En 2016, dans le numéro final de son passage sur JUSTICE LEAGUE (#50, de juillet), le scénariste Geoff JOHNS accompagné du dessinateur Jason FABOK dévoile à Batman, ainsi qu’aux lecteurs estomaqués, un indice de poids concernant l’identité de son pire ennemi : il n’y aurait pas un mais trois Jokers !

Depuis lors, les spéculations vont bon train sur cette révélation issue du court passage au cours duquel le Chevalier Noir a possédé le Trône de Mobius, artefact du Néo-Dieu Metron, lui conférant ainsi un savoir infini. Il va falloir attendre quatre années pour que le même tandem artistique explore les causes et les conséquences d’un tel coup de théâtre, dans la mini-série en trois épisodes TROIS JOKERS, dont vous tenez l’intégralité entre vos mains.« Je l’ai dit de nombreuses fois mais Jay (FABOK) et moi tenions à raconter la meilleure histoire du Joker possible. Il y en a déjà tant qui sont devenues mythiques. Nous voulions qu’elle soit émouvante, surprenante et sérieuse : qu’elle montre l’effet qu’a le Joker sur les vies de ceux qu’il a blessés au cours des années. C’est une histoire de cicatrices, de traumatismes et de guérisons : de guérison effective et de guérison qui se passe mal. (…) Nous ne voulions pas seulement évoquer la relation entre le Joker et Bruce mais également celle avec Barbara (Gordon) et Jason (Todd). Pour moi, les plus grands affrontements qui ont eu lieu entre Batman et le Joker ont tous engendré d’énormes tragédies qui ont à leur tour causé des blessures profondes qui n’ont cessé de se rouvrir au gré du temps : de leur première rencontre dans BATMAN #1 (de 1940) à THE KILLING JOKE et à UN DEUIL DANS LA FAMILLE. Ce récit prend racine dans ces trois événements (…) il montre comment ces trois personnages ont, chacun à sa manière, géré ces traumatismes. Certaines blessures, qu’elles soient physiques ou psychologiques, ne guérissent jamais, et cette histoire révèle comment le Joker en tire à chaque fois profit. »*

Modèle avoué de son auteur, THE KILLING JOKE des Anglais Alan MOORE et Brian BOLLAND est une relecture sophistiquée et hypothétique du passé du Joker en un comédien raté et au chômage manipulé par des truands. Jusqu’à sa publication, en 1988, les origines officielles du criminel avaient été établies dans DETECTIVE COMICS #168 (de février 1951), écrit par Bill FINGER et dessiné par Lew Sayre SCHWARTZ. Les auteurs avaient astucieusement évoqué le passé de l’homme qui devint le Joker sans pour autant dévoiler son identité : tout au plus y apprenait-on qu’il était un laborantin qui avait tenté de dévaliser une usine de cartes à jouer de la compagnie Monarch, sous le nom et le heaume opaque de Red Hood.

Tombé dans une cuve de produits chimiques, il découvrit, une fois le heaume enlevé que son visage était devenu blanc et ses cheveux verts. Le récit renvoie à l’imprévisibilité et au goût du spectacle du Joker : mêlant le côté théâtral du clown et l’aspect changeant de la valeur de la carte à jouer. Mais il permet également de garder une aura de mystère autour du véritable visage ou du vrai nom de celui qui devint le Joker. Avec THE KILLING JOKE, Alan MOORE et Brian BOLLAND conçoivent, eux, un récit construit sur un découpage symétrique qui reflète la nature irréductible du conflit entre Batman et le Joker : ni plus ni moins deux facettes de la même carte (une des illustrations de maquette de l’album montre ainsi Batman et le Joker liés sur une carte à jouer). De ce double élan qui humanise le Joker tout en renforçant sa portée symbolique découlent à la fois une déconstruction et une pérennisation du personnage. Dans le même ouvrage, le Joker abat Barbara Gordon, fille du plus vieil allié de Batman, le commissaire Jim Gordon. Et lorsque l’on retrouve le Joker un peu plus tard, fin 1988 dans BATMAN #426 à 429, on le voit tuer Robin, le partenaire de Batman : meurtre suggéré dans THE DARK KNIGHT RETURNS, écrit et dessiné par Frank MILLER en 1986 et qui lie à jamais le héros et le vilain dans un cercle de violence sans fin. Dès lors, transigeant le tabou ultime (la mort d’un enfant), le Joker accède à une place incontestable, et incontestée : celle de pire ennemi du héros, lié de façon intime et inéluctable au sort du Chevalier Noir.

« Les Trois Jokers sont tout à fait réels : ce ne sont pas des échappés du multivers, de dimensions alternatives ou de quoi que ce soit s’en approchant. Le décor du récit est très réaliste, très concret. Bruce, Barbara et Jason se trouvent au centre de l’intrigue, à enquêter sur la raison d’être de ces trois Jokers. Qui sont-ils ? Que sont-ils ? Tout ceci est-il réel ? » Le Criminel, le Clown, le Comique… tels sont les pseudonymes que le scénariste Geoff JOHNS a inventés pour représenter les trois Jokers dans ce récit inédit qui propose un retour sur le mythe du plus grand ennemi de Batman. Chacun évoque un récit précis, ainsi que la relation particulière qu’il entretient avec un des protagonistes : l’un est relié au BATMAN #1 de 1940 ; l’autre à l’assassinat de Jason Todd dans UN DEUIL DANS LA FAMILLE et le troisième à la torture de Barbara dans THE KILLING JOKE. Chacun représente une certaine époque et une certaine représentation du Joker, car, comme Batman, ce dernier a su évoluer avec le temps et les modes, et là où le scénariste Grant MORRISON (ARKHAM ASYLUM) trouvait l’explication dans une forme de schizophrénie démentielle qui le voyait se réinventer à chaque vague de crime, JOHNS, lui, prend le parti de multiplier les malfaiteurs pour rendre cohérent les différentes interprétations artistiques.

« Le Joker est un personnage effrayant. D’une certaine manière, j’arrive à comprendre les motivations des autres vilains que j’ai eu à écrire, comme Sinestro, Black Adam ou Captain Cold. Je comprends ces personnages et leurs choix de vie. Pour moi, il y a très peu de vilains aussi irrécupérables que le Joker. Il n’y a pas une once de bonté en lui et pour un scénariste son esprit est un endroit effrayant dans lequel évoluer. C’est un véritable défi. »
Pour le Joker, vilain mégalomane sans égal, la vie est un spectacle macabre dont il est le Monsieur Loyal : mais avec ce récit, JOHNS et FABOK offrent un aperçu des coulisses de ses « performances ». Une opération de démystification qui n’empêche pas pour autant de rendre plus terrifiant encore une figure du Mal qui agit en pleine lumière depuis maintenant plus de 80 ans.

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Découvrir Batman Trois Jokers

Le secret du pire ennemi de Batman est enfin révélé : il n’existe pas un mais trois Jokers. Le Clown, le Comique, le Criminel : chacun à sa manière, ces malfaiteurs au sourire carnassier ont infligé à Batman et à ses alliés des blessures tant physiques que psychologiques. Au moment où l’on retrouve des cadavres rappelant la première affaire du Chevalier Noir contre sa nemesis, Batman, Batgirl et Red Hood mènent l’enquête pour découvrir lequel des Trois Jokers est l’original… ou s’il existe vraiment. Mais le temps est loin d’avoir guéri toutes les blessures et la confiance entre les trois justiciers est, elle, passablement entamée…

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* Toutes les citations de Geoff JOHNS sont extraites de l’interview réalisée par Albert CHING pour le site dccomics.com en août 2020.

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