nouveaux venus Raven, Cyborg et Starfire.

Leur première mission : affronter le propre père de Raven, l’entité maléfique Trigon.

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