Billy JENSEN est journaliste, spécialisé dans les crimes, en particulier les meurtres irrésolus et les personnes disparues. Mais après dix-sept ans passés à écrire des centaines d’histoires sans conclusion, il s’est lassé… et il a décidé de tenter de résoudre les meurtres et de retrouver les disparus. Ça a marché. Jensen a résolu ou contribué à résoudre dix homicides, et participé à la localisation de disparus. Il a évoqué ces enquêtes dans un ouvrage cité par le New York Times, Chase Darkness With Me. Ami avec Michelle McNamara, il a aidé, quand celle-ci a disparu, à finir son livre, I’ll Be Gone in the Dark, également salué par le New York Times. Dans cet ouvrage, elle évoque la traque du Golden State Killer, bientôt adaptée sous la forme d’une série documentaire par HBO en 2020. Il a écrit des articles pour le New York Times ou Rolling Stone, est apparu dans la série Death at the Mansion produite par la chaîne Oxygen, et a officié en tant que producteur et enquêteur pour la série Crime Watch Daily produite par Warner. Il présente les podcats Jensen & Holes: The Murder Squad, avec Paul Holes, et The First Degree, avec Jac Vanek et Alexis Linkletter.
Ce n’était pas un mannequin.
Betty BERSINGER promenait sa petite fille de trois ans par une belle matinée quand elle est tombée sur ce qu’elle a pris pour un mannequin abandonné provenant d’un grand magasin, sur le trottoir ouest de South Norton Avenue, dans le quartier de Leimert Park à Los Angeles. Mais ce n’était pas un mannequin. C’était le corps de quelqu’un. Quelqu’un qui avait vécu, respiré, rêvé. Son corps avait été coupé en deux. Il avait été vidé de son sang. Des parties entières de son anatomie avaient été découpées. Elle avait été éviscérée. Dans toute cette horreur, l’élément le plus choquant demeurait son visage. Il avait été tailladé, des commissures des lèvres jusqu’aux oreilles, traçant une horrible grimace. Dans les cercles des forces de l’ordre, on appelle ça un « Glasgow Smile ».
Elle serait bientôt identifiée : Elizabeth SHORT. La presse parlerait d’elle sous le nom de Dahlia Noir. Elle sourirait pour l’éternité, éveillant un écho sans fin. Il a été créé sept ans plus tôt. Le mal était en marche. Les Nazis, membres du plus assassin des régimes que la Terre ait jamais vus, étaient décidés à s’emparer du monde et à créer une race de seigneurs. Des plans en vue d’exterminer des millions de personnes. Nous n’aurions jamais dû avoir à créer un monstre. Mais nous avions besoin de matérialiser nos peurs. Et c’est ainsi qu’il est né.
Son apparence rappelle L’Homme qui rit, sorti en 1928 par les studios Universal, les producteurs de versions cinématographiques de Notre-Dame de Paris, de Frankenstein, de Dracula ou du Loup-garou. Ces fabricants de monstres façonnèrent un mélodrame romantique axé sur un homme affligé d’un rictus grotesque et perpétuel, un noble forcé de vivre dans la peau d’un phénomène de cirque. Comme Hollywood en a l’habitude, ils changèrent la fin : il vécut heureux après la fin du film. Dans le roman de Victor HUGO ayant inspiré le film, l’homme qui rit et son aimée meurent tous deux. Quand Bill FINGER et Bob KANE créèrent un nouveau héros, ils eurent besoin d’un nouveau méchant à lui opposer. Avec Jerry ROBINSON, ils s’inspirèrent du visage de l’homme qui rit, l’associèrent à une carte à jouer inutile et marièrent ces éléments visuels en une personnalité tissée d’une malveillance pure et immaculée. Un héros se définit par la qualité de ses ennemis. Ils se mirent donc à façonner la pire chose que l’humanité pouvait offrir. Et le Joker est né.
Dès sa première aventure, le Joker tue. Comme un tueur frénétique, au début : lors d’une émission radio, il annonce qu’il va tuer des gens. Puis s’exécute. Un mafieux n’apprécie guère ? Le Joker le tue, lui aussi. Puis il assassine un chef de la police. Et il continue. Il tue. Il tue. De façons diverses et variées. Dans les épisodes écrits par Greg RUCKA pour la série GOTHAM CENTRAL, le Joker tire et abat un directeur d’école. Quand la police, les urgences et la section scientifique arrivent sur la scène de crime, il ouvre le feu, massacrant les premiers secours depuis sa position.
Avant de tuer Jason Todd dans DEUIL DANS LA FAMILLE, il officie comme terroriste, financé par un État. Il fait sauter une école remplie d’enfants dans BATMAN: CACOPHONY de Kevin SMITH. Il dépèce vivant le propriétaire d’une boîte de strip et le présente sur scène dans JOKER de Brian AZZARELLO. Il enlève une dizaine de bambins puis tire une balle dans la tête de l’épouse de Jim Gordon dans NO MAN’S LAND. Dans DEUIL DE LA FAMILLE de Scott SNYDER, il tue dix-neuf policiers dans le poste de police, brisant la nuque de la plupart. Dans DETECTIVE COMICS #826, il enlève Robin et le fait asseoir dans une voiture à côté des anciens propriétaires qu’il a tués. Et Robin doit le regarder écraser les piétons. Le Joker abat le gérant d’un point de restauration rapide à la suite d’une dispute relative à la commande passée.
Quand il est arrêté dans BATMAN CONFIDENTIAL #22 à 25, il utilise son droit à un appel téléphonique afin de contacter l’épouse d’un policier… qu’il convainc de se suicider. Aucun tueur en série dans l’histoire ne change à ce point de mode opératoire. Ni Ted BUNDY habité par sa soif de sang et sa gratification sexuelle. Ni Dylan KLEBOLD et Eric HARRIS, hantés par une sensation dévoyée d’aliénation et de revanche. Ni les tireurs forcenés, trop nombreux pour qu’on n’en cite qu’un, avec leur rancune et leurs chargeurs multiples. À l’exception du Joker hautement censuré sous la pression du Comics Code et de sa contrepartie incarnée par Cesar ROMERO, le Clown Prince du Crime aime tuer. Et au-delà de cette évidence, ce qui lie les différentes versions du personnage entre elles, c’est leur goût pour les grandes déclarations.
Voilà qui nous ramène à ce matin de 1947, quand le corps d’Elizabeth SHORT, coupé en deux, vidé de son sang, a été découvert dans un immeuble vide de Los Angeles. Elle y avait été posée. Délibérément. Pour que le monde la voie. Et sur son visage, une grimace perpétuelle gravée par un tueur sadique. Les auteurs spécialistes des crimes ont avancé l’idée que ses blessures auraient pu être influencées par le mouvement surréaliste. Son corps était posé comme le Minotaure de Man Ray, tranché comme les « Amants » de Man Ray. Le travail d’un artiste homicide. Dans le film Le Dahlia Noir de Brian De PALMA, les enquêteurs traquant l’assassin d’Elizabeth SHORT assistent à une projection de L’Homme qui rit, leur compagne se couvrant les yeux au moment où Conrad VEIDT dévoile son sourire figé pour la première fois. Le même sourire que celui découvert sur un
dessin présent sur la scène de crime. Soixante ans plus tard, le Joker incarné par Heath LEDGER emprunte à l’histoire du Dahlia Noir, son maquillage recouvrant un « Sourire de Glasgow » infligé par un assaillant inconnu… ou peut-être par lui-même.
L’univers ne pouvait pas éternellement séparer le plus infâme des criminels et le plus infâme des crimes irrésolus. Mais pourquoi ? Nous comprenons les tenants et les aboutissants dans les actes du Joker ou sur la scène de crime du Dahlia Noir. Mais tous deux nous interrogent : pourquoi ? Pourquoi cela s’est-il produit ? Le pourquoi nous échappe dans les deux cas. Les gens ont leur propre théorie sur le Joker. Il a sombré dans la folie. Il n’a aucune empathie. C’est un agent du chaos. Certains hommes veulent seulement voir le monde brûler, après tout. Mais la meilleure manière de comprendre ses motivations, c’est de regarder le sourire. Chaque version du Joker, de sa première apparition meurtrière à l’incarnation de farceur jouée par Cesar ROMERO, est à la recherche du sourire. Même la version sadique d’Alan MOORE, ce Joker obsédé par l’idée qu’une seule mauvaise journée peut transformer un homme, se conclut sur une blague. C’est ce qu’affirme la version jouée par Jack NICHOLSON : « Je suis le premier artiste assassin au monde en parfait état de marche. » Il veut que nous souriions tous tandis qu’il disperse sa toxine hilarante sur la parade du deux-centième anniversaire de Gotham. À l’image du Joker de Neil GAIMAN dans LES DERNIERS JOURS DU CHEVALIER NOIR, qui injecte son poison à Batman dans le seul but de le forcer à sourire. Batman ne sourit pas. Le Joker continue ses injections, jusqu’à ce que Batman fasse une overdose et meure. Il veut que nous souriions. Il n’y a pas une femme au monde qui, au moins une fois dans sa vie, n’a pas entendu un homme lui dire « Allez, chérie, fais-moi un sourire ». « Tu es trop jolie pour ne pas sourire. » L’horrible sourire gravé sur le visage d’Elizabeth SHORT n’est peut-être que cela, en fait : un homme qui veut qu’une femme lui sourie. Un homme qui n’obtient pas ce qu’il désire, et qui la pousse à sourire pour l’éternité. Une masculinité toxique associée à une psychopathie. Voilà ce qu’est le Joker. Ce qu’il essaie de faire. Quand il planifie des exécutions de masse, son choix se porte sur le poison. Cet homme qui demande à une femme de lui sourire et sort de ses gonds quand elle refuse, c’est lui. Puis, allant plus loin, à l’exemple de ce que la lie de l’humanité a pu offrir au cours de l’histoire, il tue ce qu’il ne peut avoir. Il nous tue et nous tue et nous tue de façons diverses et variées. Parce que nous ne sourions pas.
Nous devrions toujours veiller à ne pas le glorifier. Mais nous l’étudierons. De la même manière que nous étudions BUNDY, GACY ou MANSON et tous les autres. Nous avons besoin de comprendre nos monstres, de nous assurer que, lorsque nous rencontrerons le suivant, nous pourrons nous battre. Mais non, nous n’allons pas te souhaiter un joyeux anniversaire, Joker. Et non, nous n’allons pas sourire.
Le pire ennemi de Batman est également l’une des plus grandes vedettes de l’Univers DC et très certainement le vilain le plus fameux de la pop-culture.
Son histoire éditoriale tout aussi fascinante que celle de ses méfaits a accompagné celle de son rival au cours de 80 ans d’aventures dessinées. Retrouvez dans cet ouvrage les meilleurs récits du genre ainsi que le numéro de 100 pages entièrement inédits réalisé par un panel d’auteurs fameux comme Jim LEE, Lee BERMEJO, Paul DINI ou bien encore Scott SNYDER et JOCK !