Le territoire occupé de Manhattan est censé être une zone démilitarisée tant que vous ne faites pas attention aux corps déchiquetés devant les bodegas et aux assassins de Trustwell Corp qui infiltrent les immeubles. C’est la révolution, et la chose la plus révolutionnaire que vous puissiez faire… c’est de voter. Hé ben, bonne chance ! Les casques bleus inutiles qui gardent les bureaux de vote à Spanish Harlem sont impuissants : les paramilitaires d’extrême droite des « États Libres » se sont associés avec Trustwell pour barrer la route aux mécontents et saboter l’élection. Au milieu de tout ça, un reporter maladroit mais honnête, Matty Roth, le seul à pouvoir transmettre l’histoire de la DMZ, lutte contre sa propre lâcheté.

La New York du futur ressemble tellement à l’Amérique d’aujourd’hui que c’en est dérangeant. Une fausse guerre contre le terrorisme, une traque d’insurgés et de fauteurs de troubles illusoires, qui deviennent le prétexte pour écraser le soulèvement des classes défavorisées. Sauf que dans la BD, la guerre culturelle et la guerre des classes ont abouti à une conclusion sanglante inévitable : une junte privée qui prétend apporter la sécurité à une New York dévastée par la guerre, en utilisant des technologies d’espionnage et des commandos d’assassins pour conserver le pouvoir.

Matty Roth doit faire un reportage sur un leader populaire charismatique, Parco Delgado, qui déclare sa candidature à coups d’explosifs. Delgado est-il un enfoiré manipulateur ou un sauveur en tee-shirt sale ? Wood et Burchielli sont d’excellents conteurs, puisque la réponse n’est pas si simple, mais on l’obtient quand même. Matty Roth est le genre de raté qu’on est obligé d’aimer. À certains moments, c’est un abruti, émotionnellement instable, qui rend dingue sa copine, persuadée que Delgado est un charlatan. Mais il a une âme et se fout de savoir qu’un journaliste ne devrait pas en avoir. Alors, il défend ses articles devant son patron, protégé dans son gratte-ciel loin des conflits, alors que Matty va au feu, littéralement. Il se met en danger, parfois inconsidérément, pendant que son esprit essaye de comprendre ce que sa bourge de mère fabrique dans le ghetto, en jouant les porte-parole révolutionnaires de Parco.

Si cette histoire paraît bizarre, c’est parce que toutes les histoires réelles le sont. J’écris ceci après avoir terminé un article sur Eight Mile à Détroit. Dans chaque maison saisie, il y a du cannabis sur le toit. Le type de la dernière maison m’a dit que son fils s’était fait tuer dans sa cour. Il y a des menaces de saisie sur sa table. Il travaille tous les jours pour éviter à ses gosses de vivre dans un foyer pour sans-abri. Mais il n’a aucune chance et il le sait. L’Amérique est un casino truqué. Dans DMZ, les damnés et les déshérités se sont soulevés. Ils ne veulent plus de cette merde, mais ils n’ont fait que provoquer la radicalisation de l’Amérique. Les pauvres sont écrasés, regroupés dans le Bantoustan du nord de Manhattan et on ne leur offre que la paix dans la reddition. C’est un reportage brillant à l’intérieur de l’âme de l’Amérique. Une Amérique qui se projette dans le futur, un futur plus proche qu’on ne l’imagine.

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