Les histoires dont les héros/héroïnes sont des jeunes ont quelque chose de puissant ; les adolescents vivent chaque événement comme s’il était question de vie ou de mort. James Tynion IV et Werther Dell’Edera vous parle de leur travail sur le titre Something is Killing the Children

Propos recueillis en juillet 2020

James, vous êtes scénariste depuis plusieurs années maintenant. Comment définiriez-vous votre style si vous deviez le décrire ?

JAMES TYNION IV : Oh, c’est une bonne question. Je me vois plutôt comme un écrivain d’horreur, mais j’aime aussi beaucoup travailler sur des personnages adolescents et aborder des thématiques liées à cette tranche d’âge.
Les histoires dont les héros/héroïnes sont des jeunes ont quelque chose de puissant ; les adolescents vivent chaque événement comme s’il était question de vie ou de mort. Du coup, je trouve très intéressant de prendre ça au pied de la lettre et de les immerger dans des situations où leur vie est véritablement en danger. Émotionnellement, c’est très fort.
Je crois que j’aime le genre horrifique car il offre une grande liberté créative. Il n’y a aucune obligation de finir sur un happy end, vous pouvez explorer des lieux lugubres, les facettes les plus sombres de l’être humain, mais aussi développer des relations humaines plus honnêtes. Malheureusement, je trouve que nombre de récits « young adult » sont trop souvent édulcorés.
Ils virent généralement vers quelque chose de plus fantaisiste, qui n’est pas fidèle au monde réel. Je pense qu’en s’autorisant à conclure ces histoires sur des notes plus inquiétantes, dans des endroits laids et avec des personnages cruels ou malveillants, on offre une représentation de notre monde plus conforme à ce qu’il est vraiment.
Je crois que ce que j’écris est sérieux, sincère, tourné vers l’humain, mais aussi sûrement un peu nihiliste sur la société humaine.

Quels sont les auteurs – littéraires ou non – qui vous ont aidé à vous façonner en tant qu’artiste ?

JAMES : Neil GAIMAN est celui qui m’a donné envie de devenir scénariste de bande dessinée. J’ai lu Sandman quand j’étais au lycée, et c’est à cette époque-là que j’ai pris conscience de l’étendue des possibilités qu’offrait ce medium. Pendant un temps, j’ai même essayé d’imiter son parcours professionnel en faisant un peu de journalisme. Mais ce sont Stephen KING, Clive BARKER et John CARPENTER qui m’ont fait aimer l’horreur… sans compter Scott SNYDER, qui a été mon prof d’écriture à l’université et qui est rapidement devenu mon mentor et mon ami. Il m’a aidé à affiner mon style. Je suis le produit de tous ces artistes.

WERTHER DELL’EDERA : En ce qui me concerne, je ne pense à personne en particulier, mais plutôt à une multitude de « professeurs ». En réalité, beaucoup de grands noms de la BD m’ont aidé à grandir. Lorsque vous débutez, la chose la plus simple à faire est de vous trouver un ou deux artistes à suivre, de comprendre comment fonctionne leur narration dans une page de BD par exemple. Mais passée cette première étape, arrive un moment où ces seuls guides ne suffisent plus. Avec l’expérience, votre style devient alors le fruit d’une multitude d’influences qui rend très complexe la réponse à cette question : « qui vous a le plus influencé ? »

Pouvez-vous nous parler un peu plus de la genèse de Something is Killing The Children ?

JAMES : Tout a commencé avec le titre. Je l’ai d’abord utilisé pour une nouvelle que j’avais écrite à la fac, dans le cadre d’un cours d’écriture. Mais, même des années après, j’y revenais régulièrement car j’étais convaincu qu’elle renfermait un gros potentiel. Something Is Killing The Children méritait une histoire plus aboutie. Au fil des ans, j’ai pitché plusieurs versions de mon idée à Boom! Studio mais, à chaque fois, je savais que je n’avais pas encore atteint l’essence du concept. Il fallait que j’aille plus loin. Et puis, j’ai eu l’idée du personnage d’Erica, et j’ai su que je tenais un projet d’envergure sur lequel j’étais très impatient et excité de travailler. J’avais attendu ça toute ma carrière. Aujourd’hui, je suis très heureux que mon amour de l’horreur puisse se concrétiser dans cette série.

Dans le premier épisode, James déclare son amour au cinéma. Et vous ? Quel film d’horreur vous a le plus inspiré ?

JAMES : Probablement The Thing, de John CARPENTER. Un film avec un si gros budget est rarement aussi sombre. Habituellement, tous les films se finissent sur une sorte de rythme  rédempteur, une touche de morale qui laisse entendre que le Bien triomphe toujours. La fin de The Thing, elle, est froide, et elle me donne des frissons à chaque fois que je la regarde.

WERTHER : J’adore aussi le cinéma ! Mes films préférés sont sans doute les westerns. De manière générale, j’ai des réalisateurs de coeur dont je suis la carrière film après film. Par contre, au risque de vous décevoir, je ne suis pas un grand fan de films d’horreur. Malgré tout, les films du genre qui m’ont le plus marqué restent sans doute certaines oeuvres japonaises, qui développent un point de vue véritablement unique sur ce qui peut déranger le spectateur. Et puis je suis un grand amateur de John CARPENTER, dont je considère Halloween (que je rapproche pas mal de l’école japonaise) et Prince of Darkness comme de purs chefs-d’oeuvre !

Enfant, quelles étaient vos plus grandes peurs ?

WERTHER : Moi, je crois que c’était d’être abandonné. JAMES : Alors là… aucune idée ! Honnêtement, j’avais un peu peur de tout. Je n’ai commencé à m’intéresser à l’horreur qu’à l’université. Avant, même les jaquettes des films de mon vidéoclub me faisaient faire des cauchemars. Ce n’est que bien plus tard que je me suis rendu compte que les histoires que j’imaginais étaient finalement bien plus effrayantes que la plupart des films. C’est là que j’ai décidé de les coucher sur papier. Parlez-nous d’Erica Slaughter, de la manière dont elle est née, sa personnalité, son style…

JAMES : Elle est ce qui fait que cette histoire fonctionne. Vraiment, à l’instant où j’ai vu pour la première fois le design que Werther avait imaginé pour elle, j’ai su que nous avions quelque chose de vraiment spécial entre les mains.
À l’origine, j’ai imaginé cette petite femme blonde avec de gros cernes noirs sous les yeux, épuisée, au-delà de l’imaginable, à force d’aller de ville en ville pour tuer des monstres. Et puis, en voyant le bandana, je me suis fait une meilleure idée de sa personnalité. C’est quelqu’un de très pragmatique, de très sérieux. Elle est douée dans ce qu’elle fait, non pas parce qu’elle aime le faire, mais parce qu’il faut que ce soit fait.

Pouvez-vous nous parler de vos choix graphiques, de vos inspirations pour le design des personnages/monstres, des couleurs… ?

WERTHER : Eh bien, pour faire simple, je suis parti des descriptions de James auxquelles j’ai ajouté plusieurs couches successives de détails pour arriver au résultat final. Pour Erica, ma priorité a été de ne pas en faire une pin-up.
Je voulais une beauté non conventionnelle et ma deuxième priorité a été d’apporter un soupçon de Sasuke de Sanpei SHIRATO (Mangaka légendaire des années 1960 et l’un des fondateurs du style gekiga, dont l’œuvre inspira, entre autres, Katsuhiro Otomo (Akira) et Masashi Kishimoto (Naruto).). Pour les monstres, et toujours en suivant les descriptions de James, j’ai suivi mon instinct, et je me suis également beaucoup documenté en regardant les Instagram de nombreux sculpteurs.

De quel personnage vous sentez-vous le plus proche ?

WERTHER : J’adore Erica !

JAMES : Sans hésitation, Erica. Je sais que ma réponse devrait être James, mais non. Je pense que beaucoup de gens de mon âge voient notre monde actuel comme un véritable enfer. Vous êtes épuisé, mais vous devez continuer à avancer. C’est la ténacité et la gestion de sa fatigue intense que j’admire chez Erica. Elle incarne cette idée que vous pouvez vous lever et combattre les ténèbres environnantes sans pour autant finir brisé. J’espère pouvoir faire de même, mais je ne suis pas certain d’être aussi fort qu’elle. Alors je vais continuer à écrire, en espérant apprendre encore beaucoup en la côtoyant.

Savez-vous déjà comment vous allez terminer cette histoire, ou vous octroyez-vous une certaine liberté d’improvisation ?

JAMES : Quand j’ai commencé à écrire Something Is Killing The Children, je pensais que ça allait être une série d’histoires courtes. Des fragments autonomes sur les pérégrinations d’Erica dans différentes villes. C’est un plan que j’ai abandonné rapidement. Depuis, il y a eu pas mal d’improvisation, mais aujourd’hui je sais où j’en suis et où je veux aller. Cela dit, si je pense à quelque chose de mieux d’ici la fin de la série, il est fort possible que je jette une fois de plus ce « nouveau plan » pour faire encore mieux !

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