Batman est sur les traces de l’un des plus grands mystères de Londres : Jack L’Éventreur ! 🧐 Batman Gotham By Gaslight est né à 21H un soir d’automne 1988 ! Découvrez l’histoire complète de cette anecdote de Brian AUGUSTYN

A dire vrai, les origines de GOTHAM BY GASLIGHT n’ont plus grand-chose de secret de nos jours, 31 ans après la première édition de ce récit. Je les ai relatées lors de conférences, d’interviews et de dédicaces au fil des années.

De son côté, Mark WAID, qui en était le superviseur éditorial, a probablement raconté cette histoire un nombre
de fois incalculable. Certains de ses détails relèvent peut-être du mythe, car ma mémoire a toujours été défaillante, et cela d’autant plus que mon âge est avancé.

Mais si je parle d’origines secrètes, c’est parce que notre histoire commence avec une revue intitulée Secret Origins, alors supervisée par Mark et fort populaire. À l’automne 1988, il y avait déjà fait figurer des versions modernisées des origines de tous les grands héros et méchants de l’entourage de Batman et Superman. Le succès était au rendez-vous, à un point tel que la rédaction confia à Mark un numéro annuel spécial, avec une deadline assez serrée, si je ne m’abuse. Les annuals, ça n’est pas rien : deux fois plus de pages qu’un numéro ordinaire, le tout en surplus du travail habituel. De plus, il faut en donner au lecteur pour son argent, avec des histoires mémorables. Or, Mark venait de passer un an à révéler les secrets des grandes figures de l’univers DC. Que faire d’autre ?

Mark et moi avions été engagés chez DC à quelques mois d’intervalle. Notre nature de fanboys nous avait rapprochés, et nous partagions le même bureau. J’étais donc aux premières loges pour le voir se triturer les méninges et faire les cent pas, dans l’espoir de trouver une idée. Sans succès, au début.
Mais ça n’allait pas durer !

Le soir venu, vers 21 heures, mon téléphone a sonné. C’était Mark, rendu à peine compréhensible par son enthousiasme. En prenant le bus pour rentrer chez lui, il avait trouvé, semblait-il, la solution à son dilemme. Sans doute. Enfin, peut-être. Potentiellement.
« C’est quoi ? », criais-je pour lui faire cracher sa pilule.

Il s’avéra que la grande idée de Mark était effectivement une grande, une très bonne idée.
« J’ai exploité la version officielle du passé de tous les personnages », s’épancha-t-il. « Alors, je vais passer aux passés alternatifs. »

Il se mit alors à m’expliquer précisément son idée. Placer un personnage connu dans un contexte qui lui est étranger peut donner un résultat trépidant… ou hilarant, c’est selon. Je dus reconnaître que l’idée était riche en possibilités. Il me présenta ensuite plusieurs concepts, parmi lesquels, si je me souviens bien, figurait l’idée d’un bébé Kal-El atterrissant en U.R.S.S., et donc élevé sous le régime communiste (idée concrétisée dans SUPERMAN – RED SON, me semble-t-il). Pris au jeu, je lui renvoyai la balle…

« Ou alors, Batman… à l’époque victorienne… et qui affronte Jack l’éventreur à Gotham… ? », tentai-je.
L’idée intrigua Mark, et alors que nous nous amusions à la développer, elle nous parut de plus en plus valable. Il estima qu’on devrait la transcrire et la soumettre à la rédaction, pour voir si un annual sur le thème des réalités alternatives conviendrait aux personnes concernées. Il était convenu d’en parler le lendemain au bureau. Sitôt le téléphone raccroché, je m’assis devant ma machine à écrire pour mettre le concept sur papier, et j’en tirai un synopsis de deux pages.

Le lendemain, je présentai mon texte à Mark, qui ne s’attendait pas à le voir si tôt, et il l’adora. Nous prîmes rendez-vous avec Dick Giordano, le grand sachem de la rédaction, pour lui proposer le concept du numéro annuel avec mon projet d’histoire comme exemple. Mark vendit la chose comme s’il s’agissait d’Autant en emporte le vent, et Dick fut conquis.

Tout en écoutant Mark, il avait lu mon synopsis en entier, et lorsque ses yeux se levèrent de sa feuille, il fit une remarque qui nous prit au dépourvu : « Pourquoi gâcher un si bon concept d’histoire sur un simple annual ? Avec le bon dessinateur, il y a de quoi faire un récit complet en format prestige ! »

Il nous ordonna de trouver le dessinateur en question et de commencer à travailler. Je ne me souviens plus de ce que Mark dénicha pour remplir son annual, mais nous avons vite mis ce problème de côté.
La suite pourrait bien être apocryphe. C’est une coïncidence tellement irréaliste que j’ai peine à y croire, et pourtant j’étais présent ! En sortant du bureau de Dick, nous nous creusions la cervelle pour choisir le dessinateur le plus adéquat. Et soudain surgit sous notre nez Mike MIGNOLA, qui passait par là.

Avant même que nous ayons pu dire un mot, Mike nous fit comprendre qu’il n’était pas libre. Il venait déposer les dernières planches de Cosmic Odyssey, avant de se mettre à travailler sur un récit complet pour Marvel avec Wolverine en vedette. Il n’avait PAS LE TEMPS. Désolé.

Ne pouvait-il pas nous accorder deux minutes, juste pour nous dire ce qu’il pensait du projet ? Il accepta à contre-coeur, et nous le séquestrâmes dans notre bureau. Littéralement. On l’a forcé à s’asseoir tout en verrouillant la serrure bruyamment.

Au fil de notre présentation de ce qui allait devenir GOTHAM BY GASLIGHT, Mike ne cessait de nous rappeler qu’il n’était pas libre. Il avait un récit complet Wolverine à dessiner. Mais nous esquivions ses objections tout en continuant notre pitch. Nous passions allègrement d’une scène-clé à l’autre, et soudain, emporté par le mouvement, Mike se mit malgré lui à faire des suggestions, à imaginer comment il visualiserait tel ou tel élément. Puis il se figea, horrifié.

« Oh non… Je vais la dessiner, cette BD, pas vrai ? »
Eh oui.
Ainsi, nous nous retrouvâmes tous en selle. Ou plus précisément, tous à l’oeuvre, pour réaliser ce qui allait devenir le premier Elseworlds. Et ce fut un vrai plaisir.

La partie artistique serait assurée par une équipe de rêve, puisque les dessins de Mike allaient être encrés par l’immensément talentueux P. CRAIG RUSSELL et colorisés par la palette inimitable de Dave HORNUNG.
Et ce cher vieux John WORKMAN lettra la version originale avec son brio habituel.
Toute cette équipe contribua à promouvoir mon propre travail bien au-delà de sa valeur réelle, et cela fait 31 ans que je continue à profiter de cette gloire contagieuse. GOTHAM BY GASLIGHT a été publié à l’automne 1989, quelques mois après la sortie du film Batman, réalisé par Tim BURTON, avec Michael KEATON. Comme vous devez le savoir, il remporta un succès phénoménal, et soudain, tout ce qui touchait à Batman valait de l’or. Là aussi, la gloire était contagieuse. Et notre BD fut touchée par le ricochet du succès.

Accompagnés de nos épouses, Mike et moi nous vîmes offrir un merveilleux voyage à Honolulu en décembre de cette année, pour faire la promotion de notre album et de tout ce qui touchait à Batman.
Une libraire très dynamique qui nous accueillit en dédicace alla jusqu’à inciter le gouverneur d’Hawaï à faire de cette date « le jour de Batman », dans une déclaration officielle qui mentionnait abondamment nos deux noms.

Proverbialement, l’actualité hawaïenne manque d’évènements marquants, ce qui nous valut la première page de plusieurs quotidiens. Pendant quatre jours, nous avons été « big in Hawaï », mais surtout à Hawaï, ce qui est cool.
Le succès de notre BD suscita la publication d’un torrent d’autres « Elseworlds » : Batman contre Al Capone, Superman élevé en U.R.S.S., Green Lantern dans un avenir dystopique, Wonder Woman à la mode victorienne, Batman pendant la guerre de Sécession, etc. Nous avons même donné une suite à GASLIGHT, deux ans plus tard : Master of the Future. Cette fois, Mike était vraiment indisponible, mais Ed BARRETO prit le relais pour un résultat fabuleux. Les deux aventures victoriennes de Batman sont depuis régulièrement rééditées ensemble, y compris dans la présente édition.


Je suis à peu près sûr que GOTHAM BY GASLIGHT a été constamment réédité durant ces 31 années.
Pas mal, pour ce qui a débuté comme un bouche-trou dans un annual.
Comme je vous le disais, bien des propos de ce texte pourraient s’avérer inexacts. Mais on s’approche quand même de la vérité, en plus distrayant. Je vous souhaite une bonne visite des années 1890, en ma compagnie et celle de Batman.

– Brian AUGUSTYN, Juillet 2020

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Batman : Gotham by Gaslight – Nouvelle Edition

1880. Le légendaire Jack l’éventreur est l’ennemi public no 1 et sévit dans les rues de Gotham. Mais dans cet univers alternatif, le tueur en série va se heurter à une autre légende nocturne : Batman. Pris dans une conspiration dont il est la victime, le Chevalier Noir nous entraîne à l’époque victorienne où l’obscurité de la nuit n’est troublée que pas la lueur fébrile et tremblante des réverbères de Gotham City.

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Batman : Gotham by Gaslight 1893 – Tome1

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