Batman est sans aucun doute le plus fidèle représentant du héros urbain chez DC. Véritable héritier des détectives des récits pulp des années 1930, il incarne dès sa création en 1939 un héros sombre, affrontant membres de la pègre et tueurs en séries costumés dans sa propre ville : Gotham City, incarnation même de la ville gothique rongée par le crime.
Le Chevalier Noir est de fait profondément attaché à la ville et aux dimensions sociales de l’expansion urbaine dès le XXe siècle, où se côtoient classes bourgeoises fortunées et classes populaires précarisées, voire en situation d’extrême pauvreté. L’essence même du personnage de Batman repose dans cette tension qui conduira à l’assassinat de deux riches gothamiens à la sortie d’un cinéma.
Pourtant, le destin de Batman a vite été compromis par l’arrivée de la Comics Code Authority, en 1954. Faisant suite à une panique morale fortement alimentée par les médias, les éditeurs sont contraints de mettre en place un organe de régulation, et plus encore, de censure, visant à empêcher la publication de contenu jugé « inadapté » à un public de jeunes lecteurs et lectrices. Plus concrètement, la Comics Code Authority interdit la vente en kiosque de toute scène de violence, de sexe mais plus encore de tout récit de séduction, de toute situation pouvant créer de la sympathie pour un criminel. On peut même y lire que « les policiers, les juges, les fonctionnaires et les institutions respectées ne doivent jamais être présentés de manière à susciter un manque de respect pour l’autorité établie ».
Bref, impossible pour Batman de continuer ses aventures classiques face à de telles restrictions. Plus largement, c’est le marché du comicbook qui doit s’adapter en rangeant assassins et créatures terrifiantes pour les remplacer peu à peu par de nouveaux personnages, plus adaptés à cette nouvelle époque : une période plus communément appelée l’Âge d’Argent. Et qui dit années 1960 dit également fascination pour les cieux : les États-Unis font face à une « Nouvelle Frontière » qu’ils se doivent d’explorer, déclenchant une course à l’espace qui s’étalera sur toute la décennie. C’est dans ce contexte que DC va réactualiser son panthéon de super-héros, véritables incarnations de cette ère atomique où la science doit primer : le Martien J’onn J’onzz en 1955, Barry Allen, scientifique capable de dépasser les limites de l’humain, en 1956 ou encore Hal Jordan, policier galactique en 1959. Des nouveaux héros qui s’allieront dès 1960 à Batman, Superman et Wonder Woman dans les pages de The Brave and the Bold #28 pour former la Ligue de Justice d’Amérique en affrontant Starro le Conquérant, terrible envahisseur extraterrestre.
Batman est donc amené à plusieurs reprises à quitter sa zone de confort pour se rendre dans l’espace au côté d’autres héros, découvrant malgré lui une toute autre échelle de danger. Plus de bat-signal pour annoncer sa croisade, plus de gargouille depuis laquelle scruter les rues, c’est un changement radical de terrain d’opération. Si Killer Croc et le Joker sont indéniablement des adversaires coriaces, il est difficile de les comparer à des mastodontes d’autres mondes comme Mongul, l’Anti-Monitor ou encore Darkseid, capables chacun à leur façon de détruire des mondes entiers d’un revers de main. À la lente disparition de la Comics Code Authority, dès les années 1970, la face de l’univers DC a bien changé, dépassant largement les limites de notre atmosphère.
Batman incarne dès lors une ancre terrestre essentielle pour un héros qui reste le plus « humain ».
Même dans des grands récits spatiaux comme Cosmic Odyssey, Batman reste cantonné sur Terre pendant que ses alliés explorent de nombreux mondes, de Thanagar à Néo-Génésis. Bref, le rapport de Batman au cosmos est une inversion des rapports de force : éloigné des ruelles sombres et de la superstition des criminels, il perd sa capacité à manipuler la peur de ses adversaires. Des situations qui poussent Batman dans ses retranchements, le laissant plus stratège que combattant. On peut d’ailleurs citer le premier numéro de Legends of the Dark Knight, de Jonathan LARSEN et J.G. JONES, qui s’ouvre sur ces mots de Batman, flottant dans le vide au large de la Tour de Garde : « L’espace. Je déteste l’espace. »
Pour un homme qui ne vit que par la préparation et une méfiance de chaque instant, l’univers est une étendue infinie renfermant bien trop d’imprévus, de dangers mystérieux. Un statu-quo parfaitement illustré dans les pages de Batman #156, publié en 1963, dans l’histoire « Robin Dies at Dawn » : coincé sur un monde alien, Batman assiste impuissant à la mort de Robin des mains d’une créature extraterrestre. Si l’expérience se révèle n’être qu’une hallucination, il ressort traumatisé par le sentiment d’impuissance qu’il a ressenti, et décide (pour un temps) de mettre fin à sa carrière de justicier…
En contant ici les premiers pas de Batman « en solo » dans l’espace, Jason AARON vient briser une longue tradition d’un héros ancré sur Terre, en marge de l’évolution du comics. Dans les pages de BATMAN OFF-WORLD, le Croisé à la Cape se place entre le super-héros et des figures mythiques de la science-fiction comme John Carter : loin des surhommes qu’il côtoie, Batman est un personnage profondément humain plongé dans un univers qui le dépasse, mais pour lequel il se battra néanmoins jusqu’au bout.

Batman Off-World
Alors que, comme chaque soir depuis qu’il a enfilé sa cape, Bruce Wayne arpentait les rues et les toits de Gotham pour contre-carrer les plans de la pègre, ce qui aurait dû être une nuit de routine prit une tout autre tournure. Une rencontre avec un être venu d’une autre planète lui fit comprendre la possibilité d’une invasion de la Terre par une race extraterrestre. Dès lors, une seule solution s’offrit à lui, embarquer pour l’autre côté de l’Univers pour éradiquer le mal à la racine !