Pat MILLS et Kevin O’NEILL sont des punks. Vous pouvez considérer cette remarque comme le plus grand des compliments.

Laissez-moi vous expliquer. Je sais bien que les vieux ont tendance à ressasser ce qu’ils considèrent être l’âge d’or et à radoter sur le fait que c’était tellement cool de l’avoir vécu. Je le sais, parce que je le fais tout le temps. Et pour votre gouverne, je m’apprête à le faire de nouveau, ici et maintenant. Il va falloir prendre un peu sur vous. Parce qu’il est temps que je vous rappelle à quel point les années 1980 étaient géniales.

Je suis trop jeune pour avoir vraiment pu me passionner pour les Beatles, et je suis complètement passé à côté de Woodstock, principalement parce que j’avais 9 ans et que je vivais à l’est de Londres quand Jimi HENDRIX est monté sur scène et a joué devant des milliers de hippies topless et défoncés, mais, surtout, parce que je me concentrais sur ce qui se passait dans l’univers Marvel, et sur la manière dont Batman allait bien pouvoir échapper au dernier piège sinistre mis au point par le Sphinx pour en avoir quoi que ce soit à faire. Mais quand le punk rock a débarqué, j’étais suffisamment âgé pour me le prendre en pleine poire et pour qu’il m’envoie valdinguer cul par-dessus tête.

Et même si cette sublime explosion d’attitude faussement anti-establishment (et ces heures passées à se coiffer les cheveux en pointes, à déchirer artistiquement ses fringues et à faire peur aux passants en grimaçant) n’a en réalité pas duré plus d’un an, peut-être deux au grand maximum, l’onde de choc qu’elle a provoquée se répercute encore aujourd’hui. Et ma théorie est que dans le monde des comics, le punk a provoqué des changements d’ampleur sismique.

Vous pensez que j’exagère ? Laissez-moi vous présenter mes pièces à conviction : l’invasion des auteurs britanniques comme Alan MOORE, Neil GAIMAN ou Grant MORRISON qui ont révolutionné le monde des petits Mickeys (au même moment où Frank MILLER nous présentait la version dure à cuire des vieux héros classiques, et où l’édition indépendante explosait). Je soutiens que c’est la sensibilité punk qui a façonné cette révolution, qui a touché tous ces futurs génies et les a encouragés à se débarrasser du joug du conformisme, de l’entretien besogneux des héritages vieux de plusieurs décennies sur lesquels l’industrie des comic books a été bâtie, et de préférer aller courir, nus, libres et en sueur, dans les rues (au sens figuré, Dieu soit loué).

Regardez donc ce que les années 1980 nous ont légué : la version désormais considérée comme définitive de SWAMP THING d’Alan MOORE, la réinvention de Daredevil par MILLER (qui a techniquement débuté en 1979, mais bon…) et de Batman (sous l’appellation désormais incontournable de « Dark Knight »), SANDMAN,
Miracleman, AMERICAN FLAGG!, les Teenage Mutant Ninja Turtles, WATCHMEN, RAW, Reid Fleming the World’s Toughest Milkman, Yummy Fur… Pour les fans, c’est comme si les Sex Pistols eux-mêmes s’étaient emparés des maisons d’édition. Des protagonistes de Love and Rockets au look goth/punk des Éternels de SANDMAN, en passant par John Constantine, toujours un juron et une clope au bec : les oeuvres de génies délirants et sous amphét’ se sont succédé à toute allure durant toute cette décennie, saluées par les cris de délectation des lecteurs qui les découvraient. Et en ce qui me concerne, la série qui ressort vraiment et qui est sans nul doute la plus remarquable et la plus sousestimée de toute cette liste est MARSHAL LAW.
Ne vous méprenez pas : j’adore aussi toutes ces autres séries, mais en ce qui concerne les titres de super-héros, on peut dire qu’ils ont eu le beurre et l’argent du beurre. Ils avaient l’air de déconstruire l’idée du super-héros, et ils nous donnaient l’impression qu’ils racontaient de nouveau nos histoires de super-héros favorites d’une manière plus mature et plus moderne, mais au fond, la plupart ne faisaient que suivre les mêmes formules de base que leurs prédécesseurs. Toutes ces introspections, ces questionnements moraux, cette angoisse existentielle sur le fait de rendre justice soi-même n’étaient en général qu’une fine couche de maquillage appliquée sur des histoires mettant en scène la lutte du bien contre le mal, et le résultat laissa le genre super-héroïque légèrement ébouriffé, mais globalement inchangé.

Avec MARSHAL LAW, c’était différent. Le titre se basait sur le principe super-héroïque franchement négatif d’une bande de proto-fascistes portant des capes et dirigeant peu ou prou le monde, et son protagoniste principal était poussé par une haine profonde des super-héros, elle-même alimentée par un fond troublant de haine de soi – des choses qu’on avait pu croiser dans la vie réelle, mais jamais dans les comics.

Pat MILLS est un punk. Il ne sera peut-être pas d’accord d’accepter ce titre, mais tous ceux qui connaissent son oeuvre savent qu’il a toujours mis en scène des agressions  contre l’autorité et l’establishment, outrageusement violentes, scabreusement satiriques et souvent hilarantes. Ses héros se dressent toujours contre le statu quo ambiant, et le faisaient déjà avant que les Ramones poussent leur premier « one-two-three-four » et que les Clash mettent le feu à l’Hammersmith Palais. Comme eux, MILLS est un des sales morveux des origines. Vous pouvez aller chercher sur Google les détails sordides de sa carrière, mais pour faire court, après avoir révolutionné la bande dessinée britannique avec les hebdomadaires Action et 2000 AD, et apporté sa contribution à la création du dur des durs ultime, Judge Dredd, MILLS a plongé un orteil dans les eaux du comic book américain en proposant la version la plus extrême des super-héros jamais publiée par un gros éditeur : MARSHAL LAW, un héros qui hait les héros. Ou plutôt, un héros qui se rend compte que tous les soi-disant héros sont des marchandises abîmées, des tarés, des psychopathes, des fascistes, des fondus de sadomasochisme et/ou des grandes gueules pour qui on ne peut plus rien et qui doivent être achevées, pour leur bien et pour celui de la société. Il s’agit d’un comic book pour ceux qui ont cessé d’aimer les comics, mais qui ne parviennent pas à s’en défaire vraiment, et son personnage principal est la définition même de l’antihéros.Et qui pouvait mieux aider à donner vie au antihéros ultime que celui qui est peut-être l’anti-dessinateur de comics ultime ? Les scénarios de MARSHAL LAW de MILLS sont parfaitement complétés par les dessins rêches, détaillés jusqu’au délire de l’artiste punk par excellence qu’est Kevin O’NEILL. J’admire depuis très longtemps l’oeuvre de Kevin O’NEILL – la brutalité pure de sa laideur, mais aussi la complexité savante de ses mises en scène. Ses pages de MARSHAL LAW pulsent d’une sorte d’énergie hypnotique hallucinante parfaitement équilibrée entre des zones débordantes de détails et d’autres construites avec une élégance minimaliste. Les innombrables gags cachés et autres références qui agrémentent ses décors le mettent sur un pied d’égalité avec les chefs-d’oeuvre intemporels de Will ELDER et Wally WOOD dans les premiers numéros de MAD, et ils offrent un contraste encore plus cru avec les images stressantes de ces hommes et de ces femmes au bord du gouffre de la folie, rendus dingues par leurs pouvoirs, leur absence de sentiments et leur quête incessante de plaisir, de sensations et de défonces de plus en plus extrêmes – des accros à l’adrénaline condamnés, incapables de se rapprocher des autres.

Du moins, c’est l’impression que j’ai. Comme je l’ai dit, MARSHAL LAW est l’un des classiques les plus sousestimés de son temps, et pour beaucoup de lecteurs, ce recueil sera leur première rencontre avec l’impitoyable chasseur de héros de MILLS et O’NEILL. Mais que vous soyez un punk vieillissant empli d’une nostalgie antisociale ou un jeune fan tout frais aux yeux encore écarquillés d’un optimisme béat, préparez-vous à vous faire exploser les dents par la saga de super-héros la plus subversive jamais publiée !

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San Francisco a été ravagée par un tremblement de terre.

et de ses cendres est née une nouvelle ville, San Futuro. En ce lieu de perdition et de violence, se déploie toute la bestialité d’une humanité génétiquement modifiée, tandis que des humanoïdes surpuissants deviennent des symboles d’héroïsme. Les combats de rue entre les vétérans déchus sont à présent une norme que le gouvernement doit endiguer, aussi font-ils appel à une figure d’autorité. Son nom : Marshal Law. Sa mission : gérer les gangs de super-héros. Son but : rétablir l’ordre.

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