Jérôme WICKY débute sa carrière de journaliste au début des années 2000. Après une brève expérience de scénariste (en collaboration avec Jean-Marc LAINÉ), il se spécialise dans la traduction de comics et loue ses services aux principaux éditeurs français du milieu (Semic, Delcourt, Panini, Urban Comics). Il est aussi l’auteur de la biographie Go Nagai : Mangaka de légende, publiée aux éditions Fantask. Il revient aujourd’hui sur les années Récré A2.

C’ÉTAIT AU SIÈCLE DERNIER… à une époque où la télévision n’était pas encore, pour les enfants du monde industrialisé, cet équivalent surdimensionné de la tablette tactile en moins bien, devant laquelle les vieux attendent, de façon inexplicable, de regarder des vidéos à heure fixe.

Alors, les minuscules avaient eux aussi leurs rendez-vous rituels devant un écran encore à leur taille : le mercredi, surtout l’après-midi pour les petits Français. Et le mythique samedi matin pour les privilégiés Américains, qui d’un bout à l’autre de leur continent ingurgitaient des heures de programmes diffusés par les trois grands réseaux de télévision, ABC, CBS et NBC.

Mais au milieu des années 1980, sous l’impulsion de l’ultralibéral président Ronald Reagan, une nouvelle façon de faire du dessin animé à la télévision américaine prend son essor. Avec l’assouplissement des règles de la Commission fédérale des communications, jadis très hostile à toute forme de publicité déguisée dans les programmes pour la jeunesse, les cartoons entrent dans l’ère du média-mix. Désormais, la synergie entre dessins animés, jouets et BD va pouvoir s’épanouir sans entraves, à travers la diffusion en syndication sur les chaînes de TV locale. La programmation quotidienne permet alors l’élaboration de sagas qui comptent des centaines d’épisodes. Deux franchises représentent à bien des égards le fleuron de cette tendance : Les Maîtres de l’Univers et Cosmocats

La force toute puissante

À l’origine des Maîtres de l’Univers, il y a la révolution engendrée par les figurines miniatures que le fabricant Kenner consacre à la saga Star Wars en 1977. Les fabricants concurrents cherchent une recette pour résister à la lucrative franchise stellaire de George LUCAS. Ainsi, dès 1980, Mattel, créateur de la poupée Barbie et de l’athlète polyvalent Big Jim, réunit une équipe pour développer sa propre mythologie, enpuisant au creuset des références de la SF et de la fantasy. Comme souvent dans le monde de la pop culture, plusieurs employés de Mattel se disputent la paternité des Maîtres de l’Univers. Roger SWEET aurait d’abord conceptualisé « He-Man » (qui sera rebaptisé « Musclor » en France) comme un héros déclinable en trois modes : barbare à la Frazetta, super soldat technologique et aventurier de l’espace1. Seul He-Man version barbare sera retenu, et c’est sur cette base que le designer Mark TAYLOR greffe son propre concept de « Torak, héros de la préhistoire », qu’il développe depuis les années 1950. TAYLOR crée également la première vague de figurines, dont il définit l’apparence à défaut des noms, y compris le cadavérique Skeletor, la sculpturale Teela, le fidèle Tigre de Combat et l’énigmatique Château des Ombres, provisoirement appelé « Repaire des âmes ». Selon TAYLOR, le projet est aussi l’occasion de recycler une partie d’un projet consacré à la licence Conan, que Mattel aurait tué dans l’oeuf en raison de la trop grande violence du film sorti en 1982, avec Arnold SCHWARZENEGGER.
La nature SF des deux autres avatars du He-Man de Roger SWEET survit à travers le personnage du Maître d’Armes, doté d’une armure bardée de circuits électroniques, et surtout à travers les véhicules futuristes conçus par le designer industriel Ted MAYER.

Pour donner du liant à ce monde qui mêle technologie et guerriers du passé, une première ébauche de mythologie est esquissée dans les livrets illustrés compris dans chaque emballage. Mattel en confie la réalisation à sa branche éditoriale Western Publishing, acquise en 1979. C’est le vétéran multitâches Don GLUT qui se charge du scénario, recyclant à l’occasion certaines idées d’un comic écrit pour Western en 1972 : Dagar the Invincible. Comme Dagar, He-Man/Musclor vit dans un monde intemporel où cohabitent chevaliers, magiciens et hommes des cavernes. Il est lui-même originaire d’une tribu primitive, ce qui lui donne, aux yeux du lecteur français de 1982, les allures d’un Rahan élevé aux hormones. Le « Repaire des âmes » de TAYLOR rappelle le château à motif de crâne d’Ostellon, premier ennemi de Dagar, qui s’entourait de soldats-squelettes à capuche. Don GLUT lui trouvera son nom définitif : Grayskull, source d’innombrables confusions pour les traducteurs français. Il baptise également la planète où se retrouvent ces personnages d’inspirations multiples : Éternia. Mais c’est la partie graphique de ces petits livres illustrés qui restera dans les mémoires, assurée par le légendaire dessinateur philippin Alfredo ALCALA, au trait digne des gravures d’un grimoire mystique.

Après quatre recueils de prose illustrée, Mattel change de braquet et s’adresse à DC Comics pour les livrets suivants, qui prendront désormais la forme de bandes dessinées. Si ALCALA illustre une poignée de ces épisodes nouvelle formule, l’essentiel en est confié à Mark TEXEIRA, sur des scénarios de Gary COHN. Progressivement, l’univers « technopréhistorique » suggéré par Mark TAYLOR et Don GLUT évolue vers un décor médiéval à la Prince Vaillant, avec l’arrivée du roi Randor et de sa cour. Alors que se profile à l’horizon une série animée produite par le studio Filmation, Mattel a confié la création d’une « bible » de la franchise au scénariste Michael HALPERIN. Sa principale innovation sera d’ignorer l’origine primitive de Musclor pour lui offrir une identité secrète : sur le modèle du Thor de Marvel, le prince Adam, fils de Randor, se changera en Musclor par le truchement d’une armegimmick, l’épée du pouvoir.
C’est ce héros à deux visages qui sera la vedette de He-Man and the Masters of the Universe, saga télévisée de 130 épisodes produite par Lou SCHEIMER. Ce succès télévisuel, porté par le succès titanesque de la ligne de jouets (les ventes sont estimées à 400 millions de dollars en 1986), se prolongera par une série dérivée, She-Ra, consacrée aux aventures de la soeur jumelle de Musclor. Mais les premières apparitions du prince Adam se font sur le papier, et dans un écrin prestigieux : deux aventures où notre royal héros fait équipe avec nul autre que Superman, alors porte-drapeau de DC Comics. En découlera une mini-série de trois épisodes, où l’on
retrouve Alfredo ALCALA associé à George TUSKA au dessin, sur un scénario de Paul KUPPERBERG. Puis, Musclor change de bord en 1985, pour rejoindre Star Comics, une branche de l’éternel concurrent de DC, Marvel Comics, dans une série de 13 épisodes restés inédits en France. DC cesse également de produire les mini-BD offertes avec les mini-figurines, mais Mattel va confier leur dessin à une future star de l’animation, dont le nom sera plus tard irrémédiablement associé à l’univers de BATMAN : Bruce TIMM, qui fait là ses premières armes. En 1989, Mattel cesse sa collaboration avec Filmation, en faveur du studio franco-américain DIC de Jean CHALOPIN, et le héros bodybuildé subit un lifting qui en fait un héros spatial à la Flash Gordon somme toute assez ordinaire. En outre, dans un réflexe marketing à la « Raider devient Twix », Musclor retrouve en V.F. son nom anglais de He- Man, ce qui ajoute à la confusion. La franchise ne survit pas à tant de
chambardements…

… Mais comme tant d’autres séries de cette période dorée, Les Maîtres de l’Univers connaît plusieurs renaissances, avec notamment une nouvelle série animée dans les années 2000, accompagnée de comics chez Image et Crossgen. Aujourd’hui, c’est la société Super 7, basée à San Francisco et spécialisée dans les figurines de collection, qui se charge de son rayonnement dans le monde du jouet. Dans les librairies, si Dark Horse est responsable de tous les projets patrimoniaux (beaux livres, rééditions des mini-BD et des comic strips…), les nouvelles créations sont confiées comme autrefois à DC Comics, qui fait alors appel au scénariste chevronné Keith GIFFEN pour relancer la franchise. Depuis 2012, trois nouvelles séries se sont succédé, totalisant 40 numéros, sans compter deux rencontres au sommet avec les superhéros DC, puis leurs doubles de l’univers d’Injustice…

La vision par-delà la vision

Appelés Thundercats aux États-Unis, les Cosmocats sont à l’origine un concept imaginé par l’inventeur multitâches Ted WOLF, sorte de mélange entre une famille de super-héros et les chats humanoïdes de la comédie musicale Cats. WOLF confie le développement du concept à son ami Stan WESTON, cofondateur de la société Leisure Concepts Inc. Celle-ci convainc le studio Rankin-Bass, connu pour ses longsmétrages animés, d’investir dans le projet. Avant de démarrer sa diffusion quotidienne en syndication, les rescapés félins de la planète Thundera séduiront le public sous forme d’un épisode spécial d’une heure diffusé en prime-time. C’est Leonard STARR, auteur du comic strip Mary Perkins on Stage, qui est chargé du scénario des épisodesclés, ceux qui s’attardent particulièrement sur la formation de Starlion, jeune monarque des Cosmocats. Comme Les Maîtres de l’Univers qui s’inspirait du mélange des genres initié par Star Wars, Cosmocats n’est pas dénué d’inspiration lucassienne, avec ses héros naufragés cosmiques et le personnage de Jaga, mentor aussi spectral que le défunt Obi-Wan Kenobi.
Mike GERMAKIAN, associé de WESTON et directeur artistique, crée le logo de la série ainsi que les premiers designs des héros de Thundera et de leurs adversaires, les Mutants de Plun-Darr et la super-momie Mumm-Ra. Mais tout ce petit monde est ensuite finalisé par Tsugu KUBO, animateur du prestigieux studio Pacific Animation Corporation, qui deviendra plus tard la branche japonaise de Disney. Cosmocats fait ainsi partie des premières productions américaines à confier l’intégralité de son animation à un studio japonais, préfigurant ainsi la mode anime qui va bientôt déferler sur le monde occidental. Naturellement, une série de figurines, un peu plus grandes que celles des Maîtres de l’Univers, sera commercialisée par LJN, et diffusée en France par Orli Jouet. Rayon BD, les Cosmocats côtoient Musclor et ses compagnons dans la collection Star Comics chez Marvel. 24 numéros seront publiés entre 1985 et 1988 (et 10 traduits en français aux éditions NERI), comportant aussi bien des adaptations des épisodes du dessin animé que des aventures inédites, racontées par les scénaristes vétérans David MICHELINIE et Gerry CONWAY sur des dessins de Jim MOONEY ou José DELBO, entre autres.

Puis, il faudra attendre la décennie 2000 et sa nostalgie généralisée pour que les Cosmocats, désormais au catalogue des studios Warner, fassent leur retour chez Wildstorm, pour cinq mini-séries. Si la première, dessinée par Ed McGUINESS, conserve un ton similaire à celui du dessin animé, les suivantes prennent une tournure plus sombre, plongeant Thundera dans un futur dystopique. À la même époque, et comme Musclor jadis, notre bande de félins cosmiques se heurte à Superman dans un récit complet signé Judd WINICK et Alé GARZA. Les bonnes relations entre Wildstorm et le studio Top Cow, alors gérant de la licence La Bataille des Planètes, permettent aussi à Starlion et sa troupe de croiser le chemin de la Force-G, équipe d’hommes-oiseaux thématiquement proche de Silverhawks, autre production Rankin-Bass. En 2011, Warner joue la carte du reboot avec une nouvelle série animée en 26 épisodes qui réinvente nos héros félins sous un angle encore plus influencé par l’animation japonaise. Pour l’occasion, en France, ils retrouvent leur nom original de Thundercats, pour des raisons qui ne peuvent que laisser perplexes les simples mortels qui n’ont pas fait Sup de co. Aujourd’hui, les deux franchises rivales se réunissent enfin pour le plus grand plaisir des quadragénaires et trentenaires nostalgiques. Si ceux-ci peuvent être décontenancés par le second degré assumé des dernières incarnations télévisuelles de leurs héros (la nouvelle She-Ra de Netflix et l’auto-parodie Thundercats Roar déjà fort décriée sur la toile), qu’ils se rassurent : nos héros d’antan sont ici fidèles à eux-mêmes, et c’est la juxtaposition des deux univers originaux qui donne toute sa tonitruante nouveauté à ce réjouissant projet.

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Sur Eternia, le Prince Adam, héritier maladroit du roi Randor, combat les armées maléfiques de Skeletor sous l’identité de Musclor, guerrier ultime et protecteur du Château des Ombres qui tire sa force exceptionnelle du pouvoir du
Crâne Ancestral.

Mais, à plusieurs dimensions de là, une nouvelle menace se profile : Mumm-Ra, l’antique momie au service des Anciens Esprits du Mal cherche à se venger de Starlion, roi des Cosmocats. Pour cela, il devra se rendre sur Eternia et s’emparer de l’épée de puissance de Musclor… Une simple formalité pour Mumm-Ra, l’Éternel vivant !

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