Commençons par deux confessions.

Quand je suis tombé pour la première fois sur 100 Bullets, ça ne m’a pas plu. Les couvertures m’agaçaient, et les dessins intérieurs ne me disaient rien non plus.

La deuxième confession, c’est que je n’y ai pas regardé de plus près, et que je ne l’ai certainement pas lu.

Bon, j’ai pas mal de mauvais côtés. Je dépense une incroyable quantité d’énergie chaque jour pour m’en débarrasser… et l’un des plus pernicieux de ces défauts est de laisser mes a priori écraser ma curiosité.

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Dans ce cas précis, je pensais que ce bouquin n’était qu’un comic de plus dans la veine à la mode du polar mystérieux… un sous-genre qui regroupe tout, de la mauvaise parodie de Spillane à des conneries nihilistes qui font comme si elles portaient un message, mais ne sont en fait pas beaucoup plus qu’un ramassis de nullités qui ne s’intéressent à rien d’autre qu’à leur propre nombril.

Je ne me souviens pas vraiment pourquoi j’ai dépassé mes premières impressions pour lire pour de vrai un épisode de 100 Bullets, mais quelle que soit la raison, j’ai lu la deuxième saga de la série… et j’ai été bel et bien ferré.

 

Je suis reparti du début pour tout lire, et putain, ce truc est génial… entre autres et plus particulièrement, en tant que comic-book. 100 Bullets a l’air d’avoir été écrit et dessiné par le même homme… ou du moins deux types à la relation aussi symbiotique que Simon & Kirby, ou Kurtzman & Elder.

En tout cas, ça n’a pas l’air du travail d’un type qui bosse à Chicago, qui envoie ses scénarii pour un autre type qui vit en Argentine… deux gars qui, j’imagine, ne passent pas beaucoup de temps à boire des coups ensemble.

 

Il y a quelques années, quelqu’un, je ne sais plus qui, a qualifié ce que je faisais de « dialogues de transports publics ». Je pense que ça a été dit de façon péjorative ou, pour le moins, condescendante. Pour moi, en tout cas, ça voulait dire que mes personnages parlaient comme des gens qu’on ne connaît pas, qu’on n’a pas envie  de connaître… mais auxquels on ne peut pas échapper dans le contexte qui est le nôtre.

Brian Azzarello aussi écrit des dialogues de transports publics… et il écrit des personnages qu’on ne peut ni ignorer ni éviter. L’œuvre de Brian tient tête à bien des auteurs de polars parmi les meilleurs aujourd’hui… précisément parce qu’il ne verse pas dans des conneries nostalgiques sur les armes, les truands et les vamps, qu’il ne fait pas dans la merde prétentieuse remplie d’argot contemporain déjà daté.

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Brian écrit un monde que je reconnais… peuplé de ces personnages inévitables et inoubliables… et Eduardo Risso fait un putain de bon travail en visualisant ce monde. Dans une industrie remplie de tocards qui font passer leur manque de talent pour un dessin « cartoon », Eduardo est un artiste complet. Sans pomper aucun des deux, il parvient à me rappeler simultanément Kurtzman et Toth… deux dessinateurs extraordinaires qui créaient des mondes convaincants avec un minimum de détails.

Si j’entends encore un connard justifier sa paresse par le vieux « Moins t’en fais, mieux c’est », je jure que je vais aller chercher un flingue. Moins, ça n’est mieux que quand ton moins est magnifique. En d’autres termes, ramène les choses à ce qu’elles ont de plus simple, et écris et dessine-le bien, bordel. C’est ce que Brian et Eduardo font, de façon magistrale.

Les textes et les visuels sont réduits à l’essentiel… créant un lot synchrone, ce qu’on fait de mieux dans les comics contemporains.

Et à propos de ces couvertures. Ok… encore un exemple de laisser libre cours à ses a priori. Ce que fait David Johnson… que je ne connais pas, et donc certainement pas assez pour l’appeler « Dave »… est un tour de force technique qui englobe tout ce qu’on exige des couvertures. Elles vendent le bouquin, capturent l’esprit, et suggèrent l’idée et les thèmes des pages intérieures sans marcher sur les pieds de qui que ce soit.

Remplacez « agacé » par « envieux », donc.

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Pour finir, j’espère que ça ne dérangera personne si je relaie une partie de la conversation que j’ai eue avec Axel Alonso, l’homme qui a fait un travail si stupéfiant en tant que rédacteur des épisodes recueillis dans le présent ouvrage. J’imagine que cette discussion est ce qui a fait qu’on m’a demandé d’écrire cette introduction.

Axel a mentionné, en termes très vagues, que Brian avait des plans à long terme pour 100 Bullets, avec une trame qui se tisserait très lentement. Bon, peut-être que j’ai arrêté de m’intéresser aux comics autant qu’auparavant… en tant qu’épisodes individuels dans une fresque picaresque… mais quand je regarde Ricky Jay ou David Blaine, par exemple (NDLR : des magiciens), je ne veux pas savoir comment ils font… je veux juste être collé à mon fauteuil en me demandant comment c’est possible.

C’est précisément ce que je ressens avec le 100 Bullets de Brian et Eduardo. Je me fous d’où ils comptent aller, et je ne veux pas savoir ce qu’ils ont de prévu. Je veux continuer à suivre cette superbe synthèse de texte et de narration visuelle, en étant reconnaissant de pouvoir lire régulièrement un tel comic-book.

Il faut remercier vivement ces deux types pour avoir produit le comic-book le plus excitant depuis des années.

– Howard Chaykin

Howard Chaykin écrit et dessine des comics depuis plus de vingt ans. Un de ses premiers succès, American Flagg!, a marqué un tournant dans la narration graphique en imposant un style frénétique et des dialogues cinglants… des caractéristiques que Chaykin a ensuite appliquées à des projets comme THE SHADOW, BLACKHAWK, JLA : SECRET SOCIETY OF SUPER-HEROES ou PULP FANTASTIC chez Vertigo, ou à sa propre mini-série noire, Black Kiss.

 

 

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L’impassible Agent Graves a une proposition à vous faire. Dans la mallette qu’il vous confie, la photo de votre pire ennemi et le nécessaire pour vous en débarrasser : une arme, 100 munitions totalement intraçables et l’assurance d’une totale immunité. Dizzy la délinquante, Dolan, barman sur le retour, et Chucky, joueur invétéré, vont-ils tour-à-tour saisir cette chance unique de rayer de l’équation la personne qui a fait de leur vie un enfer ?

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