Ce n’est pas la fin pour Hazel et sa famille ! Juste la fin du début… Découvrez les coulisse du space-opera phénomène SAGA avec Brian K. Vaughan !
Salut, ici Brian VAUGHAN. Si c’est la première fois que vous lisez notre aventure au long cours, bienvenue dans le courrier des lecteurs à l’ancienne calé à la fin de chaque nouveau chapitre de notre série. Bien que nous n’acceptions pas les missives électroniques (parce que la technologie m’effraie et me pétrifie), nous adorons partager les lettres physiques, les corbeilles de fruits et les macramés venus des quatre coins du monde que nous recevons tous les mois. Alors si vous voulez nous faire plaisir, prenez la plume !
Cependant, comme il s’agit d’une édition spéciale de À suivre, réservée à cette première intégrale, nous n’avons la place de reproduire qu’un seul de vos messages, aussi en a-t-on choisi un bon…
Cher À suivre,
Euh… comment fait-on les sagas ?
Merci, Augustus R.
Dupont, Wisconsin
Excellente question, Augustus. Quant à vous autres, si vous n’aimez pas découvrir ce qui se passe en cuisine, n’hésitez pas à zapper ce qui va suivre. J’espère néanmoins que Gus et tous ceux qui nous liront apprécieront cette petite visite de notre usine à saucisses intergalactique.
BKV : SAGA est l’œuvre de quatre personnes qui travaillent en étroite collaboration : la dessinatrice Fiona STAPLES (cocréatrice de la série), le lettreur/graphiste FONOGRAFIKS (Steven FINCH de son vrai nom, mais ne le répétez pas), un mec chauve, et notre coordinateur, Eric STEPHENSON… qui se trouve aussi être notre éditeur.
J’ai travaillé avec bon nombre d’éditeurs exceptionnels au fil de ma carrière, mais en commençant à publier chez Image Comics, j’étais résolu à faire sans. L’idée de ce défi était de réduire au minimum les interférences artistiques qui séparent les créateurs de leur public. Seulement, comme je suis un auteur certifié 100 % cerveau droit, c’est-à-dire incapable de respecter un planning sans entendre le fouet claquer à mes oreilles, j’ai tout de même demandé à Eric de s’assurer que je tienne mes deadlines. Une tâche dont il s’est acquitté avec une autorité toute mussolinienne.
Mais revenons à nos moutons : aujourd’hui, on ne fabrique plus les comics de la même manière qu’à l’époque de mes premiers pas dans l’industrie, en 1996. J’écrivais alors les dialogues à partir d’un fax des planches, puis le lettrage était réalisé en collant à la main les bulles sur les versions encrées desdites planches, qui transitaient par courrier. Ici, nous allons vous expliquer comment on réalise un comics au xxie siècle, étape par étape. Et pas n’importe quel comics : le quatrième chapitre de SAGA, celui où, selon moi, notre petite équipe en est réellement devenu une…
ÉTAPE UN : L’ARC
BKV : SAGA a été conçu pour faire honneur à son nom, qui représente une promesse de récit aux proportions réellement épiques. J’ai déjà en tête la dernière case de la dernière planche, mais j’espère que Fiona et moi ne l’atteindrons pas de sitôt. En attendant, nous tâchons de nous concentrer sur un arc à la fois, soit six chapitres qui, si tout va bien, fonctionnent à la fois individuellement et réunis pour former un tome. Avant d’attaquer un nouvel arc, Fiona et moi discutons généralement du genre d’histoires et des thèmes que nous souhaitons y aborder, des conneries débiles qu’elle ne veut plus m’entendre lui demander de dessiner, et autres choses de ce goût-là.
Quand on évoque les qualités narratives de SAGA, on n’accorde jamais suffisamment à Fiona le mérite qui lui revient. Pourtant, bon nombre des aspects les plus remarquables du titre viennent de suggestions qu’elle a formulées lors de cette étape préliminaire. Moi, par exemple, je n’avais pas prévu de faire usage de flash-back, mais elle trouvait important de donner à voir plus en détail la manière dont Marko et Alana se sont rencontrés, ce qui a permis l’éclosion de quelques-uns des moments les plus marquants du deuxième tome. Même si je suis en charge des mots et elle des images (ce qui est infiniment plus compliqué), SAGA est une histoire que nous racontons à deux.
Ce qui nous intéressait, pour notre premier arc, c’était de développer le concept d’anti-lune de miel, cette période difficile et terrifiante, mais finalement salutaire, qui suit la naissance du premier enfant d’un couple (ou, pour un artiste, la publication de sa dernière œuvre en date). La plupart des récits s’achèvent sur la formation d’un couple, ou sur une naissance, mais c’est là que nous, nous voulions commencer le nôtre.
Une fois le sujet réel de notre arc défini de manière raisonnablement solide, j’établis pour moi-même un grossier plan de route qui couvre les six chapitres. J’y définis une vague trajectoire d’ensemble et y inclus au moins six étapes importantes (ce qui n’empêche pas les détours ou les apartés si un personnage nous entraîne dans une direction inattendue). La plupart du temps, ce plan de route ressemble à quelque chose comme ça :
CHAPITRE UN : Le fourre-tout, un double-chapitre où l’on présente toutes les forces en présence, et qui donne de manière claire le cap et le ton de la série
CHAPITRE DEUX : Introduction de nouveaux antagonistes (la Traque) et de nouveaux alliés (Izabel)
CHAPITRE TROIS : Première véritable épreuve du mariage : Mais putain, c’est qui Gwendolyn ?
CHAPITRE QUATRE : Le Testament rencontre la petite esclave sur Sextillion
CHAPITRE CINQ : le Prince Robot IV commet la pire erreur de sa vie
CHAPITRE SIX : Décollage dans la fusée végétale ; arrivée des grands-parents Bien entendu, nous en savions d’ores et déjà beaucoup plus, mais le fait de définir les grandes lignes au début de chaque arc est utile pour aborder l’étape suivante…
ÉTAPE DEUX : LA COUVERTURE
BKV : Les couvertures de comics doivent souvent être prêtes avant même que le scénario ne soit fini, et ce afin de pouvoir figurer, plusieurs mois en amont de la sortie, dans les catalogues de pré-commande soumis aux libraires.
(Dans le cas présent, j’avais, je crois, pris suffisamment d’avance pour que Fiona ait déjà eu en mains l’intégralité du quatrième chapitre au moment d’attaquer le dessin de sa couverture. Mais ces temps-ci, elle parvient à faire des miracles à partir d’indications aussi floues que « Il faudrait un aperçu de la violence du passé militaire de Marko. »)
J’ai toujours eu le goût des illustrations faussement simples mais qui établissent le ton de ce qui va suivre, et en la matière, personne n’arrive à la cheville de Fiona. Chapitre après chapitre, ses premières intuitions se révèlent plus parfaites que tout ce que notre imagination aurait pu convoquer (je ne demande même plus à voir ses croquis, elle fait mouche à chaque fois), mais pour celui-ci, une fois n’est pas coutume, sa proposition n’a pas été retenue. Elle est, ceci dit, bien trop cool pour ne pas être partagée ici :
Bien que j’adore ce dessin, je ne voulais pas lui sacrifier l’impact de la première planche, où l’on découvre les deux terrifiantes hôtesses d’accueil de Sextillion. J’ai donc dû, avec regret, suggérer à Fiona de ne représenter que Le Testament et le Chat Mensonge, et le résultat est devenu l’une de mes couvertures favorites. Mais laissons la parole à Fiona elle-même, qui va nous raconter de quelle manière elle a procédé.
FS : En général, sur les autres séries, quand je prépare des couvertures, je soumets aux éditeurs un panel de trois ou quatre projets différents composé de scènes d’action et de portraits, de gros plans et de vues d’ensemble. Initialement, j’avais envisagé de faire la même chose sur SAGA. Pourtant, nous voilà vingt-quatre chapitres plus tard, et toujours aucune scène d’action en couverture (si ce n’est, à la limite, la posture menaçante de Klara face à Izabel pour le numéro 10, ou bien Upsher et Doff qui essuient des tirs pour le numéro 16). Mais c’est logique, car ces illustrations s’appuient sur un événement de l’histoire, et comme l’a expliqué Brian, à cette étape, je n’ai la plupart du temps pas encore lu le scénario. En tout cas, pour ma part, je suis heureuse de cette collection de portraits très représentative de l’esprit de SAGA, où l’essence des personnages prime sur les combats.
Quand je m’attelle à une couverture, je commence par travailler la composition sur un croquis petit format. Ensuite, je prends des photos qui pourront me servir de référence, puis je trace un premier dessin à taille réelle sur Photoshop. Sous ce calque, j’en utilise un autre pour placer approximativement mes couleurs et choisir celles qui constitueront ma palette. C’est le moment où je m’efforce de la définir avec précision, afin de limiter les ajustements et modifications de dernière minute. Ensuite, je zoome et je peins au-dessus de tout le reste, en utilisant l’outil pipette pour prélever les couleurs de ma sous-couche. En général, je pars du haut pour descendre progressivement en nettoyant et en affinant le trait et les formes au fur et à mesure.
Comme je n’avais pas d’opinion tranchée sur le placement du logo, j’ai envoyé à FONOGRAFIKS une version rallongée de l’illustration, dont il pouvait couper à sa guise le haut ou le bas.
BKV : Une fois que Fiona a fini, elle envoie la couverture à notre lettreur, FONOGRAFIKS, qui y place le titre, les crédits, et tout le reste. Steven est également notre designer. Ça ne signifie pas qu’on lui doit l’allure de nos personnages ou de notre univers (tout ça, c’est Fiona), mais son travail n’en est pas moins important. Non content d’avoir créé notre logo, reconnaissable entre mille, Steven choisit sa couleur et son placement pour chaque nouveau numéro, avec pour mission de mettre en valeur l’illustration de Fiona plutôt que d’en détourner l’attention. Laissons la parole à la vedette elle-même.
FG : Ma contribution aux couvertures peut se résumer à deux choses : le placement et la palette. Dans un cas comme dans l’autre, c’est l’étude de l’illustration qui me permet de faire des choix pertinents pour aboutir à un ensemble cohérent. L’identité graphique des couvertures (fond en aplat, police sans sérif pour le titre) avait déjà été établie avant mon arrivée, mais j’ai immédiatement eu hâte de jouer avec. Par la suite, lors de nos échanges sur le sujet, j’ai demandé s’il serait envisageable de passer occasionnellement le logo dans la moitié inférieure des couvertures, histoire de varier les plaisirs et de ne pas se priver d’opportunités visuelles dignes d’intérêt. Un sentiment répandu est que le logo doit toujours figurer en haut et au centre pour maximiser sa visibilité dans les bacs et tourniquets, mais vu que, de toute manière, les détaillants commandent leurs titres plusieurs mois à l’avance sur catalogue, je trouve cette règle obsolète.
Quand Fiona m’a laissé libre du choix pour ce numéro, j’ai donc opté pour un placement en bas. Je tenais à ce que l’œil se concentre, dans le tiers supérieur, sur Le Testament et le Chat Mensonge. C’est une scène étonnamment calme pour un comics, et je craignais qu’un logo au-dessus d’eux ne vienne encombrer l’image et perturber l’atmosphère contemplative que cherchait à évoquer Fiona.
Ainsi, après avoir tronqué l’image dans Photoshop pour la ramener à un format standard, je l’ai importée dans un modèle Adobe Illustrator pour y ajouter ce qu’on appelle « l’habillage commercial », c’est-à-dire les crédits, le numéro, le logo d’Image et le prix. Je suis libre de déplacer ces éléments où je veux pour qu’ils épousent au mieux l’illustration, où Fiona à la générosité de me laisser suffisamment de place pour tester différentes options. J’ai aussi sous la main une version « creuse » (sans remplissage) du logo, qu’on utilise généralement pour les seconds tirages.
Tout comme moi, Brian adore la police Futura, et il était heureux de la voir intégrer l’identité visuelle de la série. Qui plus est, j’ai toujours été d’avis que les polices sans sérif avaient un impact fort lorsqu’elles étaient posées sur des illustrations à la peinture, aussi il ne fut pas compliqué de s’accorder sur ce choix pour les textes secondaires. On utilise donc Futura pour les crédits, ainsi que pour les numéros de chapitre, exprimés en toutes lettres plutôt qu’en chiffres. En conséquence, il faut revoir leur taille et leur espacement tous les mois.
En général, le plus difficile, à cette étape, est l’occultation du logo, soit son effacement partiel afin de signaler qu’il appartient à l’arrière-plan de l’illustration. Mais ce n’était pas nécessaire sur cette couverture en particulier.
Si les fantastiques couleurs de l’illustration sont bien entendu celles de Fiona, c’est moi qui choisis celles de l’habillage. Quelquefois, je peux simplement me contenter d’utiliser du noir et du blanc, pour rester sobre, mais il arrive également que je doive en passer par plusieurs tentatives avant de parvenir à trouver la recette de l’harmonie d’ensemble.
Ici, la couverture étant principalement scindée entre jaune et orange fumé, il paraissait naturel d’utiliser du orange pour le logo d’Image (en haut, sur fond jaune), et du jaune un peu plus discret pour le titre (en bas, sur fond orange). Je ne me suis pas privé de puiser dans le reste du dessin pour ajouter de la nuance, mais en prenant soin d’ignorer les bleus et les verts, afin que les personnages conservent une palette qui leur est propre, mais j’ai tout de même utilisé le rouge de l’intérieur de la cape pour compléter mon jaune et mon orange, ainsi qu’une pointe de noir, autant comme rappel des touches plus sombres du Testament que pour améliorer la lisibilité des textes les plus fins.
Une fois bouclée, la couverture est exportée sous différents formats et en différentes tailles depuis Illustrator, afin qu’elle soit exploitable à l’impression et sur internet. L’habillage est ensuite sauvegardé séparément, et sera réutilisé lors de l’assemblage du numéro sous Adobe InDesign. C’est là que se déroule le travail typographique sur les pages intérieures, où sont reportées les couleurs utilisées en couverture, aussi bien pour les mentions légales que pour l’en-tête de notre courrier des lecteurs.
BKV : FONOGRAFIKS s’occupe même de la quatrième de couverture des fascicules. C’est un espace qu’on pourrait sans doute vendre pour un bon prix à des annonceurs publicitaires, mais sur lequel on préfère simplement étendre, en monochrome, la couleur choisie par Fiona pour l’arrière-plan de son illustration. On y relègue également cet horrible code- barres qui encombre trop souvent la couverture des comics.

Saga Intégrale, Volume 1 NOUVEAUTE
Un univers sans limite, peuplé de tous les possibles. Une planète, Clivage, perdue dans la lumière froide d’une galaxie mourante. Sur ce monde en guerre, la vie vient d’éclore. Deux amants que tout oppose, Alana et Marko, donnent naissance à Hazel, un symbole d’espoir pour leurs peuples respectifs. L’espoir, une idée fragile qui devra s’extraire du chaos de Clivage pour grandir, s’épanouir et conquérir l’immensité du cosmos.