Lois Lane, ennemie du peuple : La dame d’Acier

Lois Lane est un personnage d’importance dans le mythe de Superman mais également dans la création elle-même du concept de super-héros. Apparue en 1938 dans Action Comics #11, en même temps que l’Homme d’Acier, elle fait figure de modèle en ce qui concerne les intérêts amoureux des personnages de comics.

Mieux, elle a même pris son essor à partir des années 1950 pour devenir la vedette de son propre titre, et ainsi prendre place dans le panthéon de DC Comics. Dès ses débuts, Lois occupe une position prépondérante dans les épisodes réalisés par ses créateurs, Jerry SIEGEL et Joe SHUSTER, et leurs assistants. Elle, dont le physique avait été basé sur la propre future épouse de SIEGEL, se trouve souvent au cœur des intrigues, enquêtant de concert avec son collègue Clark Kent, et plonge plus d’une fois dans des situations périlleuses (une idée reprise dans les films animés des Studios FLEISCHER de la même époque).

SIEGEL et SHUSTER imaginent même en 1940 une histoire intitulée « The K-Metal from Krypton » dans laquelle apparaît pour la première fois la Kryptonite et où Clark, affaibli par ce minerai, perd ses pouvoirs et avoue son identité secrète à Lois. Mais les responsables éditoriaux de DC estiment que le statu quo sera trop bouleversé et refusent dès lors que l’épisode soit publié. Pourtant, à la même époque, plusieurs Hommes-Mystère créés à la suite de Superman font déjà équipe avec leur petite amie : Flash, Sandman, et même Hawkman dont la partenaire, Shiera Sanders, endosse même le costume de Hawkgirl.

Lois va, elle, tenter de percer à jour par intermittence le secret de la double-identité de Clark/Superman. Dans les années 1950, et alors que la série TV Adventures of Superman cartonne sur le petit écran, les acolytes de l’Homme de Demain ont droit à leur propre comic‑book : Jimmy Olsen en 1954, et Lois en 1958, après deux essais dans Showcase l’année précédente. Superman’s Girlfriend Lois Lane dure jusqu’en 1974 et compte 137 numéros. Supervisé par Mort WEISINGER jusqu’à la fin des années 1960, le titre propose, comme les autres séries sous la coupe de l’éditeur, des épisodes suivant une formule répétitive : Lois veut prouver que Superman et Clark ne font qu’un, Lois souhaite se marier avec un sosie de l’Homme d’Acier, Lois est métamorphosée, etc.

Majoritairement dessinée par Kurt SCHAFFENBERGER, la série voit également une rivalité naître entre Lois et Lana Lang, qui a connu Clark adolescent, du temps où il était Superboy (et qui tentait de prouver que Superboy, etc…).
Malgré les tentatives de certains scénaristes, comme Elliot S! MAGGIN et Cary BATES, d’étoffer la relation entre Lois et Clark et de la rendre plus crédible et adulte, les ressorts dramatiques restent assez figés tout au long des années 1970. Tout du moins met-on désormais l’accent sur le travail de journaliste de Lois Lane. Et en 1986, une mini-série en deux parties écrite par Mindy NEWELL et dessinée par Gray MORROW sonne le glas de la Lois «Pré-Crisis». En effet, le mois suivant, DC publie Man of Steel, réalisé par John BYRNE : six épisodes qui refondent entièrement l’univers de Superman, son passé, son entourage et ses ennemis. John BYRNE recrée Lois en une journaliste téméraire et battante : le reporter n° 1 du Daily Planet.

Il cite évidemment la prestation de Margot KIDDER dans le film Superman de Richard DONNER en 1978 où l’idylle entre Superman et Lois occupe une place centrale. Mais il fait également référence à Rosalind RUSSELL dans la comédie de Howard HAWKS de 1940 : La Dame du Vendredi (His Girl Friday). RUSSELL y incarne Hildy Johnson, une journaliste casse-cou qui en remontre à ses collègues masculins et n’hésite pas à se montrer aussi manipulatrice qu’eux en vue d’obtenir une interview exclusive d’un condamné à mort.

De plus, BYRNE modifie la dynamique relationnelle du triangle Superman/Clark/Lois. Finement, il apporte l’idée que le grand public ignore que Superman possède une double-identité, tout en affirmant que la vraie personnalité du héros est celle de Clark. Lois est toujours attirée par Superman, mais ce dernier est déterminé à la séduire en tant que Clark. Un seul problème : Clark est le journaliste qui a publié la première interview exclusive de Superman, un scoop que convoitait Lois.

Le jeu du chat et de la souris entre les deux journalistes durent quelques années et, après le départ de BYRNE, les scénaristes Roger STERN, Jerry ORDWAY et Dan JURGENS, sous la houlette de Mike CARLIN, font évoluer la situation progressivement. Lois et Clark se mettent en couple, et en 1991, il lui révèle qu’il est Superman dans Action Comics #6623.
Durant les années 1990, la série TV Lois & Clark : LES NOUVELLES AVENTURES DE SUPERMAN, ainsi que la version animée produite par Bruce TIMM, imposent la vision de BYRNE des deux tourtereaux.
Lois & Clark a d’ailleurs une incidence sur les comics.

Les auteurs prévoient un temps le mariage en 1992, mais les producteurs de la série TV (qui vient de débuter) insistent pour que la cérémonie ait lieu en même temps sur le petit écran et dans les pages de BD. En  remplacement de cet heureux événement, scénaristes et dessinateurs imaginent en hâte une autre saga : La Mort de Superman4. Le reste appartient à l’histoire… Il faut attendre 1996 pour que les noces soient célébrées dans Superman : The Wedding Album.

Dès lors, Superman et Lois Lane-Kent vivent, pour le meilleur et pour le pire, des aventures mouvementées au sein de l’Univers DC. Le pire, ce sont les menaces qui planent sur les deux journalistes : les ennemis de Superman devenant particulièrement violents. Le meilleur reste la perspective de fonder une famille.

Un temps, ils adoptent un autre réfugié kryptonien, baptisé Chris Kent, dans la saga Last Son écrite par Geoff JOHNS et dessinée par Adam KUBERT5. Mais quand, en 2012, DC élabore une Renaissance éditoriale, suite à l’événement Flashpoint, Superman est un des personnages qui se trouve le plus modifié en profondeur. Son couple avec Lois ayant été effacé de l’Histoire officielle, ce nouvel Homme d’Acier sort avec son équipière de la Ligue de Justice, Wonder Woman. Cette version peine à convaincre, et en 2015, dans Convergence : Superman #1 et 2, suivie de la série Lois & Clark, Dan JURGENS et Lee WEEKS rapatrient, grâce à un nouveau bouleversement cosmique, les Lois et Clark de BYRNE dans la continuité6. Toujours mariés, ils ont, durant leur exil, conçu un fils : Jonathan Kent. Cette famille Superman est le focus des séries qui suivent, écrites par Peter TOMASI et toujours Dan JURGENS.

En 2018, le transfuge de Marvel, Brian Michael BENDIS reprend les titres consacrés au Grand Bleu et chamboule la donne. Jonathan est fait prisonnier durant des années dans une autre dimension par un double maléfique de son père, Ultraman. Parvenant à s’échapper, il revient sur sa Terre, mais la relativité du temps l’amène à l’époque même où il a disparu. Jon est désormais un adolescent, mais Lois et Clark n’ont pas vu leur fils grandir. De plus, le couple de journalistes a eu maille à partir avec une organisation tentaculaire appelée Leviathan. C’est dans ce contexte tendu, que le scénariste Greg RUCKA livre le récit qui suit. Très attaché aux personnages féminins, comme son travail chez les indépendants, de Queen and Country à LAZARUS, en témoigne, RUCKA avait déjà mis l’accent sur le personnage de Lois et son travail périlleux de journaliste d’investigation lors de son passage sur Adventures of Superman dans les années 2000. Ici, il renoue également avec deux vieilles connaissances :
Vic Sage et Renee Montoya qui ont tour à tour incarné le rôle du justicier sans visage, la Question. C’est Greg RUCKA lui-même qui avait écrit le passage de témoin entre les deux détectives dans l’excellente maxi-série 52 en 2005-2006.

Romancier œuvrant dans le polar, RUCKA est également spécialiste des intrigues tortueuses et des machinations poisseuses : un environnement au sein duquel l’intrépide et astucieuse Lois Lane évolue comme un poisson dans l’eau.
–Yann Graf