American Flagg! est la série qui a révolutionné la bande dessinée américaine dans les années 1980, avec The Dark Knight Returns et Watchmen. Découvrez l’un des pionniers du comics entièrement réalisé par Howard Chaykin (Wolverine) et totalement inédit en France, la série a inspiré les plus grands créateurs actuels dont Jeff Lemire, Warren Ellis ou Brian K. Vaughan. Le récit est une œuvre d’anticipation qui mêle plusieurs genres dont le roman noir et le western.

En 1996, « l’année du domino », plusieurs catastrophes se sont succédées et ont entraîné le monde dans une crise économique, sociale et sanitaire sans précédent. Des frappes nucléaires, des émeutes de la faim et des révolutions ont eu lieu aux quatre coins du monde. La côte Est des États-Unis est dévastée et la côte Ouest est désormais isolée et sous blackout après que la Californie a coulé. Ce qui reste du gouvernement américain s’est allié avec les vestiges de l’Union Soviétique et un nouveau système politique appelé « le Plex », composé du président et des chefs d’entreprise survivants, s’est délocalisé sur Mars, au centre Hammarskjöld. Depuis, le territoire délabré des États-Unis s’est reconfiguré en gigantesques centres commerciaux appelés « PlexMall », tandis que les grandes villes sombrent dans des guerres civiles entre clans politiques.

Bien loin de l’image d’Épinal développée récemment par d’innombrables productions audiovisuelles, le début des années 1980 aux États-Unis représente une époque troublée et propice aux bouleversements artistiques à la fois provocateurs et innovants. Le président nouvellement élu, Ronald REAGAN, connu pour ses prises de positions souvent extrêmes et son anticommunisme farouche, est immédiatement sujet à controverse : relance de la Guerre froide, coupes dans les aides sociales, politique autoritaire et violemment rétrograde, et montée du chômage sous fond d’échec des « Reaganomics » et de récession…

Ce début de mandat est contrebalancé par une communication agressive et omniprésente proclamant « America is back! » et jouant sur le statut d’ancienne star de série B de REAGAN, tandis que le Rocky de Sylvester STALLONE part à la recherche de son « OEil du tigre » et que les Dead Kennedys réécrivent leur California Über Alles en un ironique We’ve Got a Bigger Problem Now. Dans ce contexte déjà tendu, la chaîne d’information CNN, qui vient d’être lancée en 1980, invente le cycle du traitement des scoops 24 heures sur 24 (dont la tentative d’assassinat sur REAGAN par John HINCKLEY Jr. en mars 1981).

De son côté, MTV, qui démarre en août 1981, abreuve la jeunesse de la « Me Generation » – qui n’a pas connu le désenchantement des sixties et le double coups de massue de la défaite au Vietnam et la démission du Président Richard NIXON au début des années 1970 – de clips et pubs au montage ultra-cut et réalisés par une nouvelle génération de metteurs en scène dont certains, Russell MULCAHY, David FINCHER et Michael BAY en tête, vont ensuite passer au grand écran. Le cinéma du Nouvel Hollywood politique et engagé (de Easy Rider à Apocalypse Now en passant par Les Hommes du Président), lui, cède le pas devant le retour du film grand spectacle via un nouveau terme guerrier, le Blockbuster.

C’est dans cette atmosphère schizophrène entre exaltation agressive d’un hédonisme consumériste, déréglementation du système financier, invasion de la Grenade, et répression morale et politique avec le retour de la droite chrétienne, qu’Howard CHAYKIN accepte en 1983, l’offre de Mike GOLD et Ken LEVIN, fondateurs de First, nouvelle maison d’édition indépendante, de réaliser une série dont il aurait le contrôle total. Car, à cette même époque, les comics sont en train de mener leur propre révolution. Aux côtés des « Big Two » (le Marvel de Jim SHOOTER et le DC Comics de Jenette KAHN), les comics indépendants connaissent un boom et de nouveaux auteurs et séries surprennent mois après mois les lecteurs : citons ainsi The Rocketeer de Dave STEVENS chez Pacific, Nexus de Mike BARON et Steve RUDE chez Capital ou bien Grendel de Matt WAGNER chez Comico.

AMERICAN FLAGG! dont le numéro 1 est mis en vente en juin 1983, réunit CHAYKIN avec le lettreur Ken BRUZENAK et la coloriste Lynn VARLEY, deux artistes dont les connexions annoncent déjà dans quelles eaux navigue la série : BRUZENAK a travaillé pour la compagnie du génial Jim STERANKO, Supergraphics, et a notamment collaboré sur son History of Comics, tandis que Lynn VARLEY, qui ne mettra en couleur que les trois premiers épisodes, est la partenaire de Frank MILLER sur RONIN qu’elle vient de terminer et sur le projet à paraître THE DARK KNIGHT RETURNS. C’est d’ailleurs à ce titre et à Maus d’Art SPIEGELMAN, ainsi qu’à WATCHMEN d’Alan MOORE et Dave GIBBONS qu’AMERICAN FLAGG! est constamment rattaché comme Mont Rushmore des oeuvres ayant changé la face des comics.

Et pour cause, FLAGG! éblouit et inspire une nouvelle génération d’auteurs en herbe par sa mise en page audacieuse, héritée des années de graphiste de CHAYKIN et par l’utilisation astucieuse du lettrage de BRUZENAK, qui n’hésite pas à caser quelques gags dont l’utilisation du Surfin’ Bird des Trashmen sur la répression des émeutes par les Plexus Rangers.

Mais cette narration échevelée qui entremêle les sous-intrigues par des chassés-croisés des différents personnages qui peuplent le Plex-Mall de Chicago, ou par l’utilisation prophétique des programmes TV dans des cases en forme de téléviseurs, resterait vide de sens sans le discours en sous-texte de CHAYKIN, caricaturiste talentueux (son John Scheiskopf rappelle ainsi un célèbre Editor-In-Chief) et satiriste patriote qui se sert de FLAGG! pour faire d’une pierre deux coups.

Dans un premier temps, il se permet de s’affranchir des conventions des séries de super-héros, de fantasy ou de science-fiction en vogue à l’époque qui l’ennuient au plus haut point et décide de renouer avec le storytelling des comics strips, notamment le Terry et les Pirates de Milton CANIFF, série d’aventures dans laquelle une distribution toujours plus conséquente vivait des péripéties où l’émotion et la caractérisation adulte et réaliste (particulièrement dans sa description des émois amoureux) primaient sur les intrigues. Mais on peut aussi voir dans le personnage Reuben Flagg, héros typique américain à la mâchoire carrée et au sens moral infaillible, un héritier du Spirit de Will EISNER, lui aussi constamment manipulé et tourné en bourrique par des personnages féminins divers et désirables chacun à sa manière.

Si la complexité du point de vue moral, qui ne sombre jamais dans le manichéisme, et les escapades sexuelles nombreuses, séparent en 1983 AMERICAN FLAGG! du tout-venant présent sur les étals des libraires, c’est aussi du fait de la vista de CHAYKIN et de son constat amer et sardonique sur ce qu’est devenue et ce que pourrait devenir son Amérique qu’il aime tant. En équilibre constant entre son côté pastiche postmoderne et ses racines remontant aux romans de gare « pulp », AMERICAN FLAGG! anticipe ainsi le RoboCop de Paul VERHOEVEN – qui cite ses travaux comme source d’inspiration dans le générique de fin – comme reflet déformant de cette société reaganienne dévorée sur l’autel du profit par des yuppies sans morale au vu et au su de toute une populace accro à des séries débiles tout en étant consciente que le rêve américain a tourné au cauchemar orwellien.

C’est donc avec une réelle fierté doublée d’une joie non feinte que nous vous proposons pour la première fois en France cette série hors-normes avec dans cet album les douze premiers épisodes, qui forment un cycle complet d’aventures, assortis de deux épilogues (les numéros 13 et 14) et d’une histoire courte réalisée en 2008. Car, en ce début de nouvelle décennie, régentée par les réseaux sociaux, rongée par une pandémie globale, et menacée par une série de catastrophes imminentes, Reuben Flagg, celui que la revue Amazing Heroes avait appelé en couverture de son numéro 29 « le nouveau héros le plus intrigant de 1983 », est sans doute aujourd’hui le personnage le plus actuel qui soit.

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Découvrez American Flagg !

2031 : une crise économique de grande ampleur a forcé le gouvernement des États-Unis à se relocaliser sur Mars. À présent, les grandes métropoles américaines, dont Chicago, se réorganisent autour de centres commerciaux géants où l’on abreuvent les habitants de programmes racoleurs aux messages subliminaux ultra-violents. Dans ce contexte délétère, l’arrivée dans les forces de police des Plexus Rangers de Reuben Flagg, ancienne star de télé-réalité, va mener la ville à la révolte et peut-être… à une seconde révolution.

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