Il est des textes qu’on n’aimerait pas avoir à écrire mais l’actualité de ces derniers mois a été particulièrement forte en émotions pour les fans de longue date de l’Univers DC et de leurs comics : trois auteurs, et non des moindres, nous ont quittés, laissant derrière eux un cortège d’œuvres remarquables et remarquées qui ont contribué parfois non seulement à changer le visage de l’éditeur mais également celui de toute une industrie.

Neal Adams

Neal ADAMS (1941-2022) avait ainsi acquis un statut de légende non seulement en tant que dessinateur et scénariste mais également en tant qu’ardent défenseur des droits des auteurs ainsi que pionnier dans l’édition indépendante en creator-owned, puisqu’il avait, avec Continuity, sa maison d’édition qui reprenait le nom de son studio, tenté de rivaliser avec les Big Two en lançant une multitude de titres et de personnages bien avant Image ou Valiant. Dernière superstar de l’Âge d’Argent ou première de l’Âge de Bronze – chacun se fera son avis – Neal ADAMS va devenir également le dessinateur le plus influent de sa génération : qu’on en juge par les premiers travaux de John BYRNE, Bill SIENKIEWICZ ou bien Frank MILLER sur les X-Men, Moon Knight ou Daredevil.

Cette aura, il l’acquière après avoir défini, redéfini ou même révolutionné les séries auxquelles il participe, à des degrés divers (parfois en seul scénariste, parfois en collaboration). Si Arnold DRAKE et Carmine INFANTINO ont inventé Deadman, c’est la version d’ADAMS qui pose les bases du personnage ; si Julius SCHWARTZ et Carmine INFANTINO apportent le Batman « New Look » qui connaîtra un succès considérable lors de la diffusion de la série télé avec Adam WEST, c’est Neal ADAMS et Dennis O’NEIL qui lui redonneront ses lettres de noblesse après l’arrêt de celle-ci ; le même tandem est aux commandes de GREEN LANTERN/GREEN ARROW et apporte une nouvelle manière d’intégrer les considérations politiques et sociales au sein d’histoires de super-héros, ce faisant, les auteurs allument la mèche qui donnera lieu à l’explosion d’une réflexion post-moderne sur les concepts super-héroïques des années 1980, les travaux d’Alan MOORE sur Miracleman, V POUR VENDETTA ou WATCHMEN en tête. Et que seraient les X-Men sans ces épisodes fabuleux où Roy THOMAS et Neal ADAMS livrent des remakes survitaminés des premières aventures créées par Stan LEE et Jack KIRBY ? Les Sentinelles, la Terre Sauvage, le retour de Magneto, humanisé sans son casque… impossible de ne pas y voir les racines du run inoubliable de Chris CLAREMONT (alors assistant éditorial de THOMAS) et de John BYRNE (qui leur offrira même une série entre suite et hommage avec X-Men: Hidden Years). Quant à ses Avengers, la Guerre Kree-Skrull, imaginée comme la consécration et l’unification des différentes intrigues du Marvel de l’époque, elle fait encore florès aujourd’hui avec des dérivés notables comme la saga Infinity écrite par Jonathan HICKMAN.

Venu du monde du comic-strip (l’adaptation du soap médical Ben Casey) et passé par les aventures humoristiques de Jerry LEWIS et Bob HOPE ainsi que des histoires de guerre (comme une de ses idoles, Joe KUBERT), ADAMS aura abordé tous les genres et touché également à des personnages mythiques comme Conan et Dracula tout en réalisant un nombre incalculable de couvertures, souvent le joyau (voire le seul intérêt) du titre qu’elles ornaient. Son dernier triomphe dans les années 70 est un choc des titans, Superman vs. Muhammad Ali, sorti la même année que l’excellent film de Richard DONNER – et encore plus spectaculaire – : un one-shot dans lequel il fait montre de toute sa maestria, en mélangeant son savoir photoréaliste à celui tonitruant de ses comics de genre. Une vedette plus grande que nature qui rencontre le héros de fiction le plus flamboyant : la réalité historique, sociale et politique la plus palpable qui percute l’imaginaire le plus fantaisiste. Voici la meilleure définition du travail de l’artiste.

Car ADAMS aura avant tout dynamité les cases et la narration des comics de super-héros, adoptant une mise en page énergique, empruntant aux codes du cinéma d’action et anticipant ainsi les blockbusters qui dominent les salles de cinéma à l’heure actuelle. Il aura d’ailleurs participé dans les années 1990 à la conception artistique des films BATMAN FOREVER et BATMAN & ROBIN, avant de revenir à partir des années 2000 à ses premières amours, tout d’abord en remasterisant ses anciens épisodes puis en réalisant des mini-séries sur ses personnages fétiches comme Deadman, les X-Men ou bien Batman et Superman. Il finira même sa carrière sur une reprise de Fantastic Four, titre fondateur de l’univers Marvel, et personnages qu’il n’avait jusqu’alors croisés qu’au détour de ses épisodes sur Avengers.

Enfin, ADAMS était connu pour ses prises de positions souvent hardies et la témérité sans faille de ses propos, une attitude qui lui servit notamment à avoir gain de cause, avec Jerry ROBINSON et d’autres, lors de la défense des auteurs dépossédés de leurs créations, tels Jerry SIEGEL et Joe SHUSTER. Il tente également de monter un syndicat dans les années 70, et participe à un travail de mémoire sur la Shoah en produisant un documentaire dans les années 2010.

Iconoclaste et révolutionnaire, Neal ADAMS a non seulement pavé la voie des auteurs modernes mais en a également dressé les fondations.

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