Le Père Noël n’est pas toujours ce grand-père habillé de rouge qui offre des cadeaux. Le cliché du Père Noël tueur existe depuis longtemps. Mais qui a osé placer un instrument mortel entre les mains de ce joyeux bonhomme rondouillard ?
A l’automne 1984 sortait le film Silent Night, Deadly Night. Des foules en colère se sont rassemblées pour protester contre ce film qui osait salir la réputation du Père Noël et de la période de Noël en plaçant une hache sanglante entre les mains du joyeux vieil elfe. Moins d’une semaine après sa sortie, les manifestants chantant des chants de Noël ont réussi à faire retirer la campagne publicitaire du film, puis à faire retirer le film des salles par le distributeur Tri-Star Pictures. Les éditoriaux des journaux ont dénoncé la mort de la fête traditionnelle américaine, Variety écrivant que « la représentation d’un tueur vêtu d’un costume de Père Noël traumatiserait les enfants et saperaient leur confiance traditionnelle dans le Père Noël ». Tout cela parce que ce petit film d’horreur à petit budget, réalisé pour moins d’un million de dollars, avait osé embrasser ce qui est depuis longtemps devenu un cliché récurrent dans les films d’horreur : un Père Noël tueur.
Le Père Noël punit les méchants
L’image moderne du Père Noël, figure joviale et bienveillante, contraste fortement avec ses origines plus sombres. Pendant des siècles, ce personnage n’avait pas seulement pour rôle de récompenser les enfants sages, mais aussi de punir les turbulents. Cette dimension punitive, aujourd’hui disparue, était omniprésente dans le folklore européen, où le « distributeur de cadeaux » prenait des formes variées : Saint Nicolas, le Père Noël anglais, Sinterklaas, le Grand-Père Gel, etc. La version américaine actuelle s’est cristallisée au XIXe siècle, notamment grâce aux illustrations de Thomas Nast.
Autrefois, les récits menaçants faisaient partie intégrante des traditions orales : le Père Noël ou ses acolytes (comme Belsnickel ou Krampus) incarnaient une épée de Damoclès pour les enfants. Le cinéma d’horreur n’a donc rien inventé : il a simplement ravivé une facette inquiétante que la société moderne avait édulcorée.
Cependant, Hollywood a longtemps véhiculé une image joyeuse du Père Noël, dès les premiers films en 1909. Le Hays Code (1934-1960) interdisait toute représentation choquante, rendant impensable l’idée d’un « Père Noël tueur ». Ce trope est donc né ailleurs : dans les comics des années 1950. Will Eisner introduit des criminels déguisés en Père Noël dans The Spirit, mais la première histoire marquante apparaît en 1954 dans Vault of Horror (« …And All Through the House »), où un fou déguisé en Père Noël terrorise une meurtrière. Ce récit audacieux contribua à la création du Comics Code Authority, qui censura ces contenus dès 1955.
Il faudra attendre 1972 pour voir ce concept transposé au cinéma, dans Tales From the Crypt, adaptation britannique des histoires d’EC Comics. Ce segment marque le début des Pères Noël sanglants à l’écran, bien avant le scandale de Silent Night, Deadly Night (1984). Anecdote : la même histoire sera réadaptée en 1989 pour la série télévisée Tales From the Crypt.
Le Père Noël à l’ère du slasher
Avant 1980, il n’existe pratiquement aucun exemple direct de « Père Noël tueur » au cinéma, même si les années 1970 voient fleurir des films d’horreur liés à Noël. Whoever Slew Auntie Roo? (1971) illustre le sous-genre des « vieilles folles psychopathes », tandis que Silent Night, Bloody Night (1972), malgré son titre trompeur, n’a presque rien à voir avec Noël. Quant à Black Christmas (1974), souvent cité à tort comme un film avec un Père Noël meurtrier, il n’en contient aucune trace.
Le premier véritable tueur déguisé en Père Noël apparaît en 1980 dans To All a Goodnight, un film obscur mais historiquement notable : sorti en janvier, il pourrait être considéré comme le premier film d’horreur des années 1980. L’intrigue suit des étudiants isolés dans un pensionnat, traqués par un assassin en costume de Père Noël. Étonnamment, ce slasher partage des similitudes avec Vendredi 13, sorti quelques mois plus tard, mais n’a jamais connu la même gloire, en partie à cause d’une qualité VHS médiocre qui l’a relégué dans l’oubli.
La même année, Christmas Evil marque un tournant avec une approche psychologique. Le film raconte la descente aux enfers d’un homme traumatisé enfant, devenu adulte obsédé par le Père Noël. Après une série d’humiliations, il craque et se lance dans des meurtres en costume rouge. Réévalué aujourd’hui, Christmas Evil est salué pour son ton étrange et introspectif, proche de Taxi Driver, et pour sa fin surréaliste. Un incontournable pour les amateurs de curiosités horrifiques.
Cependant, aucun film n’a provoqué autant de controverse que Silent Night, Deadly Night en 1984, et cela tient surtout au contexte. En 1980, lorsque To All a Goodnight ou Christmas Evil sortent, le slasher n’en est qu’à ses débuts. Quatre ans plus tard, le genre a explosé : les spectateurs sont habitués à une violence extrême et les films rivalisent de cynisme pour choquer. Cette évolution rapide explique pourquoi Deadly Night est devenu le bouc émissaire idéal pour les croisés de la morale.
Sa campagne publicitaire provocante, montrant un Père Noël meurtrier, a déclenché une indignation médiatique amplifiée par les évangéliques et les mouvements anti-obscénité. Cette réaction s’inscrit dans le climat de 1984, marqué par la croisade britannique contre les « vidéos nasties ». Aux États-Unis, la polémique visait à dénoncer la supposée corruption morale des films d’horreur. Une fois le film retiré des salles, la mobilisation s’est éteinte : preuve en est, Don’t Open Till Christmas (1984), où les victimes sont déguisées en Père Noël, est sorti sans provoquer le moindre scandale.
Des suites (Silent Night, Deadly Night 2 à 5) et des variations comme Elves (1989), où les assistants du Père Noël deviennent des antagonistes sortent de plus en plus. Mention spéciale à Deadly Games (1989), un film français hybride entre action et horreur, qui anticipe Home Alone en mettant en scène un enfant piégeant sa maison pour repousser un tueur déguisé en Père Noël. À la fin des années 1980, le boom des slashers s’essouffle et le Père Noël meurtrier disparaît… avant de renaître dans les années 2000, porté par une nouvelle vague de films horrifiques qui perdure encore aujourd’hui.
On ne peut pas empêcher un bon elfe de s’exprimer
La stigmatisation qui entourait autrefois les films d’horreur et leurs fans a largement disparu. Depuis les années 2000, le genre s’est banalisé, au point de traiter avec légèreté des sujets autrefois tabous. C’est dans ce contexte que le trope du « Père Noël tueur » connaît aujourd’hui une véritable explosion médiatique. Il est devenu si courant qu’on pourrait dire qu’il revient chaque année comme les restes du repas de Noël.
On trouve des versions « classiques » du concept, où un individu mentalement instable enfile le costume rouge et blanc, comme dans P2 (2007) ou le segment dédié de A Christmas Horror Story (2015). Mais le sous-genre s’est diversifié : certains films réinventent le Père Noël comme une entité maléfique depuis toujours, à l’image de Santa’s Slay (2005), Sint (2010) ou Rare Exports: A Christmas Tale (2010). Krampus, figure folklorique, a même eu droit à son heure de gloire dans la comédie horrifique de Michael Dougherty (2015). Et la pop culture s’en amuse : souvenez-vous du Père Noël robotique de Futurama, doublé par John Goodman, distribuant mort et jugement dans l’an 3000.
Aujourd’hui, le trope évolue pour refléter des angoisses contemporaines. Christmas Bloody Christmas (2022) propose un Père Noël tueur… robotique, parfait pour l’ère des inquiétudes liées à l’IA. Hollywood s’en empare aussi, transformant le personnage en anti-héros : Fatman (2020) et Violent Night (2022) montrent un Père Noël brutal mais « justicier », incarné par David Harbour dans ce dernier. Ce n’est donc pas la violence qui choque le public, mais la cible : tant qu’elle est « méritée », elle devient acceptable.
Cette évolution est fascinante. En 1984, Silent Night, Deadly Night était perçu comme une attaque contre les valeurs américaines, dénoncée par des critiques influents comme Siskel & Ebert. Trente-huit ans plus tard, ces mêmes spectateurs acclament un Père Noël guerrier massacrant des mercenaires. Le personnage est passé du statut de tabou à celui d’ange vengeur. Une ironie qui rappelle ses origines : un être à double visage, capable de récompenser… et de punir.

Le Déviant, tome 1
1972, Milwaukee. Alors que la neige tombe à gros flocons, un père Noël avide de sang commet des atrocités inimaginables sur des adolescents. Cinquante ans plus tard, un jeune écrivain tourmenté interviewe ce soi-disant « tueur déviant », qui, après des décennies derrière les barreaux, continue de clamer son innocence. Et alors que les festivités de Noël approchent à grands pas, le passé retrouve le chemin des cheminées, portant dans sa hotte une hache aiguisée…

Le Déviant, tome 2 NOUVEAUTE
Scénariste de BD, Michael Schmitz enquête sur l’homme emprisonné pour le monstrueux meurtre de deux adolescents, cinquante ans auparant. Mais pour Michael, le « tueur déviant » n’est pas seulement un sujet d’étude… c’est une obsession qui a changé le cours de son enfance et a défini sa propre identité. Et alors qu’il s’enfonce de plus en plus profondément dans l’histoire du déviant, un nouveau Père Noël tueur fait son apparition… et Milwaukee s’apprête à revivre le chapitre le plus sinistre de son histoire.

