JM Machado De Assis, chroniqueur de l’absurdité humaine

Publié pour la première fois en 1882, L’Aliéniste  est l’un des textes les plus connus de l’écrivain  brésilien Joaquim Maria MACHADO DE ASSIS.  Aussi palpitant que plaisant, ce récit est l’un des joyaux  de la fiction de la littérature mondiale. Conte pour les uns,  nouvelle pour les autres, L’Aliéniste transgresse  les modèles établis. La structure narrative se dédouble  en événements inattendus, captivant le lecteur qui est conduit  vers un monde imaginaire, étonnamment plausible et réel  en même temps qu’il se révèle absurde, chimérique, fantasque  et inexistant.

Classique de la littérature brésilienne, ce texte de  J.-M. MACHADO DE ASSIS reste, plus de cent trente ans  après sa publication originale, l’une des réflexions les plus  dévastatrices sur la folie que la science puisse atteindre.  Le récit se concentre sur l’histoire du Dr Simon Bacamarte  et sur l’étude de la folie qu’il mène dans le petit village  d’Itaguaï, près de Rio de Janeiro, où il a fondé la Maison  Verte – hospice typique du XIXe  siècle – enrôlant des cobayes  humains pour ses expériences. Il s’ensuit une histoire  incroyable et très actuelle autour du débat sur la normalité,  la raison et la démence. Et c’est au protagoniste de  démontrer grâce au discours qu’il est possible de produire  la folie.

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À l’époque de J.-M. MACHADO DE ASSIS, un aliéniste était  le médecin qui se consacrait au soin des aliénés, des malades  mentaux. C’est Michel FOUCAULT qui problématisera en  mars 1977, dans un article paru dans Le Nouvel Observateur,  le rôle de l’aliéniste dans l’histoire de la psychiatrie :

« Sans doute, l’un des premiers soins des aliénistes du  XIXe  siècle a été de se faire reconnaître comme « spécialistes ».  Mais spécialistes de quoi ? De cette faune étrange qui,  par ses symptômes, se distingue des autres malades ?  Non pas, mais spécialistes plutôt d’un certain péril général  qui court à travers le corps social tout entier, menaçant  toute chose et tout le monde, puisque nul n’est à l’abri de  la folie ni de la menace d’un fou. L’aliéniste a été avant tout  le préposé à un danger ; il s’est posté comme le factionnaire  d’un ordre qui est celui de la société dans son ensemble. »

L’ironie de J.-M. MACHADO DE ASSIS est également  présente dans tout le texte et se développe au niveau  politique, social et moral, ce qui en fait une constante  technique narrative : sa structure fabulaire présente  la frustration de l’attente lorsque les événements prennent  une tournure contraire à ce qui est espéré, surprenant  continuellement le lecteur. À cette forme ironique s’est  inextricablement lié un contenu humoristique car, comme  nous le savons, l’essence du comique réside dans un certain  détournement de la normalité. Et parmi les nombreux récits  de J.-M. MACHADO DE ASSIS qui traitent de la conception  ironique du destin, ce destin qui frustre tant les espérances  humaines, il y a L’Aliéniste.

Ironiquement, ce conte exprime la thèse selon laquelle  l’homme lucide est fou, parce qu’anormal. La lucidité  mentale est un symptôme de folie car, chez l’homme qui  essaie d’être authentique, selon des postulats idéologiques,  elle provoque l’isolement du monde dans lequel il vit.

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Auteur de l’époque réaliste-naturaliste, J.-M. MACHADO  DE ASSIS dialogue parfois implicitement, et d’autres fois plus  explicitement, avec des situations et des discussions de son  époque : le positivisme d’Auguste COMTE, le darwinisme  biologique et social, l’évolutionnisme d’Herbert SPENCER,  ainsi qu’avec les idées libérales en vigueur à la fin  du XIXe  siècle au Brésil. En effet, la nouvelle  a été écrite au moment où l’on commençait à parler de  l’évolutionnisme et des théories déterministes au Brésil.

Sceptique, J.-M. MACHADO DE ASSIS tente d’expliquer  de façon mécanique et positive le mystère de l’Univers.  En ce qui concerne les caractéristiques esthétiques,  appréhendées en contraste entre le romantisme et le  réalisme-naturalisme, la réalité présentée dans L’Aliéniste  est encore une vision nuancée de la société à l’époque  où l’amour se montre vaincu par la nature. À titre d’exemple,  Dona Evarista, épouse de Simon Bacamarte, fut choisie  parce qu’elle satisfaisait aux conditions physiologiques  et anatomiques du premier ordre. Elle pourrait ainsi  avoir des enfants « robustes et intelligents ». Focus sur  le déterminisme biologique : c’était la grande discussion  de l’époque.
Quant à l’intertextualité, elle est présente dans tout  le tissu textuel, l’auteur faisant constamment référence  à des dialogues intertextuels sous forme de métaphores :  la « Bastille de la raison humaine », soit la critique satirique  envers les événements parisiens ; l’analogie de Simon  Bacamarte avec Hippocrate, considéré comme le père de  la médecine, et Caton, le philosophe austère et moraliste.

Il y a aussi des références au positivisme, lorsque le barbier,  dans un discours éloquent à la foule, recommande l’ordre.  C’est-à-dire la présence de l’assimilation rhétorique du  progrès, de l’égalité et de la liberté, parce que c’est la base  de son gouvernement (« Ordre et Progrès » est d’ailleurs  resté sur le drapeau brésilien). On peut encore voir  l’adoption d’idéaux libéraux et la lutte pour la république :  la lutte pour la liberté du peuple d’Itaguaï. Quant au  dilemme de la bourgeoisie, il se manifeste à travers certains  personnages, comme l’apothicaire, Dona Evarista ou encore  le barbier.

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Selon la critique littéraire Lucia Miguel PEREIRA (1950),  J.-M. MACHADO DE ASSIS, dans ses romans et contes,  crée un personnage proprement brésilien, représentant  l’existence même de la société brésilienne sans pour autant  dépeindre le monde fictionnel aux seules couleurs locales.  C’est pourquoi, toujours selon la même critique littéraire,  J.-M. MACHADO DE ASSIS peut être apparenté à un auteur  universel. L’auteur pénètre la conscience des personnages,  sondant leur fonctionnement et capturant les impulsions  contradictoires des êtres humains, démystifiant l’ensemble  des relations sociales, en insistant sur le contraste entre  l’essence et l’apparence, où le succès financier semble  être l’objectif principal. L’homme cesse d’être le centre  pour devenir une partie d’un système. Il y a quelques  caractéristiques frappantes dans la nouvelle que nous  ne pouvons pas ne pas mentionner, comme l’appréhension  de la réalité ou l’exactitude des détails occupant une place  centrale dans la technique narrative.

Selon José Mauricio G. DE ALMEIDA (1998), L’Aliéniste n’est pas une parodie de la science psychiatrique ou de  ses manicomes, dans le sens réaliste du terme, mais une  allégorie élaborée avec fine ironie sur la nature humaine  et les bouleversements du monde.

 Texte de Mari Hélène Torres

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