John Paul LEON a débuté sa carrière par une combinaison parfaite de talent, de chance et d’amour de la BD. Lorsque Denys COWAN découvrit ses dessins, il eut du mal à croire que John Paul n’avait jamais étudié le style d’Alex TOTH.

Tout comme Dwayne McDUFFIE, qui, avec Denys, accepta très vite de confier le dessin de Static à John Paul. Lorsque ce dernier devint l’élève de Walt SIMONSON à l’école des Arts Visuels, Walter lui permit de prendre ce nouveau job comme sujet d’études.
Ce qui ressort des événements qui nous ont permis de connaître cet artiste exceptionnel, c’est la personnalité de John Paul. Dans ce texte, je vais vous parler de ce que John Paul LEON a fait et de ce que cela signifie personnellement pour moi et d’autres.


Un jour, Bernard CHANG, un des meilleurs amis de John Paul, l’a amené visiter Bad Boy Studios. Et ce jour a littéralement changé ma vie, sans la moindre hyperbole de ma part.
Quand je parle de Bad Boy Studios, il ne s’agit pas du label du musicien Diddy. C’est le nom du programme de mentorat que j’ai fondé. À l’origine, ma boîte s’appelait Michael Davis Studios, mais j’ai décidé de le changer lorsqu’une célèbre dessinatrice a critiqué un article que j’avais publié dans Comics Buyer’s Guide, où je donnais des conseils aux créateurs de BD débutants. Elle m’avait comparé au genre de personne qu’on ne présente pas à sa maman, un « bad boy », ce qui m’inspira ce changement de nom.
Or donc, quand Bernard a amené John au studio (à moins que ce soit l’inverse ? Ils étaient si proches que j’oublie parfois lequel des deux suivait l’autre) et que j’ai découvert les dessins de JP, je fus époustouflé. Ce gosse était encore au lycée, et il dessinait comme un Dieu. Il était si bon que le reste de la « classe » (c’est ainsi que les membres du programme qualifiaient nos sessions) ne tardèrent pas à venir le voir de plus près.

Je craignais que cela nuise à ce que j’avais prévu pour John et Bernard, mais tout finit par s’arranger. Dans mon programme, l’admission d’un candidat dépendait de deux facteurs : être soutenu par un membre déjà incorporé au programme et présenter un travail correct. Inversement, si vous soutenez un nouveau membre qui s’avère problématique, vous courez le risque d’être viré avec lui. J’ai instauré cette règle pour enseigner aux jeunes créateurs les vertus et les dangers des associations.

Avant d’entrer dans mon programme, je demande aux étudiants et à leurs parents de bien saisir le genre de personne que je suis. Quel genre, vous demandez-vous ? Eh bien on dit de moi que j’attire la controverse, et l’épisode du changement de nom de mon studio n’en est qu’un exemple ; restons-en là.
Je regardais les pages de Superman et de pompiers en action qui étaient en train de faire de John une star parmi les autres membres du programme. Seigneur Dieu, ce qu’il pouvait être doué, ce jeune homme. Mais pendant vingt bonnes minutes, je n’ai donné aucun signe indiquant que je reconnaissais son talent.
Au lieu de ça, avec la complicité de Jason MEDLEY, un ancien du programme, j’ai poussé le vice jusqu’à protester tout haut contre celui ou celle qui avait osé faire venir ce type dans mon beau studio si réputé.
Ça, ce n’était pas de la vantardise : dans le milieu des comics, on commençait à réclamer mes poulains. Ni John ni Bernard ne se rendaient compte que je me foutais d’eux, mais ils étaient bien conscients que Bad Boy était une nouvelle porte d’entrée dans cette industrie. Faire carrière dans les comics est un rêve pour des millions de jeunes. Les grandes villes comme Los Angeles ou New York offrent beaucoup d’occasions de réaliser ce rêve, mais même là, trouver le soutien nécessaire peut être difficile. C’est encore plus dur pour ceux qui vivent dans des communautés rurales ou marginalisées. John et Bernard pensaient avoir trouvé une solution avec Bad Boy, et mon numéro leur faisait craindre le pire. C’est Peggy GOLDWIRE qui mit fin à leur torture en disant à John que je le taquinais.


À l’époque, je menais ma vie à un train d’enfer. J’étais marié (j’ai divorcé depuis), illustrateur à temps plein, fondateur et associé de Milestone Media, et je venais d’acquérir un loft à trois étages où j’avais installé mon logement, mon entreprise et mon programme de mentorat. Mon ex-femme était de la première génération de sa famille à naître en Amérique ; ils avaient risqué la mort pour venir ici depuis Cuba.
Milestone était, comme aujourd’hui, une compagnie de nature unique. Les associés étaient tous des créateurs qui ne se versaient pas de salaire ; notre rémunération provenait uniquement de notre production artistique. En ce qui me concernait, il s’agissait d’écrire et dessiner le comic book Static, aujourd’hui plus connu sous le titre de Static Shock.
Static était une création de Dwayne McDUFFIE, Denys COWAN, Derek DINGLE, Christopher PRIEST et moi. Lorsqu’on m’a chargé de développer l’univers de Static, j’ai établit une « Bible » en m’inspirant de ma famille. Lorsque John Paul Leon entra dans ma vie, il ne fallut pas longtemps pour décider que son style était plus approprié pour Static que ma propre technique à base de références photographiques. Mais ce fut une décision très difficile à prendre, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec John Paul.


Les jours où la « classe » travaillait, je laissais ouverte la porte de mon appartement au deuxième étage. Sans que ni ma femme ni moi ne nous en apercevions, JP, qui était au rez-de-chaussée, entendit une conversation téléphonique où je disais combien j’étais anxieux à l’idée d’abandonner Static.
John Paul proposa aussitôt de me laisser la place.
Qui fait ce genre de chose ? On vous offre votre rêve, et sans une hésitation, vous proposez de le céder pour aider un ami. Qui fait ce genre de chose ? Je ne peux parler au nom de personne, sauf de John Paul LEON, qui l’a fait.
Mon épouse du moment a aussitôt dissipé tout malentendu pour JP et moi. Elle s’est montrée très claire : malgré nos difficultés, confier Static à John Paul était la bonne décision. Elle ne s’y connaissait pas énormément en comics, mais estimait que JP méritait sa chance. Je lui ai demandé si l’ascendance cubaine de JP avait quelque chose à voir avec sa déclaration. Elle répondit d’un mot : « Oui. »


En confiant à John Paul le dessin de Static, je lui ai aussi confié la protection de ma famille. Et grâce à lui et Robert WASHINGTON, qui en a repris le scénario, Static est adoré par des millions de personnes à travers le monde. Bien sûr, c’est grâce au dessin animé, mais sans JP LEON, sans Robert WASHINGTON, il n’y aurait pas de Static Shock à la télé. Pour moi, ça ne fait aucun doute : si Static a laissé une telle trace dans la culture pop, c’est grâce à John Paul.
Le dessin de John Paul n’est qu’une des raisons pour lesquelles il a touché tant de personnes. Il y a des années, il m’a parlé pour la première fois de son cancer, alors en rémission. J’avais moi même des problèmes de santé, et c’était sa manière de me dire que ça pouvait s’arranger. Ça s’est arrangé, mais pas pour John Paul. Son cancer est revenu, mais il ne me l’a pas dit.
Quand j’ai appris la mort de John Paul, je fus dévasté. En plus de son décès, j’étais choqué à l’idée qu’il m’ait caché sa nouvelle bataille contre le cancer.

Mais la dure vérité, c’est qu’il a bien fait : j’ai très mal vécu sa mort et j’aurais souffert encore plus en sachant à l’avance que son pronostic de survie était si bas.

Qui fait ce genre de chose ? Confronté à la mort, qui pense en priorité aux autres ? Je ne peux parler au nom de personne, sauf de John Paul LEON, qui l’a fait. John parlait doucement. Son intellect aiguisé ne vous agressait jamais. Au contraire, il prenait du temps pour répondre aux questions ou énoncer une opinion.
Il fut ainsi jusqu’à la fin. Cela demande une force que je ne suis pas sûr de posséder.

Je suis certain que ceux qui ont participé à cet ouvrage ont fait un travail extraordinaire. Je n’ai vu aucune contribution à l’avance et je ne le souhaitais pas. J’aime m’imaginer que nous lisons tous le résultat final ensemble, au même moment. Ainsi, ne serait-ce qu’en esprit, nous pouvons partager tout le respect, et pour certains (dont moi) l’amour que nous avons pour John Paul LEON, une âme authentiquement aimante et douée.


Milestone n’aurait pas été Milestone sans la contribution de John Paul. En un sens, nous avons lancé John Paul, et il nous a mis en orbite.
Merci à toi, John Paul, pour cette raison et bien d’autres. Tu nous manqueras aussi longtemps que durera l’impact de ta présence et de ton œuvre sur le monde : à jamais.

Repose en paix et pouvoir à toi, très cher ami.

Michael DAVIS
Los Angeles, novembre 2021

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