George Pérez

Si Neal ADAMS a donné le la graphique de DC dans les années 70, George PÉREZ (1954-2022) a fait de même dans les années 80. Après des débuts en tant qu’assistant de Rich BUCKLER, il obtient ses premiers titres chez Marvel dont les Fils du Tigre, dans les pages du magazine Deadly Hands of Kung-Fu, où il conçoit le personnage du Tigre Blanc, un super-héros d’origine portoricaine. Mais c’est avec son travail sur Inhumans, Fantastic Four et Avengers, trois séries qu’il dessine de concert au cours de l’année 1975, qu’il se place déjà comme un artiste de groupe foisonnant et de plus en plus assuré. Comme Neal ADAMS, George PÉREZ flirte avec le « réalisme », il dessine ainsi l’adaptation de L’Âge de cristal, mais apporte également un sens du merveilleux qui renvoie aux illustrateurs de comics vétérans. Avec son maintien sur Avengers et Fantastic Four, il opère la synthèse entre la rigueur et la crédibilité d’un Curt SWAN et la puissance débridée d’un Jack KIRBY : ses super-héros sont tout à la fois élégants et imposants, ses vilains classieux et dangereux.

Avec une production prolifique à la qualité constante et qui respire l’amour de ses personnages, PÉREZ est ainsi vite reconnu par les lecteurs comme l’un des leurs. Il se distingue des dessinateurs phare du début des 70s par ce côté « fan », n’hésitant pas à dépeindre des scènes de flashback ou des renvois aux classiques de Marvel, et il est tout à fait à son aise au milieu de la génération montante de scénaristes, dessinateurs et éditeurs qui ont tous grandi avec ces comics et ont à cœur de perpétuer la tradition. Qu’on en juge notamment par ses Marvel Two-In-One, avec la saga du « Projet Pegasus » écrite par Mark GRUENWALD & Ralph MACCHIO et supervisée par Roger STERN, où il croise son rival d’alors et vedette montante : John BYRNE. Pour la Maison aux idées qui vient de passer sous la houlette de Jim SHOOTER, la relève de KIRBY, DITKO, COLAN et autres ROMITA père est enfin arrivée.

Mais c’est chez le Distingué Concurrent, DC, que George PÉREZ va faire ensuite feu de tout bois. Attiré par Len WEIN, avec qui il a travaillé sur Fantastic Four, Pérez crée, avec le scénariste Marv WOLFMAN, LE titre qui va remonter les ventes déclinantes de l’éditeur : les NEW TEEN TITANS. Si, à la même époque, le dessinateur parvient à réaliser plusieurs des meilleurs épisodes du titre Justice League of America, c’est bel et bien sur les ex-associés des plus grands héros au monde que la magie va opérer. Jamais auparavant Robin, Kid Flash, Wonder Girl ou Changelin, ex Beast-Boy, n’avaient été traités avec autant de respect : devenus de véritables personnages en trois dimensions – parfois criblés de doutes mais toujours animés par l’espoir –, ils font équipe avec trois créations du tandem WOLFMAN/PÉREZ qui anticipent, bien des années avant, les injonctions de diversité au sein des équipes. Raven, Cyborg et Starfire sont tout aussi complexes et fascinants : le groupe se lie d’amitié au fur et à mesure des épisodes et la vie privée passionnante de ses membres prend autant de place au sein des pages que les combats contre des adversaires qui n’ont rien à leur envier niveau charisme. Brother Blood, Trigon, le groupe terroriste HIVE, les Fearsome Five et bien entendu Deathstroke… la série NEW TEEN TITANS offre mois après mois son lot d’affrontements sans précédent. D’ailleurs George PÉREZ offre avant son départ du titre deux sagas spectaculaires où culminent toutes les qualités du titre : le Contrat Judas dans lequel Dick Grayson devient Nightwing (le passage à l’âge adulte étant LE thème de la série), et la revanche de Trigon qui voit Raven confrontée une ultime fois à son père démoniaque, raison de la création du groupe. La boucle est bouclée et PÉREZ et WOLFMAN auront eu à peine le temps d’offrir un moment d’accalmie avec le mariage de Donna Troy avant… de détruire tout un multivers !

Sans crier gare, le duo profite des cinquante ans de la firme pour réaliser un crossover d’ampleur à l’époque inédite : CRISIS ON INFINITE EARTHS. En 1985, sur douze numéros dont aucun ne souffrira de retard, George PÉREZ met en scène l’annihilation des dimensions parallèles de la firme par l’Anti-Monitor. Une saga-catastrophe où toutes les vedettes de la firme, héros, vilains et mêmes personnages secondaires oubliés, sont conviés et dont le récit va du Big Bang au lointain futur ! Flash, Supergirl et même Wonder Woman y perdront leur vie et au sortir de l’aventure, c’est toute l’histoire de l’Univers DC qui est intégralement réécrite. De par son succès et son ampleur, CRISIS est encore à ce jour un modèle pour les crossovers événementiels, dont bon nombre n’ont jamais pu atteindre le niveau de prestige.

Si PÉREZ, après CRISIS, revient épauler Marv WOLFMAN sur quelques épisodes des Titans, c’est bel et bien sur un des piliers de DC que ses talents vont s’exercer dans les années qui suivent. Tout comme Batman, avec Frank MILLER et David MAZZUCCHELLI, et Superman avec John BYRNE, Wonder Woman voit ses origines et son passé réinventés pour l’occasion et George PÉREZ va offrir un tout nouveau supporting cast ainsi qu’un environnement inédit – la ville de Boston – pour sa série, chapeautée par Karen BERGER quelques années avant la création de Vertigo. Titre privilégiant autant l’intime que le mythologique, Wonder Woman va définitivement imposer la caractérisation de la Princesse Amazone jusque dans ses différentes adaptations cinématographiques ou animées.

Après un court passage sur Action Comics et déçu du peu de soutien que son crossover événement, War of the Gods, reçoit au sein de DC l’année même des cinquante ans de Wonder Woman, PÉREZ repart pour Marvel et y signe les premiers épisodes de la fameuse mini-série Infinity Gauntlet, écrite par Jim STARLIN et terminée par Ron LIM, dans laquelle Thanos use du gant de l’infini contre les forces assemblées des super-héros de la Maison des Idées. Puis, il signe avec Peter DAVID, qui créera avec lui la série indépendante Sachs and Violens, le non moins important Hulk : Futur Imparfait, qui voit la première apparition du Maestro, version futuriste malveillante du géant vert.

Si le début des années 1990 est marqué pour George PÉREZ par des projets avortés ou peu remarqués (comme ses apparitions dans l’Ultraverse de Malibu), l’artiste revient en force avec la version Heroes Return des Avengers écrite par Kurt BUSIEK, tout juste auréolé des succès de Marvels et Astro City. Présent sur le titre pour une trentaine d’épisodes, il redonne un lustre longtemps absent à l’équipe-phare non mutante de la firme. La nostalgie s’empare du titre pour le plus grand plaisir des lecteurs de longue date, mais le trait résolument affirmé de PÉREZ qui donne une morphologie, une attitude et un « jeu d’acteur » au casting pléthorique de l’équipe convainc également les lecteurs plus récents. Et c’est tout naturellement que les éditeurs des deux firmes en viennent à s’accorder pour permettre à George PÉREZ et Kurt BUSIEK de réaliser le projet de rêve du dessinateur avorté dans les années 1980 : JLA/Avengers.

Entretemps, PÉREZ aura tenté des percées chez les indépendants avec sa création Crimson Plague et un contrat d’exclusivité chez feu CrossGen, mais tout ceci est rapidement éclipsé par les quatre numéros mettant en scène la Ligue de Justice et les Avengers. Sortie en 2003, la mini-série met en scène toutes les stars des deux mastodontes de l’édition américaine, mais la véritable vedette c’est PÉREZ qui offre notamment des images mythiques comme un page où Batman et Captain America se jaugent durant un combat, une couverture sur laquelle Superman empoigne le marteau de Thor et le bouclier de Captain America et la wraparound du troisième numéro avec TOUS les membres des deux équipes courant vers le lecteur. Jamais plus un projet de cette taille ne verra le jour dans le paysage des comics américains et il faut saluer l’édition française, la seule, de l’équipe Semic, truffée de commentaires et de rédactionnels passionnants.

Les dernières années de carrière de PÉREZ montrent l’artiste tenter de surpasser ce coup d’éclat avec des titres où foisonnent les créations de DC Comics. The Brave and the Bold écrit par Mark WAID et Final Crisis Legion of Three Worlds écrit par Geoff JOHNS, outre leurs grandes qualités intrinsèques, ont cette particularité que seul un grand comic book de super-héros peut évoquer : celui de donner le sentiment que tout est possible à chaque page, chaque case.

Si l’expérience du New52 sera loin d’être concluante avec les titres Superman et Worlds’ Finest, George PÉREZ aura néanmoins l’occasion dans les années 2010 de terminer un autre projet qui aurait dû sortir en 1987 : le graphic novel New Teen Titans : Games, écrit par WOLFMAN, et au format carré offrant à PÉREZ tout le loisir de s’exprimer autant du point de vue narratif que descriptif. Là encore, on retrouve le goût pour la caractérisation poussée de ses héros, le talent pour les coups de théâtre et l’inventivité dans les péripéties et les dangers qu’affrontent les héros.

Éloigné de sa table à dessin pour des raisons de santé depuis plusieurs années, George PÉREZ n’en avait pas moins encore à cœur de ne pas décevoir ses fans. Lui qui échangeait toujours avec ses lecteurs avec un enthousiasme communicatif au cours des conventions, il avait fait le choix d’informer la grande masse de ses admirateurs des complications qu’il connaissait dues à un cancer du pancréas. Lorsque le moment tant redouté est arrivé, c’est toute la planète comics qui s’est arrêtée et ce, on peut en être sûr, partout à travers l’infinité des dimensions qu’il dépeignait.

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