Il y a quelque temps de ça, alors que je rentrais chez moi, je me suis arrêté au pub pour prendre une Guinness. Je n’avais pas regardé ma montre, mais je savais qu’il n’était pas encore vingt heures.

On était mardi, et j’entendais la télé, dans un coin, passer le dernier épisode en date d’Eastenders, une série fleuve racontant le quotidien de gens du peuple, joyeux et très sympathiques, dans un quartier décrépi, mais mythique, de Londres.

Je me suis assis dans un box, et j’ai récupéré le journal gratuit que quelqu’un avait laissé sur la banquette. Je l’avais déjà lu. Et il n’y avait pas grand-chose dedans, de toute façon. Alors, je l’ai reposé et j’ai décidé de finalement m’installer au bar.


Ce n’était pas une nuit très agitée. J’entendais le murmure distant de la télé par dessus les conversations des gens au bar et le claquement des boules du billard. Après Eastenders, il y avait Porridge, une rediffusion d’une sitcom à propos d’un prisonnier joyeux et très sympathique dans une prison victorienne, curieusement confortable, pas oppressante, mais un peu décrépite.

C’était presque imperceptible, mais des gouttes d’alcool fuyaient des doseurs des bouteilles retournées, derrière le bar. De minuscules gouttes de whisky et de vodka qui finissaient par former de petites mares, et tombaient sans bruit, alors que je les regardais.

J’ai fini mon verre. J’ai relevé la tête, le barman a saisi mon regard… « Une Guinness ? », m’a-t-il demandé en allant chercher un verre propre. J’ai acquiescé de la tête.
La femme du barman est arrivée, et elle a commencé à lui prêter main forte, essuyant les verres et prenant les commandes des clients. Il était maintenant 20 h 30. Porridge avait cédé la place Question of Sport, un jeu télévisé avec des sportifs célèbres, joyeux et très sympathiques, à propos d’autres sportifs célèbres, qui étaient très sympathiques aussi pour la plupart.
Et joyeux.
La jovialité était de mise.
« Il faudrait que je lui signale ces doseurs qui fuient », me suis-je dit.
Après Question of Sport, il y avait les infos de neuf heures. Pendant trente secondes. Parce que quelqu’un coupa la télé. Et mit de la musique pop joyeuse et très sympathique à la place. J’ai fait signe au barman. « Juste un demi, cette fois-ci ».


Pendant qu’il remplissait mon verre, je lui ai solennellement demandé pourquoi il avait coupé les infos. « Me demandez pas, c’est Madame… », répondit-il, d’une façon joyeuse et sympathique, alors que la responsable s’affairait à l’autre bout du comptoir. Les doseurs qui fuyaient avaient cessé d’avoir la moindre importance à mes yeux.
J’ai fini mon verre, puis je suis parti, à peu près certain que la télé resterait éteinte toute la soirée. Parce qu’après les infos était programmé Ces Garçons qui venaient du Brésil, un film avec peu de personnages joyeux et sympathiques, parlant surtout de savant nazis occupés à créer 94 clones d’Adolf Hitler.

Il n’y a pas non plus beaucoup de personnages joyeux et sympathiques dans V POUR VENDETTA. C’est un livre pour les gens qui n’éteignent pas à l’heure des infos.
DAVID LLOYD
14 janvier 1990
Cette introduction de David Lloyd est extraite du premier recueil de V POUR VENDETTA, paru en 1990.

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Urban comics Nomad : V pour Vendetta

1997, une Angleterre qui aurait pu exister… Dirigé par un gouvernement fasciste, le pays a sombré dans la paranoïa et la surveillance à outrance. Les « ennemis politiques » sont invariablement envoyés dans des camps et la terreur règne en maître. Mais un homme a décidé de se dresser contre l’oppression. Dissimulé derrière un masque au sourire énigmatique, il répond au nom de V : V pour Vérité, V pour Valeurs… V pour Vendetta !

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