Sandman, du côté du rêve et du versant éveillé

Ils sont sept : le Destin, la Mort, le Rêve, le Désespoir, la Destruction, le Désir et le Délire. Les Infinis, une famille de sept frères et sœurs qui incarnent les pulsions qui gouvernent la vie. Chacun règne sur son domaine.

Pour le Rêve, aussi appelé Morphée, Oneiros, le Sandman, le Marchand de Sable, Daniel et des myriades d’autres noms selon les êtres et les lieux, ce domaine est le Songe. Incarnation de l’imagination, le Rêve y reçoit les rêveurs, crée les cauchemars, donne à Shakespeare l’étincelle du génie, accorde à la Bagdad d’Haroun al Rachid l’immortalité des contes. Son intervention peut être bénéfique, elle peut être néfaste, elle peut être les deux à la fois : le Prince des Histoires, comme on l’appelle aussi, suit ses règles et ses choix.

Son immense royaume de fiction, toujours changeant, voisine avec d’autres univers fabuleux comme les Enfers, mais aussi la Féerie, territoire du peuple fé, qui conserve avec le Songe des relations privilégiées.
Ne dit‑on pas que Morphée eut un temps une liaison avec la reine Titania à l’insu du roi Aubéron ? Et que, quand les Belles Gens quittèrent le monde des hommes où ils n’avaient plus leur place, ce fut Morphée qui leur offrit en cadeau d’adieu une des pièces magiques de Shakespeare ?

Le Rêve entretient surtout des rapports étroits avec le monde de l’éveil, qu’on peut voir comme le revers de son propre domaine. Trop étroits, peut‑être : nombre des problèmes de Morphée sont venus du monde de l’éveil et, à cause de lui, il a traversé une centaine d’années difficiles. Au début du xxe siècle, Morphée a été capturé par un ambitieux magicien humain, Roderick Burgess – qui voulait en fait se saisir de la Mort –, et gardé plusieurs décennies en captivité. Malgré tous ses efforts, Burgess n’a rien obtenu de Morphée et sa secte mystique s’est entre‑déchirée en espérant obtenir l’immortalité. Dans les années trente, avant de s’enfuir avec un autre disciple de Burgess, Ruthven Sykes, sa maîtresse Ethel Cripps lui a volé quelques objets magiques. Sage précaution : ils lui ont permis de ne pas succomber aux tentatives de vengeance du mage, mais se sont dispersés au fil du temps, causant des troubles divers dans le monde des humains… et suscitant des vocations.

À force de patience, Morphée a fini par échapper à la famille Burgess. Il l’a châtiée, mais l’expérience l’a durablement marqué et changé. Au xxie siècle, Daniel, son avatar actuel, a été à son tour victime d’une tentative de meurtre inspirée par l’exemple et les méthodes de Burgess. Il en a triomphé, mais au prix de manœuvres considérables et de quelques dommages collatéraux, notamment avec la Féerie : avec l’aide de Nuala, une jeune elfe qui a un temps vécu dans le Songe, il a subtilisé à l’orgueilleuse Titania un objet précieux. Il a quitté une Féerie au bord du chaos, où Titania en furie dressait son armée contre Nuala, que Daniel avait dotée d’une arme redoutable : le véritable nom de Titania.

Recouvrant le contrôle de son domaine, Daniel reste profondément ébranlé par cette expérience. S’il demeure par sa nature un principe infini, il en est aussi une facette récente qui manque encore d’une véritable expérience de vie personnelle. Sa récente tentative pour en acquérir davantage a frôlé la catastrophe et sans doute renforcé sa conviction qu’il n’est pas à la hauteur de son aspect précédent. Malgré sa puissance immense, malgré l’aide de ses serviteurs fidèles, Lucien le bibliothécaire et Matthew le corbeau, il doute de ses capacités créatrices, de sa possibilité d’exister par lui‑même.

Et le monde de l’éveil, ses luttes, ses ambitions et ses folies, continuent d’empiéter sur le Songe et de s’imposer à l’attention de Daniel par des interférences inattendues…