1 armes. 100 balles intraçables. Vous vengez-vous ? Le scénario de Brian AZZARELLO est porté par les dessins d’Eduardo RISSO. Apprenez en plus sur son style graphique avant de découvrir le deuxième volume de 100 Bullets !
Dans la plupart des conversations sur la littérature et l’art américains, le terme « comic book » sert de raccourci péjoratif pour des fantasmes adolescents simplistes, manichéens et produits en masse. Ces quinze dernières années, des auteurs tels que Frank MILLER, Art SPIEGELMAN, Neil GAIMAN, Alan MOORE, Ben KATCHOR, Chris WARE, Joe SACCO et d’autres ont commencé à prouver que – et c’est ce que Will EISNER a toujours dit – le médium du comic book est capable de raconter n’importe quel type d’histoire qu’un artiste souhaite raconter, à l’aide des possibilités narratives uniques permises par la combinaison des mots, des images et de la mise en page.
L’ouvrage que vous tenez entre les mains est le deuxième volume de 100 BULLETS, la brillante série de Brian AZZARELLO et Eduardo RISSO. La réussite d’AZZARELLO, RISSO et leur équipe permettra peut-être, avec le temps, d’éliminer définitivement les a priori péremptoires, à la manière des balles non-identifiables de l’Agent Graves. Le concept de la série semble terriblement simple. Mais comme le maître américain du polar Jim THOMPSON l’a dit, il peut y avoir bien des types d’histoires, mais il n’y a qu’une règle : les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent. Dans différents épisodes de 100 BULLETS, l’Agent Graves apparaît pour donner à quelqu’un un attaché-case contenant la preuve irréfutable de l’identité de la personne qui a détruit sa vie, ainsi qu’une arme et 100 balles. Cette arme et ces balles, donnent à leur utilisateur la chance d’agir sans conséquences légales, d’être au-dessus de la loi et… de se venger ? De faire justice ? Graves semble d’abord représenter un genre d’agence gouvernementale secrète.
Mais comme nous l’avons appris dans le précédent album, ce n’est plus un agent du Trust qui dirige l’Amérique en secret… c’est un renégat, qui a refusé d’accomplir un travail, encore tenu secret, pour les treize familles. À Atlantic City, le Trust a fait tuer (du moins c’est ce qu’ils pensaient) Graves et les Minutemen (sept tueurs entraînés pour maintenir un équilibre entre les diverses factions du Trust). Mais Graves leur a fait savoir (en envoyant un homme assouvir sa vengeance sur un membre du Trust) qu’il était toujours vivant et s’opposait activement à leurs plans. Son ancien collègue, M. Shepherd, a pris sous son aile un Minuteman récemment activé, Dizzy Cordova, et joue sa propre partition… pour atteindre le même but, peut-être. Ou peut-être pas. Les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent.
Commençons par le dessin d’Eduardo RISSO. S’il est décrit par certains comme minimaliste, je le qualifierais plutôt d’impressionniste… surtout en ce qui concerne les physiques des personnages, qu’il dépeint sous des formes légèrement exagérées qui représentent à la fois leur personnalité véritable et leur statut social. Au contraire de ce que pensent la plupart des Américains des comics, encore une fois, 100 BULLETS n’est pas un monde peuplé de nobles héros à la mâchoire carrée et d’héroïnes reines de beauté, toutes en formes et en collants. Chaque personnage, des acteurs principaux jusqu’aux figurants d’arrière-plan, est imaginé et réalisé individuellement, et le talent de RISSO pour les expressions est époustouflant. Il ne fait pas que créer des héros athlétiques, il crée différents types d’athlétisme : la menace contrôlée de Cole Burns, ou la folie sous-jacente de Lono. Les personnages sont jeunes ou vieux : chaque voyage et chacun des choix difficiles qu’il a proposés sont gravés sur le visage de l’Agent Graves, tandis que Benito Medici transpire la jeunesse et l’aristocratie. RISSO dessine des petits punks cinglés et maigres, et des gros… et les gros sont eux aussi de plusieurs sortes, du massif gangster Eightball à Daniel Peres, du Trust, marqué par une vie de privilèges, en passant par le navrant laisser-aller de M. Branch. Mais malgré ces aspects impressionnistes, RISSO dessine un monde physique réaliste, où les conséquences existent : quand on se fait tabasser dans 100 BULLETS, on est couvert de bleus, de sang, de cicatrices.
RISSO a parfois une approche minimaliste, en général dans ses décors, mais son minimalisme ne mérite aucune des connotations négatives du terme. RISSO dessine des cases plus ou moins détaillées selon les particularités de la narration ; il évoque souvent une rue, un bar ou un immeuble de quelques traits, réduisant les éléments visuels de ce qu’il dépeint à leurs formes essentielles. Mais cela n’est pas fait au hasard. Cela se produit toujours lorsque le lecteur doit être attentif à autre chose que l’arrière- plan : l’action proprement dite, la chose essentielle pour raconter l’histoire. Le minimalisme de RISSO va comme un gant à la prose d’AZZARELLO, une stratégie esthétique pour soutenir la narration. Quand un arrière- plan est important… comme la scène de la plage à la fin du « Blues du Prince Rouge », où le fait que la rencontre entre Peres et l’Agent Graves ait lieu près d’une foule doit être mis en avant… RISSO dessine tout l’arrière- plan dans les moindres détails.
Quant aux personnages féminins, certes, les courbes dangereuses foisonnent, mais le dessin de RISSO souligne que chacune des femmes d’AZZARELLO est bien loin de la classique femme fatale de polar. Les deux principales protagonistes jusque-là – l’ex-délinquante Dizzy Cordova et Megan Dietrich, du Trust – sont toutes deux sexy en diable, mais leur sex-appeal prend des formes diamétralement opposées pour convenir à leur caractérisation. Dans le « Blues du Prince Rouge », AZZARELLO et RISSO explorent la puissance froide et impitoyable de Megan. Elle se sert de sa sexualité, mais sa puissance ne repose pas sur sa beauté… En tant que membre du Trust, elle serait puissante même si elle ressemblait à un vieux tonneau. La puissance de Megan, c’est son éducation, son expérience, sa férocité (qui a un défaut très humain : sa faiblesse pour Benito, et les choses auraient pu tourner très différemment à la fin du « Blues du Prince Rouge » si elle n’avait pas pensé qu’à elle en accompagnant Daniel Peres lorsqu’il quitte le sommet du Trust).
Dans « ¡Contrabandolero! », nous voyons la relation entre Dizzy et M. Shepherd emmener celle-ci plus loin… au plus près d’une position où elle aura confiance en sa propre puissance, en un monde bien plus vaste et plus complexe que son barrio du West Side de Chicago. Et le contraste entre la beauté latine de Dizzy – quel que soit votre avis sur l’érotisme de la larme tatouée sur sa joue – et l’arrogance aryenne de Megan suggère beaucoup de choses sur le monde qu’AZZARELLO et RISSO ont imaginé et mis en images. Au-delà de sa caractérisation des personnages et de sa stratégie esthétique allant du détail au minimalisme, RISSO est un maître de la mise en page imaginative, de la perspective et de l’ambiance. Voir la septième page de la deuxième partie de la « Noyade du Petit Poisson », dans le précédent tome, ou la longue séquence de trafic dans le troisième acte de « ¡Contrabandolero! »… deux exemples où l’agencement des cases raconte l’histoire comme aucune prose ni aucun film ne le pourrait. Ses compositions dépassent de si loin les perspectives cinématographiques habituelles qu’elles démontrent une fois encore que le médium offre ses propres possibilités uniques de narration, faisant écho à rien moins que le Spirit d’EISNER. RISSO nous propose des points de vue en contre-plongée depuis sous la surface de l’eau, depuis l’intérieur de flippers, depuis un tableau en train d’être peint… des angles qui placent le lecteur au cœur de l’action et suggèrent bien plus que de simples mots pourraient le faire, nous invitant à analyser leur sens. Et son utilisation des silhouettes et des gros plans à des moments clés renforce encore le punch narratif et la profondeur de la caractérisation de la série.
Bill Savage
2002

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Après des années sans nouvelles de son père, Louis Hughes retrouve un homme qu’il n’a jamais connu et apprend à son contact les codes du milieu mafieux. En plein apprentissage de l’horreur ordinaire, Louis reçoit des mains de l’Agent Graves, ancien partenaire de son père, une valise contenant une arme et 100 cartouches intraçables. Sa cible : son paternel. Si elles sont impénétrables, les voies de l’Agent Graves sont également les plus vicieuses qui soient.

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L’impassible Agent Graves a une proposition à vous faire. Dans la mallette qu’il vous confie, la photo de votre pire ennemi et le nécessaire pour vous en débarrasser : une arme, 100 munitions totalement intraçables et l’assurance d’une totale immunité. Dizzy la délinquante, Dolan, barman sur le retour, et Chucky, joueur invétéré, vont-ils tour-à-tour saisir cette chance unique de rayer de l’équation la personne qui a fait de leur vie un enfer ?