Les super-héros vivent une double vie. À leurs ennemis, ils cachent l’identité civile sous laquelle ils occupent un métier et vivent des activités quotidiennes. À leurs proches, ils dissimulent leurs avatars costumés, de peur de les inquiéter et de les mettre en danger.

 

 

Quand on cherche à définir ce qu’est un super-héros, plusieurs critères de définition viennent à l’esprit. Parmi eux, on pense aux super-pouvoirs, au costume coloré, au repaire secret, et, bien entendu, à l’identité secrète. Les super-héros, que l’on appelle bien souvent les « justiciers masqués », protègent leur vie civile en se déguisant, ce qui leur assure un certain anonymat et une marge de manœuvre évidente quand il s’agit d’aller combattre le crime. Cependant, ce n’est pas toujours facile. Mener deux vies en parallèle demande beaucoup d’ingéniosité et une certaine endurance. Qui plus est, il faut s’assurer que personne ne se demande pourquoi les deux personnages ne sont jamais vus ensemble. Quand on est, comme Clark Kent ou Barry Allen, amoureux d’une journaliste aussi ingénieuse que perspicace, comme le sont respectivement Lois Lane et Iris West, cela oblige à déployer des trésors d’inventivité.

Rester caché

Si Superman, premier de tous les super-héros, agit à visage découvert, nombreux sont ses collègues à porter un masque.
Un masque qui recouvre le haut du visage, comme Batman, ou un simple loup, comme Green Lantern. Toujours est-il que le super-héros grime ses traits afin qu’on ne fasse pas le rapprochement. Lois Lane a ainsi consacré beaucoup d’épisodes à essayer de découvrir la réelle identité de L’Homme d’Acier. Dans Superman #17, de 1942, elle a une idée saugrenue : et si Superman était en réalité Clark Kent ? Mais une idée saugrenue n’arrête pas Lois Lane, et elle se met en tête de démasquer le surhomme, qui doit trouver des expédients inédits pour détourner son attention. Iris West, quant à elle, entretient une relation amoureuse avec Barry Allen, de la police scientifique. Parallèlement, elle enquête sur Flash, sans savoir que Barry et l’Éclair Écarlate ne font qu’une seule et même personne. Ce qui sauve Barry, c’est que sous son identité secrète, il est  constamment en retard, et Iris ne va pas imaginer que ce scientifique distrait et, pour qui la ponctualité est un doux rêve, puisse être l’homme le plus rapide du monde. Chose amusante, les premières traductions de Flash en France, au début des années 1960, présentaient le héros avec un masque retouché qui laissait apparaître les traits du visage, un passe-montagne, pour convenir aux règles de la censure de l’époque. Et dans un épisode, Iris obtient un rendez vous avec Flash. Pour les lecteurs français, voilà qui était étonnant : Barry se présente avec un passe-montagne rouge sur la tête, et elle ne le reconnaît pas !!! Pour Hal Jordan, alias Green Lantern, protéger l’identité secrète est dans un premier temps vital. En tant que pilote d’essai pour les industries Ferris, il doit protéger son alter ego de la curiosité de sa patronne, Carol Ferris. Mais quand se nouent des liens amoureux entre Hal  et Carol, mener une double vie devient complexe. Puis quand Carol devient à son tour Star Sapphire, les choses se compliquent davantage. Aujourd’hui, la chose est résolue : Hal et Carol sont au courant des activités de l’autre, et Green Lantern et Star Sapphire sont souvent associés dans leurs missions. Pour Batman, le problème est moindre : il entretient peu de liaisons suivies (son idylle avec la journaliste Vicky Vale n’a pas duré) et n’a pas de famille à préserver, puisque Alfred et Robin savent très bien se protéger eux-mêmes. Cependant, certaines personnes ont quand même percé son secret à jour…

Démasqué

À commencer par Ras al Ghul, père de Talia al Ghul (la mère de Damian Wayne, le dernier Robin en date) et chef de la Ligue des Assassins. Cet éco-terroriste, qui a essayé à plusieurs reprises de diminuer la population de la Terre afin de redonner une chance à l’écosystème, est à la tête d’une organisation criminelle internationale que Batman a combattu à plusieurs reprises avant de faire sa connaissance. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu d’attirer l’attention de Ras al Ghul, qui voit en Batman d’abord un adversaire à sa mesure, mais également un héritier potentiel, d’autant que Talia a jeté son dévolu sur le Chevalier Noir. C’est après une enquête rapide mais scrupuleuse que Ras al Ghul voit ses soupçons se confirmer : le milliardaire Bruce Wayne est bien le seul qui puisse fournir à Batman le matériel et la logistique dont  il dispose. Surgissant dans la Bat-Cave sans prévenir, Ras al Ghul annonce à un Batman assez décontenancé qu’il connaît son identité.

Superman, contrairement à Batman, et malgré sa puissance, a bien plus à perdre si son identité venait à être révélée. Cela mettrait en danger ses proches. Ainsi, sa famille et ses amis à Smallville, en premier lieu ses parents adoptifs mais également Lana Lang, pourraient être menacés. De même, le couple qu’il forme avec Lois Lane après Crisis on Infinite
Earths et Man of Steel (1986) pourrait subir les représailles des super-vilains, et ce malgré le courage et la détermination de Lois. C’est le sujet de la saga « Ending Battle », vaste cross-over qui englobe les différents titres Superman à la fin 2002, et dans laquelle Manchester Black, le premier leader du groupe appelé l’Élite, frappe directement les proches de Superman et s’attaque à sa vie privée. C’est d’ailleurs ce qu’avait sous-entendu Alan MOORE dans « Whatever Happened to the Man of Tomorrow? », un diptyque publié dans Superman #423 et Action Comics #583 en septembre 1986. Il y postulait que si Superman venait à tomber, c’est que la révélation de son identité secrète serait le premier élément d’une suite d’événements en chaîne, et donc la pierre angulaire sur quoi tout le reste repose.

Cependant, dans Superman #2 de février 1987, soit après la réfection de l’univers DC suite à Crisis on Infinite Earths, John BYRNE met en scène l’équipe de Lex Luthor qui, avec les moyens informatiques performants de l’époque, dévoile la véritable identité de Superman. Sur la couverture, « le secret est révélé », et le mot est lâché : « Clark Kent est
Superman » ! Cependant, devant l’énormité de la révélation, Lex Luthor n’y croit pas et, dans la dernière page de l’épisode, explose de rire, persuadé que le programme d’analyse a un défaut. Certaines évidences n’en sont pas, parfois. La révélation de l’identité est un tournant essentiel dans la vie d’un super-héros. La plupart d’entre eux préfèrent préserver un espace privé dans leur vie, mais d’autres font le choix de se dévoiler au public.

Tomber le masque

Le troisième Flash, Wally West, a repris le manteau de l’Éclair Écarlate à la mort supposée de son prédécesseur, Barry Allen, durant Crisis on Infinite Earths. Très rapidement, Wally rompt avec la tradition et affiche son identité secrète, persuadé qu’il pourra protéger ses proches si le besoin se faisait sentir. Cela témoigne d’une évolution du genre, et de la perception qu’en ont les scénaristes. L’identité secrète est un ressort dramatique qui semble avoir fait ses preuves, mais qui peut paraître usé aux yeux des auteurs ou des lecteurs. Qui plus est, le dévoilement d’une identité secrète peut donner une nouvelle dimension au héros, une nouvelle motivation : en effet, certains héros estiment qu’avouer qui l’on est et montrer son visage est un premier pas vers une confiance réciproque entre le héros et le public. Si l’on veut que les gens aient confiance dans les héros, il faut que ces derniers tombent le masque, en quelque sorte. Mais dévoiler son identité, c’est aussi établir une rupture entre les deux vies qu’ils mènent parallèlement. S’avouer super-héros, c’est sans doute reconnaître la prééminence de la carrière de justicier sur les autres dimensions de la vie du personnage. C’est aussi renoncer aux faux-semblants et aux déguisements. Cela peut également générer des inquiétudes auprès des gens normaux.

C’est la découverte que font John Stewart et Guy Gardner au début de la nouvelle série Green Lantern Corps (voir Green Lantern Saga #1). Tous deux essaient de reprendre une vie civile normale, Gardner en tant qu’enseignant et coach, et Stewart en tant qu’architecte. Mais deux éléments vont les amener à renoncer et à préférer la vie dans l’espace : d’une part l’appel de l’aventure, car quand on a goûté aux espaces intergalactiques et au frisson de la lutte contre le mal, c’est visiblement difficile de les oublier ; d’autre part la méfiance des gens qui, de manière fort légitime d’ailleurs, s’inquiètent de devoir embaucher des justiciers susceptibles de devoir répondre à des urgences à tout moment, mais également d’essuyer des attaques de super-vilains. Les gens normaux, en définitive, préfèrent savoir les super-héros en patrouille et prêts à les défendre, que déguisés et vivants parmi eux sous un costume civil.

 

 

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