Pour la parution de Gérard Way présente Doom Patrol, nous mettons en ligne l’introduction écrite par Gérard Way, himself, leader du groupe My Mechanical Romance.

J’avais quatorze ans en 1991, et dix-sept ans en 1994. Entre les deux, j’ai vécu des changements aussi immenses que douloureux, et les deux seules choses qui m’ont permis de les supporter étaient la musique et les comics. La découverte de groupes comme les Pixies, les Smashing Pumpkins, Nirvana ou Teenage Fanclub m’offrait un exutoire au goût de rage punk alliée à un zeste de psychédélisme en guise de tremplin vers de nouveaux horizons.  Ils composaient la bande-son idéale d’un remâchage au sortir duquel je deviendrais quelqu’un d’autre et atténuaient la douleur de cette difficile transition, mais c’est les comics qui ont reconfiguré mon cerveau, qui ont transformé cette fosse sanitaire remplie de colère informe en une toile complexe où les émotions déclenchent des pulsions créatrices. C’est grâce aux comics que les choses ont commencé à prendre un sens pour moi. Les séries que je lisais à l’époque allaient bientôt intégrer Vertigo, une nouvelle collection révolutionnaire de DC, créée et dirigée par Karen BERGER, où les héros de l’éditeur se faisaient plus noirs, plus adultes, et plus cérébraux. Soit exactement ce que j’avais besoin de lire. L’impact des initiatives visionnaires de Karen se ressentent aujourd’hui encore dans le monde du comics, car elles ont inspiré tout une génération de lecteurs et d’auteurs, ou de lecteurs qui sont devenus auteurs par la suite. Le projet Young Animal doit énormément à Karen et aux auteurs avec lesquels elle travaillait : c’est mon amour de Vertigo, et mon désir de travailler avec une de ses éditrices en particulier, qui m’a amené à pousser la porte des bureaux de DC Comics à New York. Je suivais la carrière des éditeurs comme on suit celle des rock stars et, même aujourd’hui, alors que je suis moi-même scénariste, je les considère toujours comme les rock stars de l’industrie, car c’est grâce à eux que les projets aboutissent, et ce sont eux qui poussent les créateurs à produire des diamants bruts, qu’ils polissent ensuite jusqu’à les faire chanter.

C’est le métier de Shelly BOND, dont les titres m’ont accompagné tout au long de mon voyage, depuis ses débuts à Vertigo jusqu’à son travail sur THE INVISIBLES, de Grant MORRISON, qui paraissait à l’époque à j’étais en stage chez DC. Les oeuvres que supervisait Shelly étaient osées, sexy, et parfois magnifiquement foutraques, pleines de portes ouvertes sur des ados fugueurs, la brit pop ou des théories complotistes, et elles débordaient toutes de partis-pris visuels affirmés. C’est lors de notre première rencontre à New York, alors que je venais de finir Umbrella Academy : La Suite apocalyptique, que nous avons planté les graines de Doom Patrol puis, une petite année plus tard, je lui envoyais les premières pages de mon scénario depuis une chambre d’hôtel au Brésil. Même si ce n’est pas cette version-ci qui finirait par voir le jour, la machine était lancée, et une partie de l’énergie (ainsi qu’une ambulance) que j’avais mise dans ces quelques pages persisterait dans ce que je publie maintenant en compagnie de Nick DERINGTON. Après un festival de comics au Brésil (encore et toujours le Brésil) passé en compagnie de Dan DiDIO et moi-même, Jim LEE a eu l’idée de créer une nouvelle collection. Nous avions beaucoup discuté, j’avais continué à réfléchir à la question après notre retour à Los Angeles, et il était devenu évident que nos idées allaient bien au-delà de DOOM PATROL : nous étions décidés à ramener les personnages de DC dans les marges. Vertigo était devenu une fantastique collection de créations d’auteurs, mais les personnages les plus bizarres de DC n’avaient plus nulle part où s’épanouir. Et c’est lors d’une réunion cruciale dans les nouveaux locaux de DC à Burbank que Young Animal a trouvé son nom et que nous nous sommes mis au boulot.

Je me suis plongé dans une encyclopédie de DC et je me suis procuré l’intégralité des fiches personnages de l’éditeur, pour y dénicher tout ce qu’elles contenaient de plus bizarre et de plus profondément enfoui et oublié. Les idées affluaient, de plus en plus absurdes, et certaines d’entre elles se retrouvaient couchées sur le papier et soumises à Dan —qui prenait lui aussi une joie sans borne à fouiller le passé pour en tirer des concepts nouveaux—, et auquel je n’arrêtais pas d’envoyer des messages. C’est grâce à son ambition, à son soutien et sa confiance, ainsi qu’à ceux de Jim LEE, qui était tout autant déterminé à proposer de l’audacieux et de l’inédit, que Young Animal a vu le jour. Quand ils m’ont demandé avec qui je voulais travailler, je n’ai pas eu à réfléchir bien longtemps : c’était ma chance de collaborer avec Shelly BOND. Et, avec l’aide de l’éditrice associée Molly MAHAN, nous avons tracé les contours de la collection au cours de bœufs où nous alignions et effacions sans relâche des notes et propositions sur un tableau blanc, sous les encouragements de Dan et Jim, que nous mettions au courant de nos avancées toutes les semaines. Au bout de quatre mois, notre projet commençait à ressembler à quelque chose. Comics pour humains dangereux Franchement, c’est un peu dur à expliquer. Il n’est évidemment pas question des gens qui sont physiquement dangereux, mais plutôt de ceux dont les pensées sont intrépides. Ceux qui aspirent à plus, ceux qui ne sont jamais satisfais, ceux qui sont de dangereux humains. Et les humains dangereux créent des choses.
Il nous appartient de tracer les nouvelles marges, de redéfinir le bizarre. Le passé peut nous servir de boussole, et nous sommes libres d’y adhérer, mais il y a toujours un moment où il faut arrêter de suivre le manuel pour commencer à cogner des trucs les uns contre les autres, parce que c’est la seule manière de bâtir quelque chose qui n’a jamais été construit. Ces histoires ne sont pas là que pour vous divertir, elles sont là pour vous encourager à créer vos propres comics, à écrire vos propres livres, à jouer votre propre musique ou à vous mettre à sculpter votre purée de pommes de terre. À produire de l’art par vous-mêmes. C’est l’essence de Young Animal : l’art du comics, l’art de la transformation, de la découverte de soi, du développement de soi… Ce sont les thèmes qui peuplent les pages de cette collection. Pendant l’écriture du premier chapitre de DOOM PATROL, j’ai moi-même vécu une nouvelle transformation, comme des années plus tôt, lorsque j’avais ouvert un comics pour la première fois et monté le son de mon walkman.


J’aimerais remercier DC Comics et les gens merveilleux qui y travaillent, mon équipe éditoriale, composé de Molly MAHAN et de Jamie S. RICH, ainsi que tous les créateurs qui ont travaillé sans relâche pour donner corps à notre objectif commun. Je tiens à remercier Dan DiDIO et Jim LEE pour leur soutien, pour leur volonté de faire avancer le comics dans son ensemble, et pour avoir permis l’existence de Young Animal. Et je remercie Shelly BOND pour avoir créé avec moi quelque chose qui, je le crois, durera aussi longtemps que nécessaire. Quoi que ça puisse signifier.

Avec ma gratitude éternelle, mon encre, mes impressions, mon papier, mes agrafes, et tout mon amour.

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Casey Brinke, une jeune ambulancière sans histoire, fait la rencontre fortuite de Cliff Steele alias Robotman, et se voit projetée dans un univers surréaliste où l’imagination a depuis longtemps pris le pouvoir.

Elle y croise d’étranges personnages, des parias, mis au ban de la société en raison de leurs pouvoirs hors-normes ou de leurs handicaps physiques, et décide de se joindre à eux pour contrer la conspiration. Ensemble, ils forment la Doom Patrol, et comptent bien redéfinir les limites de la bande dessinée

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