Oubliez tout ce que vous croyez et découvrez l’histoire des Amazones dans le récit Wonder Woman Historia avec une interview des auteurs KELLY SUE DECONNICK et PHIL JIMENEZ !

Parlons un peu du processus de création pour Historia. Quand le Black Label a été lancé en 2018, Historia a été un des premiers titres annoncés. Quel a été le processus, et quels ont été les défis à relever pour donner vie à ce livre en coulisses ?

KELLY SUE DeCONNICK : Vous l’avez vu ?

C’est peut-être la plus belle bande dessinée que j’ai vue de ma vie.
KSD : Oui, je pense que la réponse est dans la question.
PHIL JIMENEZ : Je pense que que l’on voit dans le résultat final ce qui a pris tant de temps. C’est un processus qui a demandé beaucoup de ressources. Une chose que j’aime souligner, c’est que lorsque le livre a été annoncé, aucune page n’avait été écrite ni dessinée.. Nous avions littéralement dit oui une semaine auparavant. Et soudain, l’annonce est tombée dans le Hollywood Reporter. Et ironiquement, l’une des choses que j’avais dites à DC était : « Quoi que vous fassiez, ne l’annoncez pas avant que nous ayons écrit quelques pages ! »

Une semaine plus tard, ils l’ont annoncé. Ce que j’aimerais dire, c’est que même si cela fait longtemps, il nous a fallu du temps pour nous habituer au processus créatif. De mon côté, j’ai décidé de faire le travail numériquement grâce à l’application Procreate sur mon iPad. Je n’avais jamais travaillé de cette manière auparavant. Il y a donc eu une courbe d’apprentissage assez raide de plusieurs mois pour s’habituer à cette nouvelle méthode de travail. Cela n’explique pas tout, mais j’aime préciser que ce n’est pas comme si nous avions déjà beaucoup de pages en boîte lorsque le livre a été annoncé. Nous venions juste de dire oui, et l’information est tombée.

Je voudrais parler de vos influences. Kelly Sue, c’est votre deuxième travail majeur pour DC après deux ans sur Aquaman. Comme Historia, cette série était profondément ancrée dans les concepts de la culture et de la mythologie anciennes. J’aimerais savoir comment vos recherches sur l’Histoire et les concepts mythologiques ont influencé Historia. Pas seulement les dieux, mais aussi les Amazones elles-mêmes.

KSD : Je n’étais pas très intéressée par l’Histoire de la Grèce Antique ou de la Méditerranée, parce que ce n’est pas vraiment un récit sur ces sujets. J’ai donc fait quelques recherches… C’est vraiment embarrassant, mais j’aime beaucoup The Great Courses Plus, qui est une série avec de vrais professeurs qui vous donnent de vrais cours, sauf qu’ils sont debout dans un décor plutôt étriqué et on voit qu’ils ne sont pas habitués aux caméras. Mais il y en a quelques-uns qui sont vraiment fantastiques : ceux de Lettres Classiques et d’Histoire. Il y a notamment un professeur qui a fait une série de conférences sur la Grèce Antique, plus particulièrement sur
Athènes, et dont les thèmes étaient « Qu’est-ce que c’était que d’être un esclave ? » ou « Qu’est-ce que c’était d’être une femme ? »

Les différents rôles et la vie quotidienne dans ces sociétés. J’ai trouvé ces conférences extrêmement utiles. J’ai écouté une cinquantaine d’heures de conférences d’Elizabeth Vandiver, professeure de Lettres Classiques, sur la mythologie, Hérodote et Homère, et j’ai également été très intéressée par tout cela. Je voulais aussi parler du livre d’Adrienne Mayor, Les Amazones, qui est une véritable histoire.
Mais c’était un peu comme apprendre les règles pour pouvoir en rejeter certaines. Parce qu’il s’agit d’une fiction et que lorsque nous écrivons sur le passé aujourd’hui, nous n’écrivons pas vraiment sur le passé. Nous écrivons sur le présent. Il est inutile de faire de l’art sur le passé à moins de l’utiliser pour parler du présent ou de l’avenir, parce que le passé est le passé.

D’un point de vue artistique, l’album semble avoir des influences classiques, mais il ne ressemble à rien de ce que j’ai pu voir auparavant.

PJ : Je suis heureux de l’entendre, car cela faisait partie de l’intention. Je pense à deux ou trois influences. La première a été mes conversations avec Kelly Sue. Il s’agissait en partie de démanteler les idées que j’avais depuis longtemps sur la façon dont les dieux grecs et les Amazones pouvaient être représentés dans une bande dessinée. Ces premières conversations ont eu un impact considérable sur les décisions en matière de conception.

D’autre part, je suis enraciné dans une tradition de narration datant probablement de la génération précédente. Je voulais donc refléter ou perpétuer une façon de raconter une histoire avec un certain nombre de planches et une portée épique en hommage aux personnes qui m’ont influencé, mais aussi, je l’espère, y apporter ma touche
personnelle et créer quelque chose de nouveau. D’un point de vue esthétique, le fait d’être libéré des incarnations précédentes de Wonder Woman, auxquelles je suis lié — et il y a clairement des allusions, des petits hommages à la Wonder Woman de George Pérez — m’a permis de reconsidérer les dessins.

Principalement les dieux, mais aussi les Amazones de nombreuses façons. Par exemple, l’un des principaux apports n’était pas la bande dessinée, mais la mode. Comme le disait Kelly Sue, c’est de la fiction, n’est-ce pas ? Ce n’est pas réel. Il y a donc une tribu d’Amazones, dont l’armure n’est pas fondée sur l’armure grecque antique, mais sur l’armure des soldats français du XIVe siècle. D’un point de vue visuel, mon Olympe est beaucoup plus ancré dans Versailles que dans le Parthénon.

Cela ressemble un peu aux Dieux de la Fashion Week.
PJ : Oui, et c’est justement le but ! Encore une fois, parce que ce sont des personnages qui nous parlent maintenant et parce que je ne voulais pas passer beaucoup de temps à… On a tous déjà vu Héra en toge, n’est-ce pas ? C’est fait ! Cela ne nous apprend rien sur son personnage. Ce qui m’intéressait vraiment, c’était d’utiliser les vêtements et les environnements pour développer le personnage que Kelly Sue m’avait donné dans le scénario.

Parlons de ces Amazones. Historiquement, Themyscira était présentée comme une société utopique fondée sur des idéaux de paix et d’amour, mais en même temps, les Amazones y sont des guerrières féroces et fières. Comment concilier ces deux visions supposément opposées ?

KSD : Je pense qu’il y a une chose qui se produit parfois lorsque les hommes essaient de célébrer les femmes. Cela arrive également lorsque les femmes essaient de célébrer les femmes, mais moins souvent que dans le premier cas de figure. Les femmes sont mises sur un piédestal, d’une manière qui suggère qu’elles sont tout
simplement « meilleures », n’est-ce pas ? Qu’elles sont « plus communautaires », « plus douces » et « plus nourricières ». Elles ne sont pas agressives, comme ces « terribles, horribles hommes ». Et mettre quelqu’un sur un piédestal n’est qu’une autre façon de le ranger dans une case. Cela ne fait pas avancer les choses.
C’est limitatif et loin d’être constructif. Et d’une certaine manière, cela contribue à nous mettre à l’écart. Ainsi, l’idée qu’une société de femmes serait plus communautaire fait beaucoup de suppositions sur les femmes qui sont en quelque sorte essentialistes, et sans tenir compte de la façon dont les femmes sont liées à ce qu’on leur demande ou à ce qu’elles sont forcées de faire culturellement.

Les versions négatives de ce point de vue sont très faciles à citer. Par exemple, « Les femmes ne sont pas franches. Les femmes ne demandent pas ce qu’elles veulent. Les femmes sont manipulatrices pour obtenir ce qu’elles veulent. Elles le font de manière détournée », n’est-ce pas. Pendant des siècles, la sécurité des femmes a dépendu du confort des hommes qui les entouraient. Ainsi, donner la priorité au confort de ces hommes et satisfaire leurs propres besoins d’une manière qui n’apparaisse pas comme exigeante ou contraignante était une adaptation à la survie.

Et, de fait, lorsque nous parlons de la société des guerrières amazones, nous parlons d’une société de… guerrières. Et l’idée que les guerriers existent pour protéger la paix transcende le genre et n’est qu’une notion historique. C’est pourquoi nous avons apparemment une armée de métier aujourd’hui !

C’est vrai ! C’est ce que font tous les guerriers !
KSD : Exactement ! Je ne pense donc pas qu’il y ait quoi que ce soit de particulièrement nouveau ou d’incongru là-dedans. Là où les gens ont un problème, c’est quand ils se disent : « Mais ce sont des femmes ! » Bah… ouais !

Wonder Woman et l’histoire des Amazones ne sont pas seulement une histoire de femmes. C’est aussi une histoire, qui remonte à Marston, que les historiens et les théoriciens de la littérature ont souvent analysé à l’aune des thèmes de l’homosexualité et de la sexualité ouverte. Quel rôle jouent ces thèmes dans votre histoire amazonienne ?

KSD : Je ne sais pas si je suis qualifiée en tant que femme hétérosexuelle cisgenre pour répondre à cette question. Phil ?

PJ : J’ai des idées, mais je voudrais aborder un point. J’utilise le terme « queer » dans le sens le plus large possible. Je ne l’envisage pas exclusivement en termes de sexualité, mais plutôt comme la notion d’un monde queer. Pour moi, être queer, c’est être anti-traditionnel, anti-patriarcal, c’est bouleverser un point de vue traditionnel, souvent conservateur et régressif. La façon dont j’utilise le terme « queer » y est donc pour beaucoup.

Nous savons tous que l’œuvre de Marston était embourbée dans sa propre vision fétichisée du sexe et des femmes, mais elle reste étonnante à mes yeux parce que nous sommes en 1942, au milieu de la Seconde Guerre mondiale, et qu’elle est si claire et évidente sur la page. C’est un artefact historique tout à fait stupéfiant.

Par la suite, les années 1950 sont arrivées, ainsi que la Comics Code Authority, et ont en quelque sorte éradiqué cette partie de Wonder Woman, jusqu’aux années 1980, lorsque Pérez l’a réintroduite. Ce qui m’intéresse d’un point de vue académique, c’est la discussion entre la représentation homosexuelle et la représentation queer, que je ne considère pas toujours comme la même chose.
Je pense en fait, très franchement et peut-être personnellement, que le simple fait que je participe au livre le rend queer. J’y apporte une certaine sensibilité. L’une des choses que j’ai vraiment aimées dans ce processus, c’est que Kelly Sue et moi venions de deux idéologies sociopolitiques très complémentaires et que nous nous sommes rencontrés. Tout simplement.

J’aime ce travail parce qu’il est, pour moi, clairement le travail d’une femme et peut-être moins clairement, mais je peux certainement le voir, le travail d’un homme homosexuel. Je pense donc qu’il est intrinsèquement queer, à sa manière. Encore une fois, en utilisant ma définition plus large du terme « queer ». Il s’agit d’un point de vue féministe fier et profond, et cela m’enthousiasme parce que je pense que cela rend au passage notre industrie un peu plus « queer ».

Dès la première page, Historia cherche à corriger un grand nombre d’idées fausses et à introduire de nouvelles idées sur la société amazone dans les moindres détails. Quelle leçon espérez-vous que les lecteurs retiendront de la lecture d’Historia ?

KSD : Je me concentre davantage sur les questions que sur les réponses. Je n’ai pas tendance à me considérer comme une enseignante. Cependant, nous voyons le livre comme un manuel d’histoire des Amazones destiné à un public de jeunes Amazones, afin qu’elles puissent apprendre l’histoire de leur peuple du point de vue de leur peuple. Et je pense que ce que je voudrais que vous reteniez de ce livre, c’est l’idée de remettre en question la version de l’Histoire que l’on vous a toujours donnée. C’est écrit dès la première page, n’est-ce pas ? Et si cette première page ne comporte pas d’images, c’est parce que nous voulions commencer par l’idée de tabula rasa.

Notre premier contrat avec vous est : « Oubliez tout ce que vous croyez savoir. » Le narrateur dit que l’Histoire est écrite par les vainqueurs, et dans la guerre entre les Amazones et les dieux des Hommes, les Amazones ont perdu. La version que vous avez lue a donc été écrite par nos oppresseurs. Il n’y a probablement pas d’histoire objective, et la vérité peut se situer quelque part entre les deux. Mais vous avez entendu leur version, et celle-ci est la nôtre. Et s’il y a une chose à enseigner, c’est de tenir compte de la source. N’oubliez pas que l’Histoire est faite d’histoires.

Propos recueillis par Alex Jaffe, éditeur et écrivain indépendant,
parus sur le site de DC Comics le 30 novembre 2021.

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Découvrez Wonder Woman Historia : The Amazons

Il y a des millénaires, la reine Héra et les déesses du panthéon olympien se sont montrées très insatisfaites de leurs homologues masculins. Loin de leur regard, elles mirent un plan à exécution : une nouvelle société était, une société jamais vue sur Terre, capable de choses merveilleuses et terribles : les Amazones. Mais leur existence ne pouvait rester secrète éternellement, si bien que lorsqu’une femme désespérée du nom d’Hippolyte croisa leur chemin, une guerre totale entre le ciel et la Terre débuta, et sans que personne ne puisse l’imaginer, allait mener à la naissance de la plus grande gardienne de la Terre !

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