J’avais onze ans quand je me suis aperçu que Gotham était un endroit réel, l’endroit où je vivais.
Cela, je l’ai appris dans une bande dessinée intitulée BATMAN ANNÉE UN, écrite par Frank MILLER. Ce livre racontait une histoire que même un enfant de mon âge connaissait déjà : l’origine de Batman. L’histoire d’un petit garçon qui assiste au meurtre de ses parents dans une allée sombre, et se jure de lutter contre le crime pour éviter que de telles tragédies surviennent à nouveau.
Certes, ce récit m’était familier, mais raconté par MILLER, il me donna pour la première fois l’impression de le vivre. À travers les cases de la BD, j’apercevais un Gotham que je ne connaissais que trop. Les rues jonchées de détritus, le crime, les gangs, les graftis, le délabrement. Parce que j’étais un enfant des années 80 vivant à Manhattan, tout cela faisait partie de mon quotidien. Je connaissais ces aspects de la vie citadine, qui parfois m’efrayaient, et pouvaient faire de New York un lieu terrifant. Et soudain, dans ce décor sinistre, surgissait Batman au cœur de la nuit. Pas le Batman que j’avais connu jusque-là dans les autres BD. Il n’avait ni musculature impossible, ni sourire éclatant, ni gadgets. Ce Batman-là avait l’air humain, mais aussi intimidant et héroïque. BATMAN ANNÉE UN a suscité la controverse en son temps, mais pour moi, c’était avant tout une réinvention de Batman qui, à mes yeux, le rendit plus réel que jamais et ft de lui une source d’inspiration. Car ce Batman-là, rien que par sa présence, dans un reflet si fidèle de New York, portait un message : triomphez de vos peurs, même dans un endroit pareil. Soyez un héros.
Aujourd’hui, un quart de siècle plus tard, la ville a changé de fond en comble. Bien sûr, les vices d’antan subsistent, parfois sous d’autres formes, mais il faut bien admettre que la plupart des New-Yorkais ont désormais un rapport différent à la peur. Pour le meilleur et pour le pire, le New-York des années 2010 n’est pas celui des années 1980. Le centre de la ville, dépotoir de mes jeunes années, brille aujourd’hui de mille feux. Le métro est plus propre, Central Park est plus sûr. Les gangs, la drogue et le crime n’ont pas disparu, mais il me semble (et je peux me tromper) qu’au palmarès de nos craintes, ils ont cédé la place à la peur d’une violence à plus grande échelle, aveugle et sans objet. La peur de l’attentat-surprise, qui peut toucher une rame de train ou un gratte-ciel à tout moment.
La peur des sirènes et des cris de détresse qui troublent une journée ensoleillée.
Ainsi, pour nous autres, l’équipe créatrice de la série BATMAN, le moment a paru opportun de remodeler une fois de plus cette histoire emblématique. De raconter à nouveau ce qu’il advint de ce petit garçon, en cette nuit fatidique, mais avec pour objectif de rendre Gotham et Batman réels, tangibles pour le lectorat d’ aujourd’hui. Voilà ce que nous espérons accomplir avec BATMAN : L’AN ZÉRO. Pas parce que nous avons le sentiment que BATMAN ANNÉE UN laisse à désirer d’une quelconque façon : c’est un chef-d’œuvre, d’un bout à l’autre. Mais nous avons estimé que l’heure était venue de conter la légende d’une manière inédite, qui, nous l’espérons, entrera en résonance avec les peurs et les espoirs des New-Yorkais d’aujourd’hui. Et de tous les autres aussi, car en vérité, nous vivons tous à Gotham.
Et ce que Batman est censé nous rappeler, lorsqu’il surgit du cœur de la nuit, c’est que cette ville est la nôtre ; que nous devons être braves, vaincre nos peurs, et sans cesse nous battre pour elle.
Scott Snyder, 2013