Quand le responsable éditorial Peter TOMASI m’a contacté en 2005 pour me proposer d’écrire la série régulière de Batman, je me suis demandé ce que je pouvais apporter d’inédit à ce personnage.

Après 70 ans de publication mensuelle et continue dans BATMAN, DETECTIVE COMICS et d’autres titres, Batman était apparu dans à peu près tous les styles d’histoires imaginables. Je m’en suis vite aperçu quand j’ai tenté d’en lire une quantité représentative. La pierre angulaire de mes recherches fut les éditions reliées compilant les meilleurs récits de Batman par décennies, des années 1940 aux années 1980, mais aussi l’indispensable encyclopédie de Batman de Michael Fleisher, et l’anthologie BATMAN FROM THE THIRTIES TO THE SEVENTIES, dans cet exemplaire tout corné à force de relectures que je m’étais acheté quand j’avais 18 ans. En parcourant tout ça, une des premières choses que j’ai réalisée, c’est que ma grande idée de base (le fait que la police de Gotham ait tenté, en secret, de transformer des policiers en Batman au cas où le Chevalier Noir viendrait à disparaître) avait déjà été utilisée dans une histoire de 1953, « The Secret Star ». Je fus donc obligé de penser à plus grande échelle, et je me suis aperçu que personne n’avait jamais envisagé l’effet cumulé de toutes ces aventures étranges sur l’esprit de Bruce Wayne. Alors, j’ai décidé de traiter toute l’histoire publiée de Batman comme les évènements de la vie extraordinairement agitée d’un seul homme. Pour moi, c’était ça, l’histoire qui n’avait encore jamais été racontée : comment sa vie pouvait inclure la totalité de la trajectoire de Batman en tant que personnage, de la fin des années 1930 jusqu’au milieu des années 2000.

L’histoire de ce qu’une vie pareille pourrait infliger à un homme. et l’histoire du méchant ultime, capable d’exploiter cette histoire dans sa totalité comme un moyen de détruire Batman. Ce serait le récit de complots maléfiques s’étendant sur des années, l’histoire d’un criminel génial et parfaitement diabolique, l’ennemi le plus sinistre et le plus inattendu, le malfaisant manipulateur appelé Gant Noir. J’ai imaginé une chronologie sommaire qui me permettait de compiler 70 ans d’aventures de Batman en 15 années frénétiques dans la vie d’un homme extraordinaire (je ne suggère pas que ce soit canonique, et d’autres scénaristes de la série pourraient être en désaccord, mais ça m’a aidé à développer une histoire en mesure d’incorporer tout ce passif en tant que force motrice de mon intrigue). Cette approche m’obligeait néanmoins à gérer et à récupérer des éléments particulièrement étranges et problématiques, entre autres relevant du « Batman SF » des années 1950, quand notre détective ténébreux se retrouvait propulsé dans d’autres dimensions, ou confronté à des machines temporelles, des voyages spatiaux, ou des mondes étranges aux décors insolites et grandioses.

dossier noir batman

La plupart des fans de Batman préfèrent oublier ces histoires souvent irréelles et incroyables des années 1950. Et ils ont une bonne raison : elles ont tendance à violer certaines des règles basiques du « monde réel » qui aident à rendre les aventures de Batman lisibles par un lectorat plus exigeant et plus âgé. Néanmoins, le fait que Batman puisse encaisser près d’une décennie de ces histoires bizarroïdes sans perdre son aura prouve qu’il y avait quelque chose à faire en revisitant une période où l’exposition constante de Batman aux toxines du Joker, aux gaz de terreur et autres substances chimiques hautement psychotropes finissait par sérieusement le secouer. Ce matériel occulté depuis longtemps, et même efacé de l’histoire ofcielle du personnage devint pour moi une source d’inspiration qui me permit de le voir sous un angle très différent.

Aussi, j’ai décidé d’introduire une révélation de mon cru : Batman tient à jour un « dossier noir », sa version des « affaires non classées » dans X-Files, où sont consignées toutes ses aventures trop étranges, surnaturelles ou défiant la logique. cela me permettait de mettre en place un dispositif scénaristique structurant tout Batman R.I.P, l’aventure la plus étrange et la plus surnaturelle du Batman. Les histoires consignées dans le Dossier proviennent essentiellement de cette période délirante où tout était possible, et sont typiques de ce genre de matériel que je voulais inclure dans le contexte moderne, plus « réaliste » des histoires actuelles de Batman. La plupart des récits de l’époque n’étaient que des fables vite réalisées et destinées à un public d’enfants en bas âge, mais il y a parmi elles quelques pépites. Alors, jetons un oeil à certaines de ses anciennes aventures qu’il préférerait oublier, mais a néanmoins consciencieusement enregistrées dans son Dossier Noir.

Grant MORRISON
Glasgow, Février 2009, introduction du Grant Morrison présente Batman tome 4.

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