J’ai été très touché par la proposition de N.K. JEMISIN d’écrire cette introduction. Avoir l’honneur de présenter un récit si important, non pas seulement pour le label ni pour DC Comics ou l’art séquentiel en lui-même, mais pour le vaste et éternel tissu des histoires que nous, en tant que peuple, partageons, n’est pas une tâche à prendre à la légère.

Alors, tout naturellement, est venue la Peur.
La Peur, c’est le nom (parmi d’autres, tout aussi sinistres) que je donne à ce sentiment qu’éprouve tout artiste confronté à une toile vierge. Ou une page, dans le cas de l’auteur. Ce n’est pas la première fois que le sujet est abordé – il y a même des livres entiers dessus, donc je ne vous raconte sûrement rien qui vous paraisse absolument inédit. Mais j’ai expérimenté plusieurs formes d’art, avec le temps, et de toutes celles-ci, de tous les exercices et supports que j’ai eu l’occasion d’aborder, l’écriture est de loin le plus dur et le plus effrayant. C’est d’ailleurs sûrement pour ça qu’il me plaît autant. Mais la Peur est un passager, et ce passager peut s’avérer difficile et particulièrement grossier, de ceux qui peuvent occuper beaucoup de place. Vous connaissez la Peur et vous l’avez déjà vue. Vous l’avez sentie, et vous savez qu’elle existe – chaque fois que vous regardez ce néant qui n’attend qu’à être comblé avec des mots et des dessins.

Mais parfois, vous rencontrerez une force créative douée d’une telle intrépidité qu’en plus de vous émerveiller, elle vous reléguera à nouveau au rang d’élève. Cet auteur, cet enseignant, cette force, c’est N.K. JEMISIN. Au-delà de l’admiration, il y a la certitude que M. Peur ne quitte jamais le train. Aussi, on peut naturellement supposer que cette force, cet être, cet auteur avance malgré ce passager. C’est magique, c’est exaltant et c’est exactement ce que j’ai ressenti lorsque j’ai vu ce livre prendre forme – à travers les mots de Nora, bien sûr, mais également à travers la collaboration née de sa rencontre avec les deux incroyables puissances créatives qui l’ont rejoint : Jamal Campbell, qui a donné un visage à ce monde, à ses héros et à ses vilains, et Deron Bennett, dont les talents de lettreur ont rendu ce livre si agréable à lire.

C’était un vrai travail d’équipe, dont chaque membre a pleinement embrassé non seulement l’histoire, mais aussi leur rôle dans son développement.
FAR SECTOR, au commencement, était le germe d’une idée.
Lorsque j’ai lancé Young Animal, j’ai feuilleté plusieurs encyclopédies de l’univers DC, et je suis remonté jusqu’aux Who’s Who des années 1980, dans lesquels la maison d’édition présentait ses personnages, des plus connus aux plus obscurs. Et c’est dans ces vieilles archives que j’ai trouvé les héros et l’inspiration qui ont
donné naissance au label. Mais quand Young Animal s’est taillé sa part de l’univers DC, et que les choses ont commencé à prendre forme, je me suis mis à penser au-delà de l’obscur et du non usité.

Nous avions notre cour à nous, où écrire les histoires que nous voulions écrire, loin de l’inquiétant labyrinthe de la continuité principale. Ces histoires (qui s’aventuraient au-delà des cadres qu’ont bâti nos prédécesseurs) ont toujours eu quelque chose de spécial, à mes yeux. La liberté d’explorer, de poser des questions qui n’avaient jamais été posées et de créer la nouveauté. C’est donc avec ce petit germe d’idée en tête – un Green Lantern solitaire, loin de la juridiction du Corps, chargé d’élucider le premier meurtre que connaîtrait une société après une éternité sans crimes – que j’ai cherché un auteur capable de le magnifier, de se l’approprier.
Un auteur qui jouirait de la liberté d’écrire cette histoire comme il voudrait la raconter.

J’ai discuté de ce Green Lantern avec Ian, un de mes amis artistes.
Il savait que je voulais un grand auteur pour écrire son histoire, et il savait que je ne savais pas vraiment à qui m’adresser, mon champ de recherche étant ouvert aux romanciers qui n’auraient pas forcément eu l’occasion d’écrire de la bande dessinée et qui auraient pu y concevoir un défi passionnant, quelqu’un qui aurait eu l’habitude du fantastique et de la science-fiction, mes deux genres préférés. Ian m’a alors invité à commander la Trilogie de l’Héritage, d’une autrice du nom de N.K. JEMISIN. Il m’a parlé de sa propre expérience de lecture, enthousiasmé par son souvenir et persuadé que cette autrice pouvait écrire cette histoire et façonner ce monde. Les livres sont arrivés, des volumes aussi lourds qu’intimidants, et j’ai entamé ma lecture. Toutes les couches, toute la complexité des personnages, se sont rapidement dévoilées et j’ai vu un univers, un monde se bâtir à partir de rien. Et en plus d’être fertile et tangible, cet univers me semblait personnel et parfois même très intime. Ses personnages avaient de la force à revendre.
Pour moi, nous avions trouvé notre autrice – il ne nous restait plus qu’à la contacter et voir si elle serait intéressée par la création d’un nouveau Green Lantern, pour raconter une histoire incroyable dans une toute nouvelle arène.

Puis, il s’est produit quelque chose d’incroyable : cette romancière accomplie a accepté. Un coup de fil plus tard et le travail pouvait commencer. Nora allait planter cette graine et revenir avec quelque chose de nouveau, de façonné, d’évolué et était prête à faire l’une de ces choses qu’elle fait le mieux : bâtir un monde.
Et quel monde. Situé dans un cadre personnel et captivant.

Complexe, mais pas moins compréhensible, simple en surface, mais tellement plus dense, la Cité Éternelle recelait bien des secrets, et ses racines, sa corruption, ses machinations étaient enfouies loin sous terre. Cette histoire avait besoin d’un héros capable de percer à jour cette ville, de transformer et de surmonter le passé pour donner un sens au présent et métamorphoser le monde qu’il protège. Ce personnage allait devenir Sojourner Mullein, l’un des plus grands Lantern de l’Histoire.

L’incroyable Shawn MARTINBROUGH nous a envoyé ses premiers croquis de recherche, qui nous ont donné un aperçu de ce à quoi Jo allait ressembler. Et quand notre éditeur nous a proposé Jamal Campbell en tant que dessinateur régulier, j’ai été complètement médusé par son talent. Ses dessins étaient modernes, colorés, sensationnels et surtout énergiques. Il transcendait également ce que je considère comme un style populaire de la bande dessinée, capable de s’approprier ce monde. Jo a continué de s’esquisser, et de nombreuses nouvelles versions de son personnage plus tard, l’équipe a fini par choisir le look parfait. Il en est ressorti un Green Lantern exceptionnel, qui ne ressemble à aucun autre. Les scripts sont arrivés, puis l’étape de crayonné a commencé et la suite a suivi son cours. Chaque étape de ce processus était passionnante, et la réalisation de cette histoire incroyable par ces auteurs formidables s’est produite sur un an et demi. Ainsi, lorsque j’ai vu les fichiers
définitifs et, enfin, les numéros imprimés, avec le lettrage de Deron BENNETT, je me suis senti encore un peu plus proche de l’aboutissement. Chaque épisode me faisait l’effet d’une victoire et j’ai eu la chance d’en être témoin – car c’est ce que j’étais, en réalité : un témoin. Ma part du travail effectuée, je n’existais plus qu’en tant que lecteur et supporter – pour pleinement soutenir cette équipe créative et leur laisser prendre des décisions clés. Mon expérience, au fil des ans, m’a appris qu’il valait mieux, en tant qu’éditeur, laisser toute liberté aux créateurs , notamment pour la force collective et motrice qui en émerge. Et c’est ce qui a donné naissance au livre que vous venez d’ouvrir : le fruit du travail d’une équipe extraordinaire.

Quoi que je puisse vous dire, je ne trouverai pas les mots pour vous décrire le vaste univers de la Cité Éternelle, son peuple et ses défis ni même pour vous y réparer. D’ailleurs, le meilleur moyen de profiter de ce livre, c’est soit d’ignorer cette introduction (ce que j’aurais probablement dû mentionner un peu plus tôt) ou de m’abandonner maintenant pour y plonger sans plus attendre. Mais si vous avez décidé de rester, voilà ce que je peux vous en dire : C’était un honneur de publier FAR SECTOR. Écrit avec une volonté à toute épreuve et révélé dans toute sa glorieuse identité de roman noir cosmique, c’est une histoire importante dont on tire des leçons
importantes. Comme tout grand récit de science-fiction, c’est un miroir – où se reflète notre beauté comme notre laideur. Une histoire qui concerne notre monde autant que cette planète, à des années-lumière de là. Et, à mes yeux, ce sont depuis toujours ces histoires-là qui restent gravées dans le marbre… intemporelles et perpétuelles, visionnaires et profondes.

Maintenant, à vous de lire.

Et vive Sojourner Mullein,

GERARD WAY
JUILLET 2021

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Découvrir Far Sector
La Green Lantern Jo Mullein vient d’être affectée à l’un des secteurs les plus reculés de la galaxie. En charge d’élucider un meurtre au sein de cette société qui n’a plus connu de crime depuis plusieurs siècles, elle devra non seulement affronter l’animosité ambiante mais également faire la lumière sur un second assassinat : celui du principal suspect.

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