Le cloud a explosé. Tous nos secrets mis à nu. Nos identités en danger ! Comment Brian K. Vaughan a eu cette idée ? Comment est née l’intrigue de The Private Eye ?

Le concept

Dans un futur pas si lointain, tout le monde aura une identité secrète.

Le thème

C’est une histoire sur la vie privée, et sur l’actuelle campagne que notre génération mène contre elle. Est-ce que ce sera bon ou mauvais pour la société, au final ? Je n’ai pas la réponse à cette question, je veux donc créer un comic book pour la trouver.

Le ton

Polar futuriste, mais plus lumineux et pétillant que la noirceur apocalyptique de Blade Runner. Et même s’il y a des masques et des costumes colorés dans notre monde, il n’y a pas de super-pouvoirs mythiques, seulement de la science-fiction plausible (quoique divertissante et follement imaginative !). C’est un mystère enrobé d’action, de sexe et de commentaire social brut de décoffrage.

Le contexte

Autrefois, les Américains confiaient leurs informations les plus précieuses à quelque chose qu’on appelait le Cloud. Et qu’ils en soient conscients ou pas, ce Cloud contenait aussi des informations détaillées sur leurs plus noirs secrets et leurs désirs cachés.

Et puis, un jour, le nuage a explosé.

Personne ne sait si c’est un accident, une déclaration de guerre ou un acte divin, mais pendant quarante jours et quarante nuits, le Cloud a déversé tout son contenu sur le pays. Le déluge qui s’en est suivi n’a épargné personne. Des biens numériques ont été complètement effacés et de grandes bibliothèques en ligne ont été perdues à jamais, mais c’est surtout la fuite d’information sur la vie privée des gens, longue et continue, qui a détruit des vies.

Nos parents craignaient Big Brother, nous étions devenus Big Brother, une génération d’exhibitionnistes contents de dévoiler tous les détails de nos vies privées les uns aux autres. Mais le Grand Déluge a révélé que nous ne partagions qu’une version de nous- mêmes, un fantasme aussi impalpable que le Cloud lui-même. Alimenté par notre propre inconscience, le réseau que nous avions créé pour préserver et partager nos triomphes du quotidien avait aussi retenu et dévoilé nos pires manquements.

Comme si WikiLeaks s’était attaqué à l’humanité elle-même, tous nos dossiers médicaux, nos factures de cartes de crédit, nos comptes mail, nos mots de passe financiers, nos notes de lycée, nos dons politiques, nos textos, nos déplacements repérés par GPS, nos photos Facebook, nos critiques anonymes sur Amazon, nos historiques de recherche sur Internet, nos playlists honteuses, nos déclarations d’impôt, nos romans inachevés, nos projets Photoshop abandonnés, nos messages privés sur Twitter, nos profils de sites de rencontre, nos sex-tapes, nos messages vénéneux sur les forums, nos publicités Craigslist, nos SMS tardifs, ivres et pathétiques à nos ex-petites amies… tout ça est devenu instantanément consultable par qui que ce soit… employeurs, voisins, êtres chers, ou seulement des inconnus curieux.

Des carrières ont été perdues, des réputations détruites, des amitiés enterrées, des familles marquées à jamais.

Quarante jours plus tard, le Grand Déluge s’est enfin arrêté, et ceux qui étaient encore debout ont compris qu’il était temps de rebâtir. La vie allait être changée à jamais, et peut-être était-ce une bonne chose.

Le nuage avait disparu, mais pour la première fois depuis longtemps, les gens pouvaient voir le ciel.

Notre nouveau monde

Notre histoire se déroule en 2076, plusieurs décennies après le Grand Déluge. Cela se passe à LOS ANGELES, une ville qui a toujours eu un rapport complexe à la célébrité et à la vie privée.

Si la Liberté est actuellement le centre d’intérêt de mon pays, je pense que sa prochaine obsession sera son ancienne flamme, la Vie Privée, en particulier le Quatrième Amendement, qui garantit « le droit du peuple à être protégé dans sa personne, dans son foyer, dans ses documents et ses effets personnels contre toute recherche ou saisie déraisonnable ».

L’ancien Président de Google, Eric Schmidt, a dit un jour (pour rire ?) : « Chaque jeune personne aura un jour le droit automatique à changer son nom en atteignant l’âge adulte, afin de se dissocier d’erreurs de jeunesse stockées chez leurs amis sur les réseaux sociaux. »

Et si le changement de nom n’était que le début ? Et si, comme les femmes dans certaines sociétés islamiques fondamentalistes qui portent une burqa pour quitter la maison, quasiment chaque Américain adulte enfilait un genre de DÉGUISEMENT avant de sortir de chez lui ? Au contraire des burqas, ces costumes et ces masques seraient extrêmement variés, pouvant aussi bien être sobres et conservateurs que colorés et hyper-sexualisés. Tout le monde en aurait un, mais la plupart en aurait plusieurs.

En bref, les Américains ont maintenant le droit d’explorer, en sécurité et dans l’anonymat, de nouvelles idées et de nouvelles identités dans le MONDE RÉEL, de la même façon que nous le faisions en ligne en 2011.

Chaque élément de la vie quotidienne est désormais conditionné par la discrétion, la plupart des banlieusards se glissant hors de leurs garages souterrains dans des voitures neutres aux fenêtres teintées. Les travailleurs se « démasquent » normalement, une fois au bureau avec leurs collègues en qui ils ont confiance, mais ils reprennent chacun l’une de leurs multiples identités secrètes une fois qu’ils quittent leur travail séparément, dans des ascenseurs privés.

Ce qu’on fait hors du lieu de travail n’est plus l’affaire de l’employeur.

Et parce qu’Internet n’existe plus et que tout son précieux contenu a disparu, il y a un intérêt renouvelé pour la beauté et la permanence des objets physiques, tels les livres, les disques et les immeubles. La communication numérique n’est plus digne de confiance, nous sommes donc revenus au bon vieux temps des CABINES TÉLÉPHONIQUES à la Clark Kent et des TUBES PNEUMATIQUES pour délivrer des messages sur papier flash, destiné à être brûlé après lecture.

En fait, sans Internet, le monde est devenu littéralement un « ensemble de tubes », des automobiles futuristes voyageant à travers des tunnels transparents qui se croisent bien au-dessus de la ville, des boulevards en haute altitude reliant les divers quartiers de Los Angeles de façon inédite.

Avec la fin du monde virtuel, les ingénieurs ont cessé de construire des sites Internet et se sont remis à construire des CHOSES. Décrochés des écrans qui limitaient leur vision vers l’intérieur, les inventeurs ont cherché de nouvelles façons de transformer le monde autour d’eux, et une industrie ouvrière ressuscitée a fini par bâtir le genre de pays des merveilles rétro-futuristes dont rêvaient des gens comme Walt Disney.

Des citoyens masqués s’essayent régulièrement à des réunions politiques, des événements culturels, des sex-clubs et des lieux de culte, sans craindre d’être jugés par leur communauté. Des identités alternatives sont révélées à des camarades aux passions communes, d’autres sont cachées même aux personnes les plus proches. Plutôt que de détruire le mariage, cette nouvelle union de la liberté et de la discrétion n’a fait que renforcer l’institution, faisant chuter les statistiques de divorce.

Les acteurs, les athlètes professionnels et d’autres célébrités peuvent désormais porter un masque et interagir librement avec le reste du monde. Ils ne sont maintenant célèbres que pour leurs exploits, pas pour les détails sordides de leur vie privée.

Cependant, il reste des occasions où il faut légitimement enquêter sur des individus et les plus puissants agents de maintien de la loi sont devenus les JOURNALISTES, des agents fédéraux qui travaillent pour une nouvelle branche du gouvernement, indépendante et encadrée par les citoyens : Le Quatrième Pouvoir.

Dans le futur, il ne suffit pas d’avoir un blog pour devenir journaliste. Cette profession nécessite beaucoup d’entraînement et les hommes et les femmes journalistes se servent de leurs talents, de leurs armes et de leurs mandats de fouille pour informer et protéger les citoyens. Mais parce qu’ils ont de nouveaux pouvoirs et de nouvelles responsabilités, les journalistes… comme les autres officiels élus… n’ont pas le droit de porter de masques, seulement des lunettes noires et des chapeaux à l’ancienne qui les identifient clairement comme membres de la « PRESSE ».

En plus des quotidiens fournis par le Quatrième Pouvoir, quand les citoyens veulent rapidement des informations gratuites et précises, ils se tournent vers les BIBLIOTHÉCAIRES, dont les lieux de travail sont désormais traités comme des temples.

Les bibliothécaires sont les rock-stars du futur, des professionnels talentueux au grand sex-appeal et au travail très bien rémunéré et très convoité. Fiables et dignes de confiance, les bibliothécaires vous aideront discrètement à trouver précisément ce que vous cherchez… tant que c’est légal et que ça n’empiète pas sur la vie privée d’autrui.


The Private Eye NOUVELLE EDITION + FOURREAU
Le Cloud a implosé, et avec lui tous les secrets les plus précieux de l’humanité, des trafics les plus illicites aux photos de voyage du citoyen lambda, se sont retrouvés à la portée de tous. Désormais, nous évoluons masqués, seul moyen de protéger ce qu’il reste de notre intimité. Bienvenue dans une société post-Internet.
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