C’était en juillet 2008, le San Diego Comic Con tirait à sa fin, et Bill WILLINGHAM venait de me présenter une facture de 1 100$. Une fête avait été organisée la veille, et j’avais spontanément proposé ma participation financière. Flairant une bonne occasion de me faire marcher, Bill avait fait rédiger un document à l’aspect très officiel me réclamant une somme bien supérieure à la contribution que je comptais apporter. Après s’être délecté de mon embarras pendant une bonne minute, Bill a lâché que c’était une blague, et toute l’assistance a éclaté de rire.


Ce n’était pas la première fois que Bill me jouait ce genre de tour, et ce ne serait pas la dernière. Je me souviens d’une autre convention où il avait convaincu le paléontologue Ryan HAUPT de se faire passer pour un journaliste de Rolling Stone chargé d’écrire un article sur moi. Au beau milieu de l’interview, il m’avait laissé tomber car son “rédacteur en chef” l’avait appelé pour lui dire qu’ils avaient mis la main sur quelqu’un de “vraiment intéressant”. Il y aussi eu la fois où, toujours au cours d’un festival, je n’avais pas assisté à un dîner, et Bill avait demandé au scénariste Dave JUSTUS de me dire qu’il m’en voulait à mort de l’avoir planté et qu’il ne pouvait plus me considérer comme un ami.
Il y en a qui osent tout.
Mais revenons en 2008. Une fois l’hilarité générale et mes envies de meurtre dissipées, nous nous sommes mis à plancher sur The Great Fables Crossover (La Grande alliance). Bill et moi discutions de l’intrigue, et assis à l’autre bout de la pièce, Mark BUCKINGHAM dessinait des pages pour FABLES #75. Des pages superbes, fouillées, décrivant en détail la grande scène de combat de l’épisode, et Mark étant en retard sur les délais, il était investi à fond dans sa tâche. Le seul élément qui nous posait problème à Bill et moi, c’était le nom à donner à ce groupe de créatures quasi divines, incarnant divers aspects de la narration méta-fictionnelle. Nous avions déjà Gary, l’Anthropomorphisme, ainsi que Mister Revise et les sœurs Page. Mais maintenant que le groupe s’était étoffé, il fallait lui donner un nom, et tout ce qui nous venait à l’esprit était nul. Nous avions envisagé les “Littéraires”, les “Conceptuels”, et quelques termes encore pires. Ce casse-tête nous rendait fous depuis des semaines. Et alors que nous désespérions d’avoir une idée géniale, BUCKINGHAM — sans même lever la tête de sa planche à dessin — a déclaré, “Vous devriez les appeler les ‘Littéraux’.”
La honte. Sérieusement, il a dit ça sans même s’arrêter de dessiner. Verts de jalousie, nous l’avons regardé, tandis qu’à peine conscient de notre présence, il continuait à griffonner le Prince Charmant sur un aéronef.
Il y en a qui osent tout.
Le récit que vous allez lire est à la fois une farce, une réflexion sur le processus créatif et un grand événement dans le monde des comics. Il est en partie FABLES et JACK OF FABLES, mais aussi tout autre chose. FABLES étant par bien des aspects une histoire sur des histoires (et JACK OF FABLES encore plus), nous voulions créer un crossover sur les crossovers, et sur ce qui arrive quand s’entrechoquent des récits qui ne sont pas censés se croiser. Donc, quand Jack abandonne sa série pour participer à l’aventure, il emmène son artiste attitré, Tony AKINS (je n’en salue pas moins le travail exceptionnel de Russ BRAUN — c’est juste qu’on garde toujours une tendresse particulière pour le premier artiste d’une série). Quand Bigby Wolf quitte le refuge de FABLES, il est obligé d’abandonner aussi sa dignité. Et bien sûr, ce ne serait pas un grand événement dans le monde des comics si le sort de l’Univers tout entier n’était pas en jeu. Pas question de faire les choses à moitié. J’admets volontiers que lorsque nous collaborons, Bill WILLINGHAM et moi, nous avons tendance à pousser le bouchon. Donnez-nous une mini-série en neuf épisodes, un minimum de latitude, et le scénario part dans tous les sens. Après le trait de génie de Mark à San Diego, nous nous sentions invincibles. Et c’est dans cet esprit que quelques semaines plus tard, nous nous sommes retrouvés chez Bill à Las Vegas, une ville qui ne décourage pas vraiment les excès. La preuve : au cours du séjour, nous sommes allés dans un club de tir et nous avons claqué 500 dollars pour canarder des cibles avec des armes automatiques, au prétexte de nous mettre dans la peau de nos personnages (si vous vous posez la question, c’était top). Nous avons gribouillé les grandes lignes, échangé nos pages. Cela ressemblait un peu au montage d’un film très discutable sur deux auteurs. Et je n’ai jamais pris autant de plaisir à écrire. Ce sentiment de “tout est permis” se reflète dans ce volume. Ainsi, vous allez rencontrer des personnages appelés les Genres. Vous ne pouvez pas savoir à quel point nous avons rigolé en les inventant, et combien je suis heureux/triste qu’ils n’apparaissent qu’ici. Quant au pauvre Bigby Wolf, nous lui avons infligé des épreuves qui ne seraient pas envisageables dans un autre cadre, mais qui me font encore marrer à ce jour. Tout ou presque part en vrille, il y a de la casse. Et l’univers de FABLES ne sera plus jamais comme avant.
En bref, avec tous ses atouts, The Great Fables Crossover a rencontré un formidable succès critique et commercial. Enfin… en gros. À ma connaissance, il s’est vendu aussi bien que les différents épisodes qu’il contient et que le trade paperback. Chez DC, tout le monde était content et la plupart des lecteurs étaient enthousiastes. Même s’il y a eu quelques mécontents. Et c’est normal, on ne peut pas plaire à tout le monde.
Mais si vous me permettez de spéculer (et quel meilleur endroit pour spéculer que dans une introduction — la partie la moins importante d’un ouvrage), je pense que ceux qui n’ont pas été transportés par l’histoire que vous allez lire s’attendaient juste à un récit différent. Avec moins de blagues stupides, moins de mélodrame, moins de chimpanzés. Peut-être espéraient-ils un vrai crossover, et à la place, nous leur avons livré un récit azimuté et métatextuel.
Je n’en veux pas à ces lecteurs, mais pour vous éviter leur déception, je vous demande d’oublier tout ce que vous pensez savoir sur FABLES et d’apprécier cette histoire juste pour ce qu’elle est. Si vous suivez mon conseil, vous allez vous éclater. Je vous dis cela même si, étant en partie responsable de ce livre, je devrais être plus modeste sur ses qualités. Mais j’aime trop cette histoire, au point de n’avoir cure de ce que certains pensent. Et si malgré tout, vous n’êtes pas emballés par The Great Fables Crossover ? Dans ce cas, je ne peux rien pour vous.

Il y en a qui osent tout.

Matthew Sturges – Austin Texas – Décembre 2014
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Après une longue période d’exil, Jack est de retour au sein de la communauté des Fables de New York.

Pour le meilleur ? Pas nécessairement… À l’heure où les Fables voient leur existence remise en cause par l’apparition des Littéraux — ces principes de l’écriture personnifiés capables de vie ou de mort sur toute création de l’esprit —, le retour de ce fils prodigue ne fait qu’ajouter à la peine de ses semblables. De plus, tandis que Mister Dark prend le contrôle des ruines de Fableville, à la Ferme, Geppetto réapparaît et oeuvre en silence pour prendre le commandement des sorcières…

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