Scott Snyder explique comment un incontournable du comics et la porte d’entrée idéale dans l’univers de Batman est née ! « À l’époque, j’étais le scénariste de la revue Detective Comics. Je me rappelle que c’était un mercredi, quand j’ai reçu cet appel de mon responsable éditorial, Mike Marts, qui me demandait de me rendre au siège de DC, au 1700 Broadway, car il avait des choses à me dire. Je me suis aussitôt inquiété. »

La Cour des Hiboux est née d’un bus touristique à Times Square. On peut dire ça, tout comme on peut dire qu’elle est née d’un coup de téléphone, un jour de printemps, en 2010. À l’époque, j’étais le scénariste de la revue Detective Comics. Je me rappelle que c’était un mercredi, quand j’ai reçu cet appel de mon responsable éditorial, Mike Marts, qui me demandait de me rendre au siège de DC, au 1700 Broadway, car il avait des choses à me dire.

Je me suis aussitôt inquiété. Je travaillais alors sur un récit intitulé SOMBRE REFLET, à une époque où Dick Grayson occupait le rôle de Batman. Je venais à peine de commencer et déjà je craignais de me faire virer.
Toutefois, je retrouvai Mike cet après-midi-là, dans une salle de conférence du 6e étage. Je me rappelle qu’un billard électrique Batman (cuvée 1989) était posé dans le coin de la pièce. Sur l’image du fronton, le Dark Knight semblait me jauger d’un regard froid. Je me préparai à de mauvaises nouvelles, mais au contraire, Mike m’annonça qu’à partir de septembre 2011, Bruce Wayne serait de retour, et que DC souhaitait que je m’essaie à chroniquer ses aventures dans la revue Batman.


Ma première réaction fut une atroce terreur. Bruce ? Dick Grayson dans le rôle de Batman, ça oui, je pouvais l’écrire sans peine. Il avait ses peurs, ses enthousiasmes, ses réticences à porter la cape, et c’est ainsi que j’avais envie de conceptualiser Batman.

Mais Bruce ? Bruce, c’était l’image sévère qui me fixait alors depuis le fronton du flipper. Mike attendait ma réponse. Il finit par consentir à me laisser rentrer chez moi pour y réfléchir.
C’est ce que je fis. J’informai alors mon épouse de cette offre. J’étais tenté de refuser. En tant que Batman, Dick était relativement nouveau. Mais Bruce… Bruce avait mariné dans 75 ans d’aventures fantastiques. Ces histoires mêmes qui m’avaient donné l’envie d’écrire. Il était si sûr de lui. Il connaissait si bien la ville…

Mais Jeanie me rappela que Bruce Wayne était mon  personnage favori et que si je refusais, je risquais de le regretter. Je me mis à réfléchir. Elle avait vu juste au sujet de Bruce : c’est le personnage qui m’avait accompagné toute ma vie. Petit garçon, il me paraissait réel. Et pas dans le sens où il revêtait « une grande signification » à mes yeux. C’était le cas, bien sûr. Il était lié à toutes sortes de choses importantes, comme les balades avec mon père sur Broadway et la onzième rue, où se trouvaient nos boutiques de comics habituelles. Je passais des heures à lire ses aventures dans Gotham, puis à en imaginer et gribouiller de nouvelles.
Mais lorsque je dis que Bruce était réel à mes yeux, je veux dire qu’il semblait vivre dans la ville que je connaissais, plus que tout autre super-héros. THE DARK KNIGHT RETURNS et BATMAN : ANNÉE UN ont placé Bruce dans un décor que je pouvais reconnaître.

La Gotham de ANNÉE UN était rongée par la décrépitude urbaine. C’était une cité hantée par les gangs, la prostitution, la corruption. La Gotham de THE DARK KNIGHT RETURNS était du même acabit. Ses habitants vivaient dans la peur de la guerre froide, de l’annihilation nucléaire… Batman connaissait la ville comme je la connaissais. Il vivait dans la même ville que moi et mes amis. Il se battait contre des malfrats à Times Square, la même Times Square où nous allions faire falsifier nos papiers en douce, acheter des feux d’artifice et des shurikens. Bruce se bagarrait sur des trottoirs qui ressemblaient aux nôtres. On se faisait braquer. On se faisait taper. On s’en remettait. Batman aussi. Et voilà qu’on me demandait d’écrire sur Bruce.

À l’époque, ma femme et moi vivions à Long Island, à environ 1h30 de New York. Je ne m’y rendais pas trop souvent. Mais après cette offre de Mike, j’y ai fait quelques balades, pour réfléchir à ce que je pourrais raconter avec Bruce. À quoi ressemblait la ville à présent ? Comment Batman serait-il, s’il existait de nos jours ? Quelles étaient mes peurs ? Qu’est-ce qui m’effrayait, ici, dans ces quartiers que j’avais connus, enfant ? Si je devais me servir de cette unique occasion d’écrire ce personnage, qu’avais-je à dire à son sujet et au sujet de la « Gotham » actuelle ?


Seulement voilà, New York avait bien changé depuis ma jeunesse. Je me tenais là, sur Times Square. À l’époque, le paysage aurait été délabré et dangereux, rempli de bâtiments aux fenêtres bouchées, de cinémas porno, de salles de jeux, de bureaux de tabac… Aujourd’hui, on y trouvait des boutiques Disney. Et le musée de cire de Madame Tussaud. Il y avait des magasins aux devantures rutilantes, des théâtres, des immeubles d’affaires. Un bus touristique s’est garé juste devant moi et ses passagers ont surgi sur le pavé pour prendre des photos. On se serait cru dans une autre ville. Et c’est alors que j’ai compris… que c’était une autre ville. Je me suis alors rendu compte que je m’étais attaqué au problème par le mauvais bout.

Au lieu d’essayer d’écrire une version actualisée de Bruce, je devrais plutôt écrire sur la seule façon dont Bruce puisse être actuel. Dans sa réalité fictive, Bruce est un homme qui vit dans un éternel présent. Mais les villes comme New York, comme Gotham… Elles existent depuis des siècles. Elles changent. Elles changent constamment. Et plus vite qu’on ne le croit. Autrefois, je connaissais ce quartier, aujourd’hui il m’est étranger.

Batman connaît Gotham, mais uniquement la Gotham du présent. Il ne sait rien de ce qu’était la ville dix ans auparavant, quinze ans auparavant. Même s’il étudie son histoire, il ne pourra jamais connaître cette géographie secrète, cette ville-fantôme. Pas vraiment, en tout cas. Les villes sont ainsi : bâties sur les restes d’une centaine d’autres villes, en construction permanente, dans un flux incessant de mort et de renaissance. Chaque jour, de nouveaux habitants descendent du bus. Chaque jour, des appartements changent de locataires. Chaque jour, la ville se transforme, petit à petit. Et cela concerne toutes les villes, même les petites. On ne connait jamais vraiment le lieu où l’on vit. Pas complètement. On ne peut jamais se fier entièrement à une carte. Votre voisinage, votre ville natale, votre rue…

Ils n’existent tels que vous les connaissez que pour un moment donné, puis ils disparaissent. L’endroit où l’on vit est toujours un mystère, et c’est dans ce mystère que réside l’humilité et la vérité. Voire même le soulagement et le réconfort.

Les touristes continuaient de se déverser hors du bus, en faisant crépiter leurs flashs. Cette New York, celle de ce jour, serait la seule qu’ils devaient connaître. Je rentrai chez moi et commençai à établir un plan sommaire du récit. Il devait concerner Bruce et sa certitude de connaître Gotham dans ses moindres recoins. Comme s’il l’avait toujours connue. Ce serait une histoire où Gotham prouve à Bruce qu’il se trompe, qu’il ne la connaît pas et ne la connaîtrait jamais. Un mystère sous forme d’anneaux concentriques qui se rapprocheraient de plus en plus de lui.

J’avais déjà eu, pour Dick Grayson, l’idée d’une société secrète qui aurait prétendu l’avoir pris pour cible tout jeune afin de façonner sa vie entière. Je me suis dit que ça pourrait servir de rebondissement dans un concept élargi, juste un exemple des choses que Bruce ignorait, un mystère touchant quelqu’un de très proche de lui. Donc, dans un sens, on peut dire que la Cour est née d’un bus touristique de Times Square…
… tout comme on peut dire qu’elle a toujours été là, et sera toujours là pour nous épier.

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Batman La Cour des Hiboux

Après une longue période d’absence, Bruce Wayne est de retour sous le masque de Batman, à la poursuite d’un mystérieux assassin aux allures de hibou, et dont la prochaine cible n’est autre que… Bruce Wayne. Plus il progresse dans son enquête, plus le Chevalier Noir rassemble d’éléments sur les motivations de son ennemi. Il découvre alors une sombre vérité mêlant la famille Wayne aux fondations troubles de Gotham City.

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