American Flagg! est l’un des trois immanquables comics des années 1980, qui a poussé avec The Dark Knight Returns et Watchmen, les auteurs de bande dessinée américaine à se renouveler et innover ! On vous propose de découvrir la postface de l’album complet en un volume, où Warren Ellis, vous parle de cette histoire et de son histoire.

Je vais vous expliquer ce que vous faites ici. Au début des années 1980, une combinaison de circonstances trop ennuyeuses pour être énoncées ici permit à des gens de créer, pour la première fois, des bandes dessinées commerciales d’une ambition jamais vue sur le marché américain. L’émergence de telles oeuvres a poussé les éditeurs à envisager sérieusement de publier des romans graphiques. Ce qui a conduit aux trois livres que tous ceux qui s’intéressent aux comics possèdent dans leur bibliothèque depuis 1990 : WATCHMEN, d’Alan MOORE et Dave GIBBONS, DARK KNIGHT de Frank MILLER et Maus d’Art SPIEGELMAN. Tout le monde avait sa liste de titres essentiels, mais on y retrouvait immanquablement ces trois-là.

Il en manquait un.

Vous l’avez entre les mains.

Les douze premiers numéros d’AMERICAN FLAGG! d’Howard CHAYKIN constituent l’œuvre oubliée la plus importante des comics grand public des années 1980. Son absence des bibliothèques et des conversations équivaut à parler du rock des années 1960 sans mentionner le Velvet Underground. Je devais avoir quinze ans lorsque j’ai acheté le premier épisode d’AMERICAN FLAGG! en 1983 et j’ai pris une claque similaire à celles qu’Alan MOORE, Eddie CAMPBELL et Bryan TALBOT m’avaient foutu l’année précédente. La série entrait également en résonance avec KEROUAC, MOORCOCK, BURROUGHS et BALLARD que j’avais aussi découverts l’été précédent. Il s’agissait de science-fiction sociale dans un médium populaire, tout à fait dans le genre de Michael MOORCOCK, mais sordide comme chez BURROUGHS, fasciné par le monde moderne comme chez BALLARD et respirant la vie authentique comme KEROUAC. D’autre part, la série possédait  quelque chose qu’aucune autre BD n’avait alors à mes yeux : elle prouvait que l’on pouvait faire ce travail, présenter ces idées, avec un charisme éhonté et une putain de classe.

Elle innovait constamment, sans vergogne, d’une façon qui perturbe les auteurs tant le défi est jeté ouvertement. Il exige qu’on le suive ou qu’on passe son chemin. Des imbéciles se plaignaient de ne pas comprendre, même après avoir lu un épisode plusieurs fois – sans saisir à quel point il s’agissait d’une insulte tant CHAYKIN et son lettreur Ken BRUZENAK se donnaient du mal pour raconter l’histoire de façon directe – ce qui a conduit CHAYKIN à cette célèbre déclaration intimant le lecteur à ne lire chaque épisode qu’une fois, mais lentement. (Ça me rappelle une autre citation de David SIMON, de The Wire : « Que le lecteur moyen aille se faire foutre. Il ne sait rien et il faut qu’on lui explique tout, tout de suite, et l’exposition devient alors un affreux boulet qui tue le récit. Qu’il aille se faire foutre. Bien profond. ») D’autres comics ont peut-être plus joué avec le design, mais peu étaient aussi imprégnés du design du monde réel que FLAGG !, et encore moins utilisaient le design au service de l’histoire. Jetez un oeil à la série et tentez de trouver d’autres artistes qui en savent autant sur tous les genres de design et s’en servent pour enrichir leur monde et nous faire tourner les pages. (Une fois de plus, je mentionne Ken BRUZENAK, qui, dans ces douze numéros, a changé la donne de l’art complexe et parfois négligé du lettrage de comics.) Regardez ces pages et comprenez bien qu’en 1983, on ne pouvait que rarement découvrir, dans une BD, les goûts de son créateur en matière de musique, de mode, son intérêt pour la culture et son engagement dans le monde.

Je n’ai pas du tout parlé de l’intrigue. J’ai simplement dit que ces douze numéros, rassemblés, sont l’un des meilleurs romans graphiques d’une des périodes d’explosion du médium. (Ils auraient aussi dû être reconnus comme une œuvre importante de science-fiction, à l’époque). J’aimerais que vous la découvriez vous-même. Ce livre vaut son prix, ne serait-ce que pour la leçon d’histoire – et si vous vous intéressez aux mécanismes de cet art, pour la masterclass qu’il propose sur les comics. Mais c’est également un excellent roman de SF, très divertissant et huit fois plus intelligent que n’importe quel film que vous avez pu voir au cours des dix dernières années.

american-flagg

Découvrez American Flagg !

2031 : une crise économique de grande ampleur a forcé le gouvernement des États-Unis à se relocaliser sur Mars. À présent, les grandes métropoles américaines, dont Chicago, se réorganisent autour de centres commerciaux géants où l’on abreuvent les habitants de programmes racoleurs aux messages subliminaux ultra-violents. Dans ce contexte délétère, l’arrivée dans les forces de police des Plexus Rangers de Reuben Flagg, ancienne star de télé-réalité, va mener la ville à la révolte et peut-être… à une seconde révolution.

Découvrir

Plus d'articles