Bonjour.

Et voici venir l’épisode 50 de SCALPED. Le simple fait de voir ce chiffre me fait sourire. Qu’importe la manière dont un « professionnel » devrait agir, je pense que c’est le bon moment pour vous faire un aveu… ou peut-être même deux. 

Pour commencer, mon vrai nom n’est pas GUÉRA. Ce n’est même pas GÉRA (tel que cela devrait l’être). Voilà pourquoi :

Lorsque j’avais onze ou douze ans, ma famille et moi avons déménagé d’un quartier de Belgrade à un autre (j’ai grandi dans ce qui est aujourd’hui la Serbie, mais à l’époque c’était encore la Yougoslavie). J’ai donc dû changer d’école. En tant que petit nouveau, je devais retenir beaucoup de noms, parmi lesquels un dont je n’arrivais jamais à me rappeler correctement. Le nom en question était « Gruya » (un nom originaire du Montenegro et dont la prononciation ne se rapprochait d’aucun standard, pas même serbe). D’une manière ou d’une autre, je l’ai mal entendu la première fois, compris qu’il s’appelait « Géra » et continué à l’appeler comme ça. Tous les enfants se moquaient secrètement de moi et pour entretenir la plaisanterie, se gardaient bien de me dire que je me trompais. Quand j’ai fini par m’apercevoir de mon erreur, je l’ai bien évidemment rectifié, mais c’était trop tard. Ils m’appelaient tous « Géra ». C’est resté. Ce n’est pas un pseudonyme, ou autre… Même ma mère m’appelle comme ça ! Lorsque je suis parti m’installer à Barcelone au début des années 90, « Géra » s’est finalement transformé en « Guéra » car j’en avais assez de devoir expliquer aux Espagnols comment mon nom devait être prononcé. Comme ils avaient tendance à le prononcer « à la Dark Vador », j’ai décidé de lui ajouter une lettre et une nouvelle prononciation. Je ne sais pas si j’ai réussi, mais ce petit détail à rendu mon quotidien beaucoup plus facile.

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Simplement pour vous expliquer que tout ce que je dessine, écrit, joue, vie… afflue directement du cerveau (et du cœur) d’un Serbe élevé en Yougoslavie, émigré en Espagne et qui s’adresse à vous en anglais. Alors, s’il vous plaît, je vous demande un peu de compréhension.

Peut-être que ces expériences expliquent en partie la variété des projets sur lesquels j’ai travaillé : des comics pour la France, l’Espagne et l’Amérique, des comics pour les enfants sur le thème des chevaux, des comics de samouraï, et même un pour une banque. Une très longue carrière en tant que professionnel, donc.

Faire partie de l’industrie du comics depuis si longtemps finit par donner confiance en soi, car on y apprend beaucoup de choses… comme reconnaître un bon script lorsqu’on en voit un, savoir que sa deuxième relecture est déterminante, comment s’en imprégner suffisamment pour le faire sien, comment gérer la quantité de dessins à réaliser (étape qui paraît parfois interminable, mais qui peut s’accomplir sans encombre dès les premiers essais), savoir reconnaître les critiques constructives faites par son éditeur, savoir que les premières heures du jour sont propices aux meilleures idées…. Oh, tant de choses. Présenté tel quel, vous devez penser qu’être au cœur du processus vous donne une meilleure vue d’ensemble.

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Eh bien… Peut-être… Ce qui me ramène à SCALPED… Et  ma seconde confession :

SCALPED demeure un mystère pour moi.

Je me suis longtemps menti à moi-même en imaginant que, si j’avais réussi à intégrer le milieu, c’était grâce à mon talent, mon habilité à raconter des histoires. À chaque nouvel épisode, chaque nouvelle histoire, ce récit restait pourtant une énigme (tel qu’il l’était depuis le début). Les réponses que je pouvais trouver n’apportaient que de nouvelles et nombreuses questions, et ce mois après mois. Comme un marin de cent ans qui connait mieux que personne tous les nœuds et gréements, mais frisonne pourtant chaque fois qu’il se trouve face à la mer. Une étendue secrète donc la profondeur n’a d’égal que son mystère.

Bon, d’accord…
J’imagine que je n’ai pas encore assez de recul pour pouvoir juger de tout ça. Mais j’ai fini par comprendre. Par apprendre. Comme tout trésor caché, il y a un prix à payer : pour laisser le lecteur s’immerger au cœur de SCALPED, les auteurs doivent laisser leur place, rester « en dehors ». J’ai découvert ce trésor, mais il est temps maintenant de le partager. Celui qui prépare les cocktails doit rester sobre. C’est l’incroyable paradoxe qui lie le créateur au récepteur.

SCALPED est une incroyable aventure, et même si  elle dure aujourd’hui depuis presque six ans, si quelqu’un me réveillait en pleine nuit pour me dire que ça ne fait en fait que six mois, je le croirais. Le temps est passé si vite ! Aujourd’hui, je suis exactement là où j’ai envie d’être. Alors, un GRAND merci à tous ceux qui suivent la série « de l’intérieur » pour nous donner la force de rester à l’extérieur. Nous ne pourrions pas être mieux récompensés.

Et à mes coéquipiers, Jason, Giulia, Jock, Mark et Will : restez au top. Pour le reste, je ne me fais pas de souci. Allons faire un tour.

C’est parti.
R.M. Guéra

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Découvrir Scalped

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