World’s Finest : Le nec plus ultra

Connu pour son goût pour la mythologie DC et sa manière de réactualiser des concepts anciens, le scénariste Mark WAID s’attaque au légendaire tandem de Superman et Batman qui a connu de multiples versions depuis la naissance des héros à la fin des années 1930.

Étonnamment, les deux piliers de la firme DC ne sont associés au départ que sur les couvertures du comic book  WORLD’S FINEST COMICS qui débute sous le titre WORLD’S BEST COMICS. Superman, Batman et Robin sont tout d’abord présents sur la couverture du NEW YORK WORLD’S FAIR COMICS #2 de 1940 réalisé pour la promotion de l’Exposition Universelle de New York.

Si on les voit apparaître en tant que membres honoraires de la Société de Justice dans une des dernières cases de ALL-STAR COMICS #7 d’octobre-novembre 1941, avant de prendre part à une mission du groupe dans le numéro 36 d’août-septembre 1947, il faut se pencher sur les aventures radiophoniques de Superman pour découvrir dès 1942 un épisode mettant en scène les deux héros. Batman et Robin prêteront main-forte plusieurs fois à l’Homme d’Acier interprété par Bud COLLIER.

C’est au tournant des années 1950 que le tandem Superman/Batman est définitivement officialisé dans la continuité DC. SUPERMAN #76 de mai-juin 1952 présente « The Mightiest Team in the World! » réalisé par Edmond HAMILTON au scénario et Curt SWAN au dessin. Les deux héros mènent alors l’enquête sur un paquebot, en pleine croisière. Puis, l’idée d’entériner l’équipe fait son chemin et face à la réduction de pagination du titre WORLD’S FINEST en 1954, il est décidé que ni Superman ni Batman ne le quitteront mais qu’ils évolueront en tandem (ou plutôt en trio avec Robin) dans tous les numéros.

Les premières années de ce renouveau sont marquées du sceau de l’éditeur Jack SCHIFF qui s’occupe à l’époque des titres Batman. Pour cette raison, on retrouve, après quelques numéros signés Curt SWAN, le dessinateur Dick SPRANG connu pour être le « Ghost » de Bob KANE le plus talentueux. SPRANG va réaliser des épisodes jusqu’à son départ du milieu de la bande dessinée en 1963. Il illustre, avec son découpage dynamique et sa précision habituelle dans les décors et les engins, des scripts des différents scénaristes qui se partagent les aventures de Batman et Superman : Alvin SCWHARTZ, Bill FINGER, Ed HAMILTON ou bien encore Jerry COLEMAN. Bondissants et colorés, ces numéros font figure d’Âge d’or du titre.

Puis, en mai 1964, au moment où Julius SCHWARTZ reprend en main les titres BATMAN et DETECTIVE COMICS et impose le Batman « New Look » avec l’ovale jaune sur la poitrine, Mort WEISINGER, grand patron des titres Superman, s’empare de WORLD’S FINEST pour une deuxième excellente période illustrée, elle, par Curt SWAN, épaulé par George KLEIN à l’encrage. Les scénarios sont confiés à Ed HAMILTON, et si dans BATMAN et DETECTIVE, l’environnement se fait plus réaliste, dans WORLD’S FINEST l’accent est mis, comme d’habitude chez WEISINGER, sur les origines kryptoniennes du héros. Ainsi, Batman et Robin vont visiter plusieurs fois Kandor, la ville bouteille où Superman et Jimmy Olsen deviennent les justiciers masqués Nightwing et Flamebird, inspirés par le Dynamique Duo. D’ailleurs, Jimmy Olsen s’associe également au trio qui devient un quatuor, sans compter les apparitions de Supergirl et Batgirl. Cette période qui finit par voir l’arrivée de jeunes scénaristes tels que Cary BATES et surtout Jim SHOOTER, semble avoir considérablement marqué WAID pour les épisodes qui suivent.

Dans les années 1970, après une brève période durant laquelle Batman cède sa place à d’autres héros en équipe avec Superman, plusieurs auteurs reprennent le titre, notamment Bob HANEY et Dick DILLIN pour la « saga des Super-Fils » qui voit les héritiers de Bruce Wayne et Clark Kent reprendre le flambeau de leurs pères respectifs dans un futur imaginaire. En parallèle, Batman et Superman se croisent régulièrement depuis 1960 dans les pages de JUSTICE LEAGUE OF AMERICA aux côtés des autres héros de la firme, et il est désormais communément admis que le Chevalier Noir et l’Homme d’Acier sont les meilleurs amis au monde.

Tout ceci va cependant changer avec les années 1980. Tout d’abord, première entaille dans cette relation, Batman quitte avec pertes et fracas la Ligue de Justice et forme, en 1983, le groupe des Outsiders, composé de héros marginaux, après que la Ligue a refusé de l’aider à secourir Lucius Fox, retenu dans une dictature hors de portée du groupe pour des raisons diplomatiques. Mike W. BARR et Jim APARO lancent le titre BATMAN AND THE OUTSIDERS en août 1983, et, par contrecoup, les relations vont se rafraîchir au sein du titre WORLD’S FINEST COMICS écrit notamment par Doug MOENCH qui s’occupe de BATMAN et DETECTIVE à la même époque. Rappelons également que Batman est alors loin de connaître la même popularité que de nos jours et que Superman surfe quant à lui sur une vague d’adaptations cinématographiques à succès.

WORLD’S FINEST COMICS tire sa révérence au numéro 323, en janvier 1986, l’année au cours de laquelle Frank MILLER, Klaus JANSON et Lynn VARLEY livrent leur historique DARK KNIGHT RETURNS. Bien qu’ils aient été témoins de nombreuses querelles entre Superman et Batman, peu de lecteurs sont préparés à assister à un combat à mort entre les deux héros, vieillis et désabusés. Le quatrième numéro de la minisérie voit un duel sanglant se dérouler dans Crime Alley, là où tout a commencé pour Batman…

Et la même année, John BYRNE, dans la mini-série MAN OF STEEL, redéfinit le passé de Superman et présente une première rencontre bien plus distante que celle évoquée jusqu’alors par Ed HAMILTON ou d’autres scénaristes comme Roy THOMAS. Si les justiciers parviennent dans MAN OF STEEL #3 à faire prisonnière Magpie, une voleuse de bijoux, ce n’est pas sans heurts, et la confiance est loin de régner entre les deux super-héros.

Au cours des années suivantes, ce sont surtout les auteurs des séries attribuées à Superman qui vont dépeindre le réchauffement progressif des rapports entre les héros. Un arc intitulé « Dark Knight Over Metropolis » daté de 1990 voit ainsi Superman confier à Batman une bague en kryptonite, la seule arme capable de le neutraliser. Puis, la même année, Dave GIBBONS et Steve RUDE réalisent l’excellente mini-série en trois épisodes WORLD’S FINEST qui montre le Joker et Lex Luthor faire eux aussi équipe, comme à la grande époque, avant de se déchirer et de mettre les villes de Gotham et Metropolis à feu et à sang (voir SUPERMAN/BATMAN L’ÉTOFFE DES HÉROS, Coll. DC Deluxe). Une intrigue qui rappelle celle que Alan BURNETT, Paul DINI et Bruce TIMM utiliseront pour la première et remarquable association des héros dans leurs séries animées en 1997.

Dix ans après THE DARK KNIGHT RETURNS, DC propose avec KINGDOM COME (Coll. Black Label), de Mark WAID et Alex ROSS, un nouvel affrontement entre un Superman et un Batman âgés, mais cette fois-ci, il se conclut sur une note plus optimiste avec Bruce Wayne parrainant l’enfant de Clark Kent et Diana, Wonder Woman. Cette dernière s’insère dans l’équation alors que l’ère classique de DC construit de plus en plus l’idée de Trinité héroïque au cœur de la Ligue de Justice. Ainsi, Matt WAGNER propose la première rencontre des trois piliers dans BATMAN/SUPERMAN/WONDER WOMAN: TRINITY en 2003-2004. De même, la dissension et les divergences de points de vue au sein du trio forment la base d’INFINITE CRISIS, le crossover événement de 2005-2006 écrit par Geoff JOHNS. En effet, la caractérisation des super-héros passe ici par les visions différentes de la justice et de leurs missions sur Terre : Wonder Woman délivre un message issu du dogme des Amazones ; Superman se bat avant tout pour la Vérité et la Justice ; quant à Batman, si la vengeance l’anime, il est également soucieux de protéger les humains des dérives possibles des surhommes. Aussi, le Chevalier Noir utilise-t-il des méthodes de surveillance et de contre-attaque, comme le satellite OMAC, qui peuvent s’avérer dangereuses pour ses propres coéquipiers.

Avec la Renaissance DC en 2011, des versions rajeunies de Batman, Superman et Wonder Woman débutent
dans les pages des nouveaux titres. Superman est un temps en couple avec Wonder Woman, et la série BATMAN/SUPERMAN écrite par Greg PAK fait intervenir deux versions des plus grands héros.

Mais avec DC Rebirth en 2016, les auteurs décident de revenir à une forme plus traditionnelle : Superman est à nouveau marié à Lois Lane et ils ont même un fils, Jon Kent. Celui-ci fait équipe avec le fils de Batman, Damian Wayne, le dernier Robin. Dans le même temps, Hollywood s’inspire du duel de DARK KNIGHT RETURNS pour une partie de BATMAN V. SUPERMAN, première confrontation sur grand écran des personnages incarnés par Ben AFFLECK et Henry CAVILL sous la direction de Zack SNYDER. Là encore, Wonder Woman (Gal GADOT) fait irruption, et c’est sur ce trio que se rassemble la Ligue de Justice dans le film suivant, remanié des années plus tard par son auteur, JUSTICE LEAGUE.

Dans les pages des BD, Batman et Superman renouent en duo dans un titre écrit tout d’abord par Josh WILLIAMSON puis par Gene LUEN YANG. Les premiers épisodes sont reliés aux événements du BATMAN QUI
RIT (voir LE BATMAN QUI RIT TOME 2 – LES INFECTÉS, Coll. DC Rebirth) et montrent le tandem tenir tête à des héros manipulés, une intrigue dans le ton de celle que Mark WAID concocte en ouverture de cette série régulière. Située dans le passé des justiciers, elle montre leur amitié naissante mais également l’influence qu’ils ont tous deux sur Dick Grayson, le premier Robin, appelé à devenir Nightwing, chef des Titans et protecteur de Blüdhaven. Pour ce faire, WAID et Dan MORA n’hésitent pas à multiplier les vedettes invitées, de la Doom Patrol à la Ligue de Justice en passant par le bestiaire de vilains des deux héros. Une plongée sans retenue dans l’imaginaire de l’Âge d’argent des comics DC et de son sens du merveilleux reliée au contexte angoissant de notre époque entre embrigadement sectaire et retour de maux anciens que l’on croyait à jamais oubliés.

Yann GRAF