Avant de devenir le nom d’un personnage controversé de WATCHMEN (Alan MOORE et Dave GIBBONS, DC Comics, 1986), Rorschach est celui d’un psychiatre qui a développé un test à base de taches symétriques pour faire parler ses patients.

Le principe de ce test s’appuie sur la paréidolie, c’est-à-dire notre façon de reconnaître des images là où il n’y a que des formes, comme un visage souriant dans un cratère sur Mars, par exemple. C’est un peu comme écouter le bruit blanc d’une bande magnétique et entendre des voix.

Pour les lecteurs de WATCHMEN, ce personnage violent aux méthodes expéditives sert de test éponyme. Ce que les lecteurs voient en lui parle également de qui ils sont. On peut reprendre à l’identique la citation de Friedrich NIETZSCHE qui clôture le sixième épisode de la saga, où le lecteur plonge son regard dans la vie de Walter Kovacs par l’intermédiaire du psychiatre de la prison : « Ne combats point les monstres ou tu deviendras monstre, et si tu regardes au fond de l’abîme, l’abîme aussi regarde en toi. »

La popularité du vigilante est la conséquence d’un terrible malentendu. D’une inversion des valeurs typique des antihéros apparus entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1980. N’oublions pas qu’un super-héros, c’est avant tout un type qui enfile son slip par-dessus son pantalon pour faire régner la justice à grands coups de mandales dans la gueule. Bref, le super-héros de base, c’est un fasciste. Et quand un gamin se plonge dans la lecture d’une série super-héroïque, il ne se prend pas que pour un super-héros.
La justice est absolue. Le bien et le mal se distinguent en noir et blanc, comme les taches du masque de Rorschach.
Plus proche du vilain que du héros, le détective imaginé par MOORE et GIBBONS a toutes les raisons du monde d’être aussi radical. Si la plupart de nos héros de papier tirent leur origine d’un trauma fondateur, c’est toute la vie de ce pauvre Walter Kovacs qui est une longue suite de traumatismes.
Aux grands maux, les grands remèdes : Rorschach se fixe pour objectif de guérir une société malade. Toute l’injustice dont il a souffert le propulse vers une carrière de redresseur de torts avec pour seul outil, la violence. La seule chose qu’il ait jamais connue.
Pourtant, en début de carrière, ce personnage n’est pas encore irrécupérable. Si le meurtre de Kitty Genovese, dont on reparle dans l’aventure que vous allez lire, pousse Kovacs à endosser le costume de Rorschach, ce n’est pas cet événement qui le fait renoncer à son identité civile pour de bon. C’est l’horrible assassinat d’une petite fille, donnée à manger aux chiens, qui convainc l’anti-héros de devenir littéralement Rorschach.

Comme un électeur de l’ultra-droite conservatrice glisse un bulletin dans l’urne après un atroce fait divers, Walter Kovacs se dissout dans le manichéisme de Rorschach après avoir vu le « vrai visage » de la ville. Justicier ultra-violent, témoin de son époque, le détective porte un imper froissé mais il tient davantage de l’inspecteur Harry que du lieutenant Columbo.
Il incarne tout ce contre quoi Alan MOORE veut lutter dans son œuvre qui déconstruit les super-héros. En effet, selon le scénariste de WATCHMEN, ces derniers sont traditionnellement conservateurs et défenseurs de l’establishment. Le message d’Alan MOORE est aux antipodes de celui de Steve DITKO, créateur de La Question, dont Rorschach emprunte l’apparence jusqu’au masque qui occulte le visage de celui qui le porte, empêchant tout affect de s’exprimer. DITKO, quant à lui, est un fervent partisan de l’objectivisme d’Ayn RAND. Son œuvre post-Spider-Man est parsemée d’indices sur sa philosophie défendant un égoïsme utile. Tout comme le créateur des héros de la Charlton que sont Blue Beetle (réinterprété en Hibou) ou La Question, Rorschach est un anti-communiste, pur produit de la guerre froide. Et lorsque WATCHMEN est publié, il incarne les valeurs conservatrices de REAGAN et de THATCHER. « Jamais de compromis ». Et certainement pas avec « les libéraux, les intellos, les démagos. » Rorschach est pur. Incorruptible. « Pas même en face de l’Apocalypse. » En lisant ce livre, ce n’est pas Rorschach qui est enfermé avec vous : c’est vous qui êtes enfermés avec lui !

Edmond TOURRIOL

rorschach

Découvrir Rorschach
Cela fait 35 ans qu’Ozymandias a téléporté un monstre tentaculaire sur New York, tuant des milliers de personnes et détruisant une fois pour toutes la confiance du public dans ses protecteurs. Depuis cette catastrophe, Rorschach est devenue une icône culturelle fascinante, symptôme d’un monde en perte de repères. Lors de la tentative d’assassinat d’un candidat populiste, on abat un homme portant le masque de Rorschach. Qui est l’homme derrière le masque, et surtout quelles étaient ses motivations ? L’inspecteur chargé de découvrir la véritable identité du tueur abattu s’engage alors dans une enquête qui l’entraîne dans un méandre de conspirations, d’invasions extraterrestres, de bienfaiteurs en disgrâce, de visions mystiques et même de bandes dessinées.

Découvrir

Plus d'articles