Voilà de nombreuses années que je chemine aux côtés de Geralt de Riv. J’ai suivi notre héros dans ses moments les plus plaisants, mais surtout dans ses aventures les plus terrifiantes, déchirantes, cataclysmiques. Je l’ai vu aimer, boire, lutter. Songer, souvent. Et je lui ai prêté ma plume, ma voix.

J’en ai fini par me considérer comme une compagne de route silencieuse, chevauchant une Ablette invisible pour le lecteur. Une apprentie sorceleuse, puisque les signes sont également mes armes. En cela, mon rôle de traductrice se place en miroir de celui de Jaskier, en particulier dans cette aventure, qui si elle répond aux codes habituels de THE WITCHER, propose une forme de fraîcheur nostalgique.

Indubitablement l’un des personnages secondaires les plus appréciés de la saga (en particulier depuis le succès tonitruant de la série Netflix et son chant devenu viral Jette un sou au sorceleur), Jaskier se fait néanmoins plutôt discret dans les comics. Surprenant quand l’on connaît sa tendance naturelle à se mettre en avant et son goût pour la mise en scène ! Cette fois-ci, nous avons le plaisir de le voir chroniquer l’entièreté de l’aventure. Souvent ressort comique, souligné par le sublime travail résolument moderne de Miki MONTLLÓ sur les expressions faciales et la gestuelle des personnages, ses rimes prendront un tour bien plus doux-amer à l’approche de la conclusion de l’enquête ; une fin digne de l’univers sans concession de THE WITCHER.

Et quelle enquête. Le scénariste Bartosz SZTYBOR nous présente une histoire complexe dans le plus pur style des investigations menées par le sorceleur dans la saga vidéoludique qui a fait sa renommée. Quel joueur, par exemple, n’a pas été durablement marqué par la quête annexe du Baron sanglant ?

Ici, pas de signes lancés, des escarmouches parcimonieuses, mais des dialogues subtils rehaussés par un fil conducteur maîtrisé riche en rebondissements. Car outre les joutes verbales de Jaskier, les dialogues tiennent une place de choix dans cet album verbeux. Nous avons droit ici à un véritable exposé de l’historique de la ville de Grimmwald, ce qui ancre le lieu en Temeria de façon très convaincante et réaliste. Avec la finesse qui lui est coutumière, Geralt soutirera des informations dans les non-dits de ses interlocuteurs. On retrouve ici l’un des traits de caractère de ce personnage taiseux et introspectif : sa capacité à amener les autres à s’ouvrir tout en en révélant si peu sur lui-même.

Ce qui fait toute l’originalité de cette aventure, c’est assurément l’influence prépondérante des contes de fées traditionnels, là où l’univers de THE WITCHER fait d’ordinaire davantage référence au folklore slave, notamment par le biais de son bestiaire. Les lecteurs attentifs pourront ainsi remarquer des allusions, plus ou moins évidentes ou détournées, au Petit Chaperon rouge, aux Trois Petits Cochons (ou peut-être, à en croire le character design porcin des trois soeurs Hogge, aux Trois Petites Cochonnes), à Pierre et le Loup, aux Frères GRIMM… On est en droit de se demander comment ces références enfantines peuvent coexister harmonieusement avec les thématiques adultes développées au fil des ans et des titres par Andrzej SAPKOWSKI et CD Projekt Red.

Ce mélange des genres n’est pourtant pas si atypique que cela, comme nous le rappelait Bruno BETTELHEIM dans son ouvrage Psychanalyse des contes de fées. Au-delà de l’aspect moralisateur souvent présent dans ce genre de récit, la part symbolique de ces contes a pour objectif de mettre en garde : ils offrent une représentation archétypale de notre monde et des dangers qu’il abrite, agissent comme des avertissements universels compris viscéralement par l’auditeur.

« Petite, ne t’aventure pas seule dans la forêt… » L’univers du sorceleur est lui aussi peuplé de créatures qui parlent, de sorcières au fond des bois, de preux chevaliers, de paysannes en détresse

Mais c’est une version vénéneuse, corrompue. La phrase « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » n’a pas cours dans la grammaire sorceleuse où se mêlent préjugés, discrimination, clivages socio-culturels, sexe, violence, dépression, eau-de-vie, drogues…

Sans oublier la question existentielle au cœur de toute l’œuvre : la monstruosité à forme humaine, incarnée ici à la perfection dans la figure du loup, la dichotomie entre notre héros, surnommé le Loup blanc, et le loup-garou. Par conséquent, pas de fin heureuse, de happy end, pour nos protagonistes. Le réalisme l’emportera sur notre folle espérance. Et c’est ce qui fait tout le sel de cette saga.

La vie se montre cruelle et impitoyable, pour les justes comme pour la canaille. Le sang et les larmes coulent aussi facilement que le vin d’une bouteille, comme nous l’évoquait déjà le titre de la seconde extension de TW3, Blood and Wine. Et malgré toutes les bonnes intentions du monde, il n’y a généralement pas de bon choix à faire. Tout n’est que pis-aller. C’est la philosophie de vie de Geralt, le principe directeur de sa boussole morale.

En définitive, LA BALLADE DES DEUX LOUPS accomplit le tour de force de proposer un épisode de la vie de Geralt fidèle aux racines de la saga, mais sous un angle qui, s’il puise dans les contes pour enfants, nous livre une interprétation actuelle et mature d’une histoire déchirante. Le récit poignant de fratries brisées par l’argent et la haine. Une histoire profonde à la chute inattendue qui verra le lecteur s’interroger à chaque nouvelle révélation sur l’identité réelle du meurtrier, et applaudir les déductions d’un Geralt fin limier qui n’a rien à envier à Hercule Poirot lui-même.

Par Morgane MUNNS
Traductrice spécialisée dans les mondes de l’imaginaire depuis plus de 15 ans, Morgane MUNNS est une touche-à-tout qui a œuvré dans les domaines littéraires, vidéoludiques et rôlistes. Elle a également fondé les Éditions Spectrum. Relectrice principale et traductrice de THE WITCHER 3: WILD HUNT et ses extensions, elle travaille depuis sur la VF de la gamme de comics.

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The Witcher : La Ballade des deux loups

Réputé pour être un tueur de monstres sans pitié, le sorceleur Geralt est appelé dans la ville de Grimmwald. Théâtre d’événements étranges, des bruits courent qu’un loup-garou y rôde, tandis que l’arrivée de trois soeurs fortunées auraient transformé la ville pauvre en une destination touristique prisée. Un changement qui ne plaît pas à tous les habitants. Animés par la peur et la colère, de nouveaux ennemis apparaissent, quand ce ne sont pas des monstres. Avec un grand mystère et une bête à abattre, le barde Jasquier pourrait bien trouver l’inspiration nécessaire pour écrire la ballade idéale.

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The Witcher Intégrale volume 1

Après avoir survécu à la Chasse Sauvage et sauvé le monde d’un hiver éternel, Geralt de Riv poursuit la formation de sa protégée, Ciri, au rude métier de Sorceleur. Sur la piste d’une strige terrorisant les environs de Novigrad, l’apprentie chasseuse de monstres cherche à en savoir toujours plus sur la créature. Au fil des haltes jusqu’à la capitale rédanienne, Geralt lui révèle les détails de sa dernière rencontre avec une strige du côté de Wyzima, un combat qui faillit lui coûter la vie.

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The Witcher Intégrale volume 2

De retour à Novigrad, Geralt accepte de protéger la fille d’un notable des assauts d’un soupirant trop entreprenant. La mission du sorceleur s’achève lorsqu’il découvre l’identité de l’amant : il s’agit de Jaskier, conteur, troubadour et chroniqueur officiel de la saga du Loup Blanc. Alors que Geralt s’enquiert de Priscilla, le joli coeur lui présente bien vite sa dernière trouvaille : une malle magique, gagnée lors d’une partie de gwynt à Oxenfurt. Au contact du médaillon du sorceleur, la malle embarque à son bord les deux amis pour les terres lointaines du royaume d’Ophir, très loin « derrière les mers »…

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