On a peine à le croire mais il fut un temps où les blockbusters tirés de comic books n’étaient pas monnaie courante et ne dominaient pas les salles obscures. Tout changea avec le premier d’entre eux, Superman, réalisé par Richard DONNER et sorti fin 1978. Puis vint Batman en 1989, par Tim BURTON !

Dotée d’un budget conséquent et d’un casting constitué d’acteurs confirmés, le Superman, réalisé par Richard DONNER tranchait avec les adaptations précédentes cantonnées tout d’abord aux films à épisodes, les serials, puis aux téléfilms et séries télévisées animées ou non. Ces dernières étaient principalement destinées à un public d’enfants et entérinèrent dans l’esprit du public une certaine image du concept de super-héros, dont le Batman interprété par Adam WEST avec ses couleurs bariolées, son humour autoparodique et ses onomatopées surgissant aux quatre coins de l’écran, était le maître-étalon.

Une fois Superman en tête du box-office mondial, Hollywood s’intéressa de plus près au petit monde des bandes dessinées et dans la foulée, le producteur Michael USLAN parvient à proposer au studio Warner d’enchaîner avec Batman, dont USLAN et Benjamin MELNIKER venaient d’acquérir les droits d’adaptation. Le scénario est confié à Tom MANKIEWICZ qui a également réécrit Superman à la demande de Richard DONNER et est cité comme Creative Consultant. Fils du légendaire Joseph L. MANKIEWICZ (Ève, La Comtesse aux pieds nus), il a également travaillé sur plusieurs James Bond (Les Diamants sont éternels, Vivre et laissez mourir, L’Homme au pistolet d’or) et connaît donc assez bien les conventions d’une série de films populaires et grand public. Son travail s’inspire en partie du passage sur DETECTIVE COMICS de Steve ENGLEHART et Marshall ROGERS au scénario et au dessin (BATMAN – DARK DETECTIVE, coll. DC Essentiels) puisqu’on y retrouve notamment le Joker, le Pingouin, Silver St. Cloud, Rupert Thorne et même Dick Grayson en Robin !

Afin d’articuler tous ces éléments et de parvenir à raconter les origines des deux héros, MANKIEWICZ utilise également une trame classique, proche de celle de Superman, en commençant par le meurtre des parents Wayne et en observant sur le premier quart la jeunesse et l’entraînement de Bruce Wayne, structure reprise par Christopher NOLAN pour Batman Begins en 2005.

Le ton est également plus sombre que celui adopté sur Superman : MANKIEWICZ a bien compris que le personnage était différent et montre sa fragilité, ses tourments et finit même sur une touche assez sombre avec la mort de Silver, la petite amie de Bruce. MANKIEWICZ rend deux versions du script en 1983 et 1984 mais le projet reste lettre morte au gré des changements au sein de la production et des studios. Plusieurs réalisateurs sont approchés dont, bien évidemment, Richard DONNER, mais aussi Joe DANTE (Gremlins) ou Walter HILL (48 Heures). Pour interpréter le Chevalier Noir, on va même jusqu’à suggérer Bill MURRAY, la vedette de SOS Fantômes lorsque Ivan REITMAN planche sur le sujet. C’est pourtant également un acteur considéré principalement comme un comique (il débute d’ailleurs dans le stand-up), qui va décrocher le rôle : Michael KEATON sera le choix du jeune réalisateur Tim BURTON, qui n’a que 30 ans et deux longs-métrages à son actif (Pee Wee’s Big Adventure et Beetlejuice) lorsqu’il est chargé par Jon PETERS et Peter GUBER, les deux producteurs du projet, d’en prendre les rênes.

Tim BURTON charge Sam HAMM, un aficionado des bandes dessinées de Batman, d’écrire un nouveau script qui prend en compte les bouleversements esthétiques et narratifs qu’ont constitués les sorties successives de THE DARK KNIGHT RETURNS écrit et dessiné par Frank MILLER (où un Batman vieillissant et brutal fait régner l’ordre dans une Gotham rongée par le crime), et, surtout, THE KILLING JOKE d’Alan MOORE et Brian BOLLAND, one-shot qui revient sur les liens complexes et dangereux entre Batman et son ennemi juré le Joker, dont les origines sont étoffées au passage.

Sam HAMM opte pour une structure différente et débute le film avec un Batman déjà actif, qui patrouille à Gotham depuis quelques semaines. Les origines du héros, le meurtre des Wayne, ne sont présentées qu’en flash-back peu avant le dernier acte du film, et on ne fait référence à son passé ou à son entraînement que par bribes de dialogues. Au vu du budget qui enfle, qu’il s’agisse de la construction des décors, des costumes ou bien de la présence de stars bankables, dont Jack NICHOLSON qui finit comme Marlon BRANDO et Gene HACKMAN sur Superman en tête d’affiche, la pression sur les auteurs du film s’intensifie. Le script est remanié de nombreuses fois : parfois on demande à BURTON et à HAMM d’inclure Robin, d’autres fois non. Une séquence prévue qui voit le Joker assassiner les parents acrobates de Dick Grayson est retirée peu avant le tournage : à la même époque, dans les comics, le deuxième Robin, Jason Todd, est assassiné (voir UN DEUIL DANS LA FAMILLE, coll. DC Essentiels).

De plus, on impose à Sam HAMM de relier les origines de Batman à celles du Joker : ce dernier deviendra le responsable du meurtre des Wayne. Sam HAMM s’en ouvre à demi-mot au magazine Amazing Heroes en février 1989, quelques mois avant la sortie : « [L’origine] est la même […] ce qui a changé c’est que Bruce se rappelle à présent l’identité de l’assassin de ses parents. Celle-ci a été modifiée d’une façon que je désapprouve un peu. Je n’en dirais pas plus, n’importe qui peut comprendre de quoi je parle. »

Mais la véritable controverse qui secoue les fans du personnage, c’est bien évidemment la présence de Michael KEATON dans le costume du héros. Des campagnes sont même organisées pour demander à Warner de remplacer l’acteur, les lecteurs pensant que le passif comique de KEATON suppose que le personnage va être tourné en ridicule. Qu’importe que l’acteur ait un registre assez versatile et ait notamment tenu la vedette d’un drame sur l’alcoolisme, Clean and Sober. Néanmoins, une fois la première bande-annonce diffusée dans les salles, le concert de reproches se met un temps en sourdine et l’attente monte. On y entrevoit notamment le travail imposant du concepteur et décorateur Anton FURST, ami de BURTON, qui donne vie à une Gotham imposante et ténébreuse où Batman évolue dans des Batwing et Batmobile noires de jais et aux somptueux designs, tandis que Bob RINGWOOD transforme le costume de Batman en une armure dépourvue des couleurs habituelles du héros, à l’exception du jaune, et qui fait encore école dans les adaptations suivantes.

Déployant une campagne marketing dont l’intensité est alors inédite (mais aujourd’hui affreusement banale), le studio Warner accole astucieusement le logo sur pléthore de marchandises et produits dérivés tandis qu’il constitue le seul visuel sur l’affiche du film. En 1989, impossible d’y échapper, la Batmania est omniprésente. Le clip de PRINCE, embauché pour livrer un album promo (la partition originale étant confiée au fidèle collaborateur de BURTON, Danny ELFMAN), passe continuellement à la télévision, Kim BASINGER, sortie tout droit du succès de Neuf semaines et demie, est choisie pour incarner une Vicki Vale qui fait chavirer les cœurs de Batman et du Joker, et Billy DEE WILLIAMS, connu des fans pour son rôle dans la trilogie Star Wars, incarne un Harvey Dent en attente d’être défiguré dans une suite potentielle (ce sera finalement Tommy Lee JONES qui jouera Double-Face dans Batman Forever de Joel SCHUMACHER en 1995).

MTV, les Top-Models, Star Wars… Batman n’est donc pas qu’un film, c’est aussi un aboutissement et un instantané de la montée en puissance de la culture de l’entertainment au cours des années 1980. La BD n’est pas oubliée pour autant : il est décidé qu’une adaptation du film en comic book sera réalisée à partir du script de Sam HAMM remanié par Denny O’NEIL, scénariste phare des années 1970 qui a lui aussi rendu de sa superbe au héros après les errements parodiques des années 1960. Pour l’illustrer, l’éditeur du projet, Jonathan PETERSON, choisit Jerry ORDWAY, un dessinateur et encreur qui a fait merveille depuis son arrivée chez DC sur les séries ALL-STAR SQUADRON, CRISIS ON INFINITE EARTHS et qui dessine à l’époque ADVENTURES OF SUPERMAN.

Yann GRAF


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Découvrez Batman Le Film 1989
Depuis le meurtre de ses parents, Bruce Wayne s’est juré de se venger en éradiquant le crime dans sa ville et en se parant du costume du Chevalier Noir. Pour réussir, il va bientôt devoir affronter celui qui deviendra l’un de ses plus redoutables ennemis : un certain Jack Napier, le bras droit du parrain de la pègre de Gotham. Batman ne tarde alors pas à découvrir que son adversaire est étroitement lié à son destin…

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