Quel prélude est plus digne de THE UNWRITTEN que le récit de la façon dont la série a failli ne jamais être écrite ? Comme toutes les meilleures histoires, ça commence avec le Diable… ou plus précisément avec LUCIFER, le spin-off du célèbre THE SANDMAN de Neil GAIMAN. Portée par les talents créatifs de Mike CAREY et Peter GROSS, la série LUCIFER a duré 75 numéros et est tant appréciée qu’elle est régulièrement citée aux côtés de classiques Vertigo, tels que PREACHER, THE INVISIBLES ou Y : LE DERNIER HOMME.

À l’époque, j’étais rédacteur associé pour Vertigo, l’un des nombreux fans de CAREY et GROSS, impatient de connaître leur prochaine oeuvre. Il se trouve qu’ils ont suivi LUCIFER par des projets chacun de leur côté… CROSSING MIDNIGHT pour Mike et TESTAMENT pour Peter. J’ai eu la chance de travailler sur les deux titres, et ma joie était palpable quand ils m’ont demandé d’officier sur leur retour très attendu en tant qu’équipe artistique. Et pourquoi pas ? Les connaissances encyclopédiques de Mike CAREY en matière de mythologie et de littérature lui valent le surnom d’Homme le Plus Intelligent des Comics au sein de la rédaction Vertigo. C’est un conteur si réputé qu’il est la personne désignée pour n’importe quel matériel auquel Neil GAIMAN tient énormément. Peter GROSS, de son côté, est le Plus Grand Solutionneur des Comics… maîtrisant si bien la grammaire unique des comics qu’il peut traduire n’importe quelle description, aussi ambitieuse ou compliquée soit-elle, en une séquence de narration graphique superbement rendue et parfaitement rythmée. Les gens oublient aussi que Peter est également un auteur (on se souvient par exemple des 25 numéros de THE BOOKS OF MAGIC qu’il a écrits et dessinés). Cette expérience l’a aidé à mettre Mike à l’épreuve dans leur collaboration, et ce qui a commencé comme une relation auteur/dessinateur classique s’est transformé en quelque chose de plus proche de la co-scénarisation… un style collaboratif unique qu’ils comptaient mettre au service de leur nouveau projet. J’étais impatient de recevoir leur pitch. Ils étaient pressés de commencer. Des e-mails ont été échangés et un document de trois pages a fini par atterrir dans ma boîte mail. J’ai férocement dévoré chaque page au fur et à mesure qu’elles sortaient de l’imprimante… et Dieu que ça me laissait froid. Mais complètement. Les pigeons se sont tous envolés tellement tout cela a fait flop.

Je ne comprenais pas ce qui les excitait tant. Ces trois pages parlaient d’un jeune homme dont le père avait écrit une série de livres du genre Harry Potter, se servant de son fils comme inspiration pour le personnage principal. Une secte pensait qu’il était le vrai personnage du livre, ayant pris vie, et la série suivrait ses aventures tandis qu’il tenterait de prouver son identité. Bien sûr, Harry Potter avait rapporté un paquet d’argent et s’en inspirer semblait profitable… mais qu’est-ce qui différenciait ça des nombreuses pompes à fric lancées à la suite du succès de J.K. Rowling ? Comment alimenter une série mensuelle avec un type qui fait le tour du monde à la recherche d’un certificat de naissance ? Voilà deux créateurs dont je me pensais un fan dévoué, tous les deux infiniment plus intelligents que moi, et je ne comprenais pas pourquoi ils se réjouissaient tant. Pourquoi ce concept était-il fun ? Ou intelligent ? Pourquoi était-ce un bon comic book ?

Après une première conférence téléphonique à essayer maladroitement de répondre à ces questions, un Mike remonté a envoyé à Peter le message ci-dessus… auquel je me dois d’ajouter cette précision importante : Mike est sans doute le gentleman anglais le plus poli avec lequel un rédacteur puisse espérer travailler. Son idée de la “grossièreté” est en gros équivalente à la façon dont les New-Yorkais comme moi disent bonjour tous les matins. Je n’ai pas encore vu Mike se montrer réellement grossier avec quelqu’un, et je doute que ça arrive jamais à quiconque. Dans tous les cas, après ce premier appel teinté de malaise (le malaise étant exclusivement déposé par Pornsak PICHETSHOTE), j’ai compris que toutes mes questions, en réalité, se résumaient en une seule : De quoi ça parlait ? Un aspect sous-estimé de ce travail est la façon dont on apprend qu’aucune force créatrice ne fonctionne de la même façon, mais que les meilleurs talents ont tous une chose en commun : ils se surpassent quand on les défie. Dans cet esprit, Mike et Peter se sont attachés à mieux décrire (dans une longue série d’e-mails groupés et de conférences téléphoniques) de quoi parlait vraiment leur nouvelle série. Oui, elle s’intéressait à un jeune homme ayant inspiré la série type Harry Potter de son père. Oui, elle incluait une mystérieuse secte pensant que le dit jeune homme était le personnage des livres, devenu vivant. Mais la question centrale de l’identité du jeune homme était aussi le point de départ de questions bien plus vastes sur ce que la fiction a à nous offrir… pas seulement en nous inspirant la joie ou en éclairant des maux de société négligés, mais en façonnant de manière tangible l’histoire et en structurant profondément nos vies de tous les jours.C’était une série qui explorait les livres les plus importants de tous les temps et leur impact sur le monde, depuis des classiques comme Frankenstein ou Moby Dick à des oeuvres obscures comme Le Juif Süss en passant par d’innocents contes pour enfants comme Le Lapin de velours ou Histoires comme ça. Elle liait toutes ces œuvres en une massive conspiration menée par une cabale secrète qui contrôlait le monde en contrôlant ses histoires. Cette série serait à la littérature ce que le Da Vinci Code était à l’art de la Renaissance… sauf que sa vedette serait aussi la victime de sa propre célébrité Harry Potter-esque. (Et ça n’est jamais une mauvaise chose quand votre série peut mentionner deux des séries les plus vendues du monde de l’édition dans son synopsis.)

C’était un livre écrit avec amour pour les fans de lecture. Et au cœur de tout ça, il y avait l’histoire profonde d’un père qui a vu sa famille comme une collection d’outils, d’un fils qui a passé toute sa vie à
accepter cette trahison. Mike et Peter appelaient ça FACTION. Une proposition de huit pages a vite suivi. Elle expliquait le concept de la série, son personnage principal, Tom Taylor, et son homologue fictif, Tommy Taylor, ainsi que la mythologie au coeur de la série. La proposition a été soumise pour approbation à Karen BERGER, la légendaire rédactrice exécutive de Vertigo. Et ensuite, le moment le plus difficile a commencé. Mike, Peter et moi avions tous proposé séparément des projets par le passé, et chacun de nous savait que c’était un procédé interminable. Il pouvait se passer des semaines avant que le pitch soit lu et qu’on évoque ses manquements, et ce serait suivi par de nouvelles semaines de questions/réponses pour tout éclaircir. Et parfois, tout ce temps, tous ces efforts ne résultaient pas en une validation. Voilà les montagnes russes du développement d’un projet.
Mais ce n’était pas grave. Après avoir mis tant d’efforts dans FACTION, Mike et Peter avaient tous les deux fort à faire pour rattraper leur retard sur d’autres dates butoirs. Les semaines qu’il faudrait pour avoir une réponse leur convenaient très bien. Sauf que FACTION a été validé l’après-midi même. Aucun de nous n’avait jamais entendu que quelque chose de ce genre était arrivé où que ce soit. Et les bons présages ne se sont pas arrêtés là. Le lettreur virtuose Todd KLEIN a signé dès qu’il a entendu le nom de Mike CAREY. Je crois que c’est Karen qui a suggéré que l’illustratrice Yuko SHIMIZU fasse les couvertures, nous avions tant adoré son travail sur la mini-série THE SANDMAN: THE DREAM HUNTERS. (Yuko serait ensuite nommée aux Eisner Awards et Society of Illustrators Awards chaque année pour son travail sur THE UNWRITTEN.) Le dessin de Peter est si parfait en noir et blanc qu’il peut être délicat à coloriser… il faut quelqu’un au goût discret mais impeccable pour l’améliorer sans l’écraser. Chris CHUCKRY était le seul coloriste que nous voulions et on a lancé un feu d’artifice quand il a accepté. (La femme de Peter, Jeanne McGEE, a travaillé un style aquarelle pour colorier les pages de Tommy Taylor, pour aider les extraits du livre à se distinguer de la trame principale.)

En fait, la seule difficulté a été d’apprendre que tous les départements de DC, autrement on ne peut plus enthousiastes, avaient de sérieux doutes sur le titre. Nous trouvions que FACTION résumait intelligemment les thèmes de la série — les endroits où la fiction influence les faits — tout en faisant allusion à la mystérieuse cabale au coeur de la conspiration, mais les gens trouvaient le titre fade et suggérant plutôt une aventure pendant la Guerre de Sécession. Nous avons donc trouvé pas moins de 154 titres alternatifs (je le sais parce que j’ai toujours le document Word contenant la liste sur mon portable), et nous avons fini par graviter autour du mot UNWRITTEN. (D’autres concurrents étaient MEN OF LETTERS ou FrICTION.) Mais ça n’est que quand ma voisine de bureau, l’assistante Sarah LITT, a conseillé d’ajouter “THE” au titre que nous avons craqué dessus et que tout s’est mis en place. THE UNWRITTEN est devenu l’une des séries les plus populaires de l’année. Elle a trouvé une place dans tous les Top Ten de critiques et a obtenu des nominations pour tous les prix importants de
l’industrie. Le premier numéro a été imprimé davantage que n’importe quel titre Vertigo depuis presque une décennie, et il reste à égalité avec le blockbuster Y : LE DERNIER HOMME 1 pour celui qui s’est le plus vite vendu. Tous les sites sur les comics en ont parlé, et littéralement personne n’en a dit du mal. (Croyez-moi sur parole… Peter et moi avons entassé un nombre effrayant d’alertes Google pour le vérifier. Mike a toujours été l’adulte le plus mesuré du trio.) On m’a dit que le premier tirage du premier recueil avait été plus important que pour tous les albums Vertigo depuis THE SANDMAN, et pourtant il a été épuisé dans l’année.

Ce qui m’amène enfin à la superbe édition cartonnée que vous tenez entre les mains. Entre ses couvertures superbement illustrées (et dans les cinq volumes qui suivront) sont recueillies l’apothéose de l’amour et du dévouement de Mike CAREY et Peter GROSS pour leur art, ainsi que leur conviction inébranlable en la puissance et l’importance des histoires. Après trop d’années d’attente, tous les meilleurs titres Vertigo sont enfin disponibles dans un genre de format de luxe, et je suis on ne peut plus fier que THE UNWRITTEN en fasse partie. Le mieux ? C’est C’est une excellente excuse pour rappeler à Mike un certain e-mail…

 

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 The unwritten tome 1

Personnage principal d’une série de romans fantastiques, le jeune sorcier Tommy Taylor vit de nombreuses aventures sous la plume de l’auteur à succès Wilson Taylor, disparu depuis une dizaine d’années.Vivant sur la renommée de l’oeuvre de son père, Tom Taylor, fils du romancier et modèle du héros des romans, vit aujourd’hui sur la renommée de l’oeuvre paternelle qu’il entretient auprès des fans de la saga. Lors d’un festival, Tom est pris à parti par un lecteur passionné, l’accusant. Très secoué par les accusations, À la lumière de cet événement, Tom Taylor doute bientôt de sa propre identité en réalisant à quel point que sa vie et celle du héros de papier se mêle étrangement, troublant la frontière entre fiction et réalité.
(contenu : The Unwritten #1-12)

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