Preacher, la plus belle invention depuis le pain tranché

Quand un révérend, son ex-fiancée et un vampire irlandais font équipe… Ils partent en pèlerinage au cœur de l’Amérique, où le Bien et le Mal ne font qu’un. Violent, déjanté, irrévérencieux et furieusement drôle, Preacher est un road trip infernal. Découvrez la petite bombe de Garth ENNIS et Steve DILLON !

Décrit de façon mémorable par Dave GIBBONS, vieux débris des comics anglais, comme « déplacé », et par Joe QUESADA, rédacteur en chef de Marvel Comics, comme « une bonne lecture pour un caca », PREACHER a été beaucoup de choses pour beaucoup de gens. Certains ont aimé, d’autres ont détesté. Quelques-uns s’y sont constamment opposés, réalisant trop tard que leurs hurlements de protestation ne faisaient qu’augmenter directement les ventes de l’objet de leur frustration. La plupart ont compris qu’on irait jusqu’au numéro 66, qu’il vente ou qu’il neige, et que la chose la plus futée à faire était d’aller voir ailleurs ou de participer à la fête.

Pour moi, que signifie PREACHER ? Un plaisir énorme, c’est la première expression qui me vient à l’esprit. Il y a de bien, bien pires façons de passer cinq ans que d’écrire une histoire qu’on aime sur des personnages qu’on a créés soi-même. « De bons gros pacsons de pognon » est une autre formule adaptée, il n’y aurait pas beaucoup d’intérêt à le nier. Et puis, la série a fait connaître mon nom d’une façon qui a permis d’autres projets agréables, et qui continue à le faire aujourd’hui. Plutôt content sur toute la ligne, ce serait donc mon verdict. Aujourd’hui, alors que j’erre sur les remparts de la Casa delle Pistole di Navarone, appréciant la soirée toscane avec ma mangouste Charlie à mes pieds, mes pensées vagabondent vers cette époque furieuse et vers les gens avec qui j’ai partagé tout ça. Je regarde le soleil disparaître derrière une rangée d’arbres à l’horizon, ceux qui sont toujours si parfaitement alignés dans tous les plans d’ensemble de la campagne italienne, et je me rappelle les camarades avec qui j’ai embarqué pour ce voyage extraordinaire. Où sont-ils aujourd’hui, mes chers potes de PREACHER ? Disparus, tous disparus. Éparpillés aux quatre vents, chacun violé individuellement par le perfide doigt du destin. Je bois une autre gorgée de je ne sais quelle mixture qui rend aveugle que j’ai entre les mains… et je me souviens.

L’éditeur d’origine, Stuart MOORE, a vu sa carrière dans le stand-up déboucher sur une impasse, en grande partie à cause de son incapacité à raconter une blague. Le cas de la belle-mère, c’était une chose, mais le notoire « Incident Silex » a été le dernier clou dans son cercueil. Peu après, il a rejoint la Légion pour oublier.

Son remplaçant, Axel ALONSO, gère aujourd’hui le Bloc D à Riker’s. « Ne fais pas suer Double-A, dit-on aux nouveaux venus, ou il va venir remuer ta merde vite fait bien fait. » Pour le prix de vingt Kool mentholées par jour, un prisonnier malin peut éviter la colère d’Alonso, mais malheur au « misérable fils de pute » qu’il décide de prendre comme « salope ».

L’ignoble porc et – oui, admettons-le – talentueux coloriste Matt HOLLINGSWORTH a quitté sa terre natale pour de nouveaux pâturages, où il guette des proies crédules. Bien sûr, les Balkans ont toujours été dangereux, mais lui avoir accordé un visa permanent semble un acte inutilement imprudent. Tous les archiducs du coin sont priés de faire gaffe à leurs arrières.

Nous avons tous été ravis quand la bonne poire et talentueuse Pam RAMBO a repris les rênes au monstrueux HOLLINGSWORTH. Personnellement, je n’arrive pas à décider si le meilleur moment a été quand la bombe géante a explosé ou quand le chauffeur de camion a glissé en sortant du taxi sur de nombreuses et épaisses tranches humides. En tout cas, on a pas perdu au change, je crois qu’on peut tous être d’accord là-dessus.

Clem ROBBINS a succombé à un lynchage. Le spectre fantomatique de Glenn FABRY hante encore aujourd’hui les plaines désolées de Brighton. Même dans l’au-delà, les cris tourmentés de cet homme charmant et débonnaire parviennent malgré tout à dispenser une bonne humeur, un timing comique impeccable et une repartie qui ont toujours fait de lui un compagnon splendide. Son spectre est disponible pour dessiner ce que vous voulez. Toujours un talent diabolique.

Et Steve DILLON ? Co-créateur, génie artistique, narrateur sans égal, la contribution de Steve au succès de PREACHER ne pourrait être surestimée. C’était très facile pour moi d’écrire toute cette folie chaque semaine de chaque mois avant de passer à un autre projet, mais Steve a dû vivre avec ça… et faire que ça fonctionne… chaque jour pendant cinq ans et demi. Oui, j’ai très souvent pris le soin de préciser cela, alors c’est avec une grande tristesse que je dois témoigner de la faible estime que mon ancien poteau a pour moi aujourd’hui. Prisonnier des donjons de Lord Larg aux Huit Queues, son sort n’est évidemment pas très heureux, mais pour ma défense, j’aimerais juste établir que :

a) le contrat disait clairement « âme éternelle » (au singulier),

b) bien sûr, que la pièce n’avait pas deux faces identiques. Où est-ce que ce genre de chose existe, à part dans les pages de je ne sais quelle œuvre de fiction ?

Mais assez de ce sentimentalisme navrant, de cette promenade sirupeuse dans les chemins du temps jadis. Pourquoi une culpabilité mal placée gâcherait-elle une soirée si parfaite ? Le crépuscule s’installe comme un gros énervé qui s’étale sur son divan, et bientôt le chœur nocturne s’éveille. Le lapin place un euro dans le jukebox. Le blaireau pète sa gueule à la belette. La cuvette se remplit de confiture. Tout va bien. La chose sensée à faire serait d’ouvrir une autre bouteille, mais ça en ferait huit aujourd’hui. Hmm… Pile, j’ouvre, face, je n’ouvre pas… ah, tiens.

Encore pile.

Garth Ennis

En liberté, février 2009