Les ennemis de Batman forment tous un reflet déformé du héros, chacun accentuant un des motifs particuliers du justicier. Dans le cas de Double-Face, cet aspect est renforcé par les liens qu’il a tissés avec Batman lors de sa carrière de procureur : en effet, il est l’un des rares criminels à affronter le Chevalier Noir à avoir débuté de l’autre côté de la loi…

Défiguré par un malfrat, Harvey Dent* considère dès lors que la justice est vide de sens et que toute son existence est soumise au destin symbolisé par une pièce truquée à double-face scarifiée d’un côté.

Autre particularité : Double-Face est le premier super-criminel à connaître une véritable rédemption. Les trois premiers épisodes, tous réalisés par la même équipe artistique composée de Bill FINGER, Bob KANE et Jerry ROBINSON, se lisent comme un récit en trois actes, chose assez inédite dans une période où il est plus fréquent de ne réaliser que des récits complets. La conclusion de la carrière de Double-Face est par ailleurs si forte que les « retours » successifs du vilain seront l’oeuvre d’imposteurs. En parallèle, une autre version de Double-Face est présente dans le comic strip Batman paru dans les pages du dimanche réalisées entre le 23 juin et le 18 août 1946 par Bill FINGER et Jack BURNLEY, cette histoire inédite présente un acteur particulièrement cabot, Harvey Apollo, qui se fait défigurer en plein procès par un truand contre qui il témoigne. Ce Double-Face, au physique similaire à celui des comics finit étranglé après une chute pendant un braquage de drive-in.

Dans la continuité « classique » il faudra attendre l’épisode de 1954 de David Vern REED et Dick SPRANG, également présent dans cet album, pour que Harvey Dent revienne à ses mauvais penchants. Nous sommes alors à l’aube de la création du Comic Code Authority et les règles concernant le contenu des publications DC se font plus strictes : les revues consacrées à Batman sont particulièrement touchées et pendant presque dix ans, le justicier masqué devra affronter en guise d’adversaires des extraterrestres, des menaces fantaisistes, ou bien la perspective d’un mariage avec Batwoman en lieu et place des criminels costumés d’antan. Double-Face disparaît de la circulation et ne fait même pas partie de la distribution des vilains dans la série de 1966**.

Dans les années 1970, Batman connaît un retour aux sources orchestré par le tandem légendaire de Dennis O’NEIL et Neal ADAMS. Après avoir remodelé le justicier en une sombre créature de la nuit, détective solitaire et implacable, le duo s’attaque à ses ennemis en en créant de nouveaux (Ra’s al Ghul) ou en remaniant certains dont le Joker (dans BATMAN #250, voir BATMAN LA LÉGENDE – NEAL ADAMS Tome 2) ou, comme ici, Double-Face. Par la suite, le vilain défiguré reprend sa place au panthéon des ennemis du Chevalier Noir : on lui découvre même une fille, appelée « Duela Dent » qui se déguise en « Fille du Joker ». De cette étrange période, on peut retenir quelques apparitions dans JUSTICE LEAGUE OF AMERICA (#125-126, en 1975) ou dans THE BRAVE AND THE BOLD (#129-130 de 1976, publiés dans BATMAN LA LÉGENDE – JIM APARO Tome 2). Mais comme de nombreux personnages DC, c’est après l’événement CRISIS ON INFINITE EARTHS (en 1985) qui refaçonne l’univers de ces héros, que Double-Face prend la personnalité et les caractéristiques que l’on lui connaît encore aujourd’hui. Ainsi, dans BATMAN ANNUAL #14, Andy HELFER et Chris SPROUSE remanient l’origine du vilain en la reliant à BATMAN ANNÉE UN de Frank MILLER et David MAZZUCCHELLI, dans lequel Harvey Dent jouait un petit rôle (le lieutenant Jim Gordon allant même jusqu’à envisager qu’Harvey était Batman !). L’idée d’un jeune Harvey qui aura déjà créé en amont une deuxième personnalité nourrira également l’adaptation animée pilotée par Bruce TIMM au début des années 1990. Mais Double-Face est également à l’époque intégré aux origines de Jason Todd, le deuxième Robin (son père travaillant pour Double-Face), et à celles de Tim Drake qui lui a succédé (l’arc Les morts et les vivants, de Marv
WOLFMAN, George PÉREZ, Jim APARO et Tom GRUMMETT, paru dans BATMAN – UN DEUIL DANS LA FAMILLE). Plus tard, le scénariste Chuck DIXON relatera même que Double-Face a fait connaître à Dick Grayson, le premier des Robin, son pire échec (voir ROBIN ANNÉE UN, dessiné par Javier PULIDO). De plus, en 1996 et 2000, Jeph LOEB et Tim SALE extrapolent sur le récit de HELFER et SPROUSE pour concevoir le diptyque UN LONG HALLOWEEN/AMÈRE VICTOIRE qui place au coeur de l’intrigue la déchéance de Harvey Dent et la fin de son amitié avec Batman et Gordon. Des scènes qui seront évoquées ensuite dans THE DARK KNIGHT réalisé par Christopher NOLAN en 2008.

Avec la saga NO MAN’S LAND, Double-Face prend, notamment sous la plume de Greg RUCKA, une autre ampleur : dans ce contexte sans foi ni loi, Harvey Dent revient un temps à son amour du prétoire et de la justice. Mais il ne peut échapper à ses mauvaises pulsions, et tombé amoureux de l’inspecteur Renee Montoya, il la harcèle jusqu’à révéler son homosexualité (dans GOTHAM CENTRAL). Puis, au terme de BATMAN – SILENCE, de Jeph LOEB et Jim LEE, Dent voit son visage guéri (un écho au DARK KNIGHT RETURNS de Frank MILLER, dans lequel il affronte un Batman vieillissant sorti de sa retraite) : il défend un temps la ville de Gotham (l’arc Face the Face écrit par James ROBINSON et dessiné par Leonard KIRK et Don KRAMER) mais perd une fois de plus son visage. Après les événements de FLASHPOINT en 2011 et la Renaissance de l’Univers DC, Double-Face voit son passé modifié : c’est au tour de Peter J. TOMASI et Patrick GLEASON, dans la série BATMAN & ROBIN (qui devient BATMAN & TWO-FACE pour l’occasion) de conter les débuts d’un Harvey Dent aux méthodes ambiguës. Il finit puni par la mafia irlandaise dirigée par Erin McKillen et des années plus tard, tente d’orchestrer une vendetta contre cette dernière. Des bribes de cette histoire vous sont présentées en filigrane dans le dernier récit de cet album, écrit par TOMASI et dessiné par Guillem MARCH.

Laissez-vous à présent embarquer dans le sillage de folie et de remords d’un des vilains les plus tragiques qu’ait affronté Batman : le héros déchu de Gotham, Harvey « Double-Face » Dent.

batman-arkham-double-face

Batman Arkham : Double-Face

Autrefois procureur au physique avenant et à la carrière prestigieuse, Harvey Dent est désormais un être défiguré, fou et dangereux, utilisant une pièce à la face rayée pour influencer ses choix et sa carrière criminelle. Pour Batman, il est l’un des pires échecs de sa carrière : un allié passé du côté obscur. Il est aussi un avertissement : combien de temps le Chevalier Noir pourra-t-il tenir face à une société résolument corrompue ?

Découvrir

* Au départ, orthographié « Kent » le nom de famille de Harvey sera changé par la suite en Dent afin d’éviter la confusion avec un certain orphelin de la planète Krypton…

** Un épisode signé Harlan ELLISON mettant en scène Double-Face sera écrit mais non filmé. Des années plus tard, il sera publié par DC dans le one-shot BATMAN’66 : THE LOST EPISODE, par Len WEIN et José Luis GARCÍA-LÓPEZ (à lire dans BATMAN UNIVERS HORS SÉRIE n°1).

Plus d'articles