« La science est la continuation de la guerre par d’autres moyens. » C’est ainsi qu’aurait pu s’exprimer Carl von Clausewitz, si son clone cyborg avait servi de conseiller à une cabale occulte autant que militaro-industrielle dans les sous-sols du Pentagone.

Comme il se trouve que les trois dernières personnes à avoir publiquement évoqué le cas du Clonesewitz sont toutes décédées dans d’étranges et malencontreux accidents de skateboard, cet article sur Manhattan Projects ne s’aventurera pas plus avant sur ce terrain ô combien glissant.
Car si la techno-science est souvent fille de la guerre, elle est aussi filleule du secret, à moins que ce ne soit l’inverse. En 1942 par exemple, le secret est de mise quand le projet Manhattan est lancé par Franklin D. Roosevelt à la demande d’Albert Einstein (et surtout de Leó Szilárd, et Einstein a eu tort de ne pas se méfier d’un type avec un nom de méchant dans Heroes). La guerre fait rage en Europe et dans le Pacifique, l’Amérique vit dans la peur d’un débarquement japonais en Californie et elle héberge bien des savants qui ont fui l’Europe, des gens comme Enrico Fermi, Edward Teller, ou Albert Einstein lui-même, qui disposent peut-être d’une solution permettant de défendre le pays sans sacrifier des milliers de braves G.I.’s : la bombe atomique, celle-là même que, par la suite, on appellera tout simplement « la Bombe ».


Les installations principales du projet sont bâties à Los Alamos (« les peupliers ») au Nouveau-Mexique, lieu paumé s’il en est, dans un état du Sud suffisamment désertique et éloigné de tout pour que l’on puisse y placer au fil du temps toutes sortes de bases stratégiques, comme celles de White Sands ou de Roswell, connue pour ses élevages de petits gris.
Le projet Manhattan emploie 130 000 personnes, dont 2 % de scientifiques, 5 % de militaires, et surtout 93 % d’ouvriers du bâtiment tenus dans l’ignorance des objectifs réels de leur mission et qui croiront donc jusqu’à la fin de la guerre travailler à la construction de la nouvelle chocolaterie de Willie Wonka.

Et soudain, coup d’envoi, pan, c’est parti.
C’est une étrange course aux armements qui s’engage entre l’Amérique et l’Allemagne, une course à l’aveugle, dans laquelle chacun ignore à quel niveau en est rendu l’autre. Tant et si bien qu’après la guerre, quand Wernher Heisenberg sera capturé, on découvrira que les scientifiques du projet Manhattan avaient fait la course seuls. En dépit des demandes pressantes du haut commandement nazi, les savants atomistes allemands, Heisenberg en tête, ne croyaient pas réellement à la possibilité pratique de la Bombe, et n’avaient avancé qu’à un rythme tranquille, explorant avant tout des possibilités théoriques.
Manque de chance en tout cas, la guerre en Europe se termine avant que la Bombe ne soit tout à fait au point. L’Amérique s’en va faire son marché, récupérant autant qu’elle le peut tout un stock de savants nazis qui lui permettront de mener son programme spatial, ainsi qu’une étude approfondie des effets du L.S.D. sur la psyché et la résistance du soldat de base. Ce que l’on appellera l’opération Paperclip.
Reste le problème du projet Manhattan : puisqu’il n’y a plus besoin de lancer la Bombe sur Berlin, faut-il tout arrêter ? La réponse est bien sûr non (l’armée américaine, ce n’est pas l’industrie du jeu vidéo, c’est une affaire sérieuse, quand même).
Le premier essai grandeur nature a lieu deux mois après la capitulation de l’Allemagne, à Alamogordo (« le peuplier gras ») et permet de vérifier au passage un certain nombre de détails cruciaux :
Primo, que le concept de bombe atomique fonctionne. Il est vrai qu’il aurait été ballot de jeter sur l’ennemi une bombe de la taille d’une camionnette pour qu’elle n’explose pas à l’arrivée. Cela aurait fait sérieusement désordre pour un projet ayant coûté deux milliards de dollars de l’époque.
Secundo, que la réaction en chaîne finit par se déconfiner et s’éteindre d’elle-même. Car oui, le doute subsistait : une fois lancée, la réaction de destruction des atomes s’arrêtait-elle quelque part, ou mettait-elle le feu à l’atmosphère environnante, induisant de proche en proche l’explosion des atomes d’oxygène et d’azote jusqu’à ce qu’il n’en reste plus un seul sur Terre ? Il était en effet impératif d’y répondre d’une façon levant toute ambiguïté. Et au cas où vous vous poseriez vous aussi la question, la réponse est négative, et le fait que vous soyez encore là pour lire ces lignes semble en témoigner.
Une fois que le projet a fait ses preuves, la nouvelle question qui se pose est : va-t-on garder la Bombe sous le coude dans le plus grand secret pour la prochaine guerre, au risque de l’oublier dans un placard ? Ou va-t-on faire péter les galons et jouer des biceps pour montrer qu’on a la plus grosse ?
Et puis il y a l’irritant problème nippon. Car si l’Allemagne a rangé les jouets et courbé l’échine, l’empire du Soleil-Levant est encore persuadé de la supériorité intrinsèque d’Hirohito qui, après tout, est un dieu vivant sur cette terre, descendant d’Amaterasu, excusez du peu. Et les sujets du dieu vivant sont encore prêts à mourir pour lui, en emportant avec eux l’élite des petits gars du Middle West ou de Brooklyn débarqués sur les îles lointaines de l’Extrême-Orient.1
Tout se passe comme si l’Amérique avait peur d’un Fort Alamo inversé (« fort Peuplier ». Soit il y a beaucoup de peupliers dans le Sud des États-Unis d’Amérique, soit les gens chargés de donner des noms aux patelins y manquent singulièrement d’imagination) (ou alors les peupliers mènent depuis longtemps une gigantesque conspiration visant à pousser l’espèce humaine sur le chemin de l’autodestruction, c’est possible aussi, allez savoir) et qu’il fallait briser dans l’œuf toute velléité de résistance de la part des Japonais. Il faut dire que les batailles d’Iwo Jima et d’Okinawa ont été dures et sanglantes (renseignement pris, aucun de ces deux noms ne signifie « peuplier » en Japonais).
Le président Truman donne son accord pour un lâcher de bombe, et même pour un second, comme il en restait une autre dans les cartons, basée sur un autre combustible qu’on n’avait pas encore essayé.
Le reste, c’est de l’Histoire. Mais arrivé à ce stade, vous savez que ce n’est qu’une partie de l’histoire…

– Alex Nikolavitch
Traducteur, scénariste, conférencier, consultant en trucs foutraques

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Einstein, Oppenheimer, Fermi, Feynman.

Jonathan HICKMAN et Nick PITARRA réécrivent l’Histoire et imaginent cette Ligue des Scientifiques Extraordinaires au service de projets plus fous les uns que les autres !

Octobre 1938. Le président Roosevelt reçoit une lettre d’Albert Einstein l’informant des progrès des savants allemands en matière de physique nucléaire. Dans quelques mois, les nazis pourraient disposer de la bombe nucléaire. Suite à cette révélation, le président américain décide la création du Projet Manhattan et rassemble les plus grands esprits scientifiques, chargés de contrer les avancées de l’ennemi ; projet qui aboutira quelques années plus tard à la création des premières bombes atomiques. Voici pour l’histoire officielle… Et s’il ne s’agissait que d’une partie de la vérité ? Si le Projet Manhattan avait servi d’écran pour occulter la création de nombreux autres projets encore plus fous et encore plus dangereux pour l’Humanité ? Et si la bombe atomique n’était que la plus modeste de leurs créations ?

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