Je me rappelle que j’étais préparé au pire. Un jeudi par mois, le lendemain de la sortie sur les étals du dernier numéro de PREACHER, je me préparais pour l’inévitable lettre qui allait arriver sur le bureau de quelqu’un placé bien au-dessus de moi dans la chaîne alimentaire, chez DC Comics… Une lettre envoyée par un lecteur fou de rage qui n’aurait pas vu le label “pour lecteurs avertis » indiqué sur la couverture et qui se serait senti gravement offensé par le contenu. Après quoi, les événements se seraient enchaînés rapidement : convocation à un entretien avec un représentant des ressources humaines au visage sombre, discussion animée sur mon jugement de rédacteur et ma fibre morale, et fin de ma carrière dans les comics.
Fort étrangement, ce jour n’est jamais venu. Tout au long de ses soixante-six numéros, le western iconoclaste et néo-spaghetti de Garth ENNIS et Steve DILLON a fait polémique, mais il a pu arriver à sa conclusion, il n’a pas traîné en longueur et il s’est achevé selon ses propres termes. PREACHER, l’un des comics les plus célébrés et les plus influents de son époque, doit son succès à la folle alchimie de son équipe artistique et au soutien constant de son éditeur mais, à la source de sa popularité, on trouve un noir secret dont je ne suis pas sûr que quiconque impliqué dans sa création… moi y compris… soit prêt à avouer. PREACHER a provoqué toutes sortes de réactions, mais jamais l’indifférence. Le périple de Jesse Custer à travers la psyché américaine résonne parce que le paysage n’est pas imaginaire, il est seulement vu à travers un miroir déformant. Jésus de Sade et le Marchand de Viande sont des personnages réjouissants parce qu’ils sont totalement improbables, mais étrangement possibles. Et le fait que Custer en ait après quelqu’un de si haut placé ne fait qu’ajouter au plaisir. Quand il décide de forcer l’Architecte Suprême à se repentir de ses péchés, tout le monde n’est-il pas d’accord ? C’est l’éternelle question que tout le monde se pose à un moment ou à un autre : comment diable les choses ont-elles pu si mal tourner, et comment Dieu a-t-Il pu laisser faire ça ?
Poser cette question a exposé PREACHER aux accusations de blasphème ou de cynisme, mais rien ne pourrait être plus infondé. Le doute est le creuset dans lequel se forge la foi véritable… C’est un catholique qui vous le dit. Et Garth est davantage un humaniste en colère qu’un cynique blasé. Sous la surface sordide, PREACHER est un conte profondément moral sur la lutte entre le bien et le mal. Son personnage principal, son centre vertueux, Jesse Custer, n’est pas de l’étoffe des anti-héros peu recommandables qui dominent le monde des comics alternatifs. C’est un homme très droit, dont la quête l’amène à traverser un monde très immoral.
Oui, il a étranglé son demi-frère Jody, il a démoli Odin Quincannon et il a incinéré sa démoniaque Mémé, mais Dieu sait que ces ordures avaient mérité tout ce qui leur est arrivé. Jesse Custer a simplement eu le cran de faire ce qui était nécessaire… ce que Batman aurait dû faire avec le Joker il y a longtemps… et c’est pour ça qu’on l’aime.
Ce qui m’amène au noir secret du succès de PREACHER. Si on regarde au-delà de la surface, au-delà des geeks sadomasochistes, des cannibales bouseux et des poules traumatisées, on voit PREACHER pour ce que la série est vraiment. Jesse Custer a un code et une quête. Il a des super-pouvoirs, un costume, un équipier, une petite amie qui n’a pas besoin qu’on la sauve, une histoire de famille compliquée et une galerie de vilains qui rivalise avec celle de tous ceux qui ont un jour porté une cape. Tous les signes familiers sont là, à vous rire au nez, à vous défier de les trouver. Et voilà le secret du succès de PREACHER : de façon incroyable, deux mecs peinards, assis sur le trottoir d’en face, proclamant ne jamais avoir particulièrement apprécié le créneau lycra, ont créé une œuvre de fiction qui défie toute catégorisation mais qui pourrait bien être l’un des meilleurs comics de super-héros de tous les temps.
Axel Alonso Vétéran de l’industrie des comics, Axel Alonso débute il y a 17 ans sur le label Vertigo de DC Comics pour lequel il supervise HELLBLAZER, 100 BULLETS et PREACHER, avant de rejoindre Marvel Comics en 2001. Il s’occupe ensuite de certaines des plus grandes franchises de l’éditeur dont Spider-Man, Hulk et les X-Men… et lance certaines de ses séries les plus polémiques… dont Truth, Rawhide Kid et X-Statix. En 2011, il est promu rédacteur en chef de Marvel Worldwide, Inc. En dehors des comics, il a pour passions le basket-ball, le hip-hop, son fils de huit ans Tito Alonso et ses préparatifs pour l’inévitable apocalypse zombie.
De la brousse texane aux champs de bataille vietnamiens, Jesse Custer poursuit sa traque du fugitif divin. Il est grand temps d’obtenir les réponses aux questions qui le tourmentent depuis si longtemps, mais avant ça, il devra passer par la case « réconciliation » avec Tulip. Contient : Preacher vol.5 (#41-54)