Ray Bradbury (1920-2012) fut l’un des écrivains de science-fiction les plus célébrés. Auteur de nombreux ouvrages dont certains adaptés au cinéma ou à la télévision comme les chroniques martiennes, Farenheit 451 ou la Foire des ténèbres, il a également écrit des scénarios, des essais, des recueils de poésie et des Pièces de théâtre.

On m’a souvent posé la question suivante : pourquoi écrivez-vous de la science-fiction ? Après avoir explosé et ricoché dans la pièce neuf ou dix fois, voilà ce que je réponds : Il n’y a rien d’autre à écrire !
Si nous sommes des gens de science-fiction habitant dans un environnement de science-fiction à une époque de science-fiction, allons-nous écrire sur les hommes des cavernes, ou sur l’invention de la roue ? Ou sur un tournoi datant du jour où la Table Ronde a commencé à tomber en pièces ? Sans doute pas. Ou bien seulement dans la mesure où ces périodes reculées évoquent les temps incroyables que nous vivons aujourd’hui. Ce qui m’amène à Superman et à son histoire. Il n’est pas aussi vieux que moi, mais il n’est pas né quand on a inventé la roue, même si on pourrait presque le croire. Car à bien considérer l’histoire primitive de la fin des années 1930, l’Amérique moderne babillait tout juste et entamait ses premiers pas de bébé robotique. La télévision était encore un vague murmure électronique inondant à peine une dizaine de villes sur la Terre, attendant d’être allumée. Le mur du son n’avait pas encore été brisé. Les avions ne sillonnaient pas le monde en hurlant, les paquebots transatlantiques n’emportaient que quelques poignées de touristes sur les mers. La plupart des gens restaient à la maison. La radio était encore la seule expression de la vox populi. Les films étaient rarement « colorisés ». La projection sur écran large était inventée, mais personne ne l’utilisait encore. Au milieu de ces technologies à moitié développées, Superman est tombé du ciel. Pourquoi l’avons-nous accueilli ?

Parce que Superman, c’est nous, et nous sommes Superman. Ses problèmes sont peut-être plus grands que les nôtres, et il est sans doute en mesure de les résoudre facilement, mais nous nous connectons à lui par les rêves qui deviennent des machines susceptibles de changer le monde. Nous sommes entourés de technologiques si familières qu’elles sont devenues des clichés, au point que nous les ignorons. L’automobile est l’une des plus grandes révolutions de l’histoire, s’imposant à la fois en tant que bénédiction et en tant que fléau. Nous continuons à profiter de cette révolution, tout en constatant qu’elle fait cent cinquante mille morts tous les quatre ans. Une guerre d’ampleur, n’est-ce pas ? Et alors que nous négligeons de nous lancer dans la bataille, Superman doit nous rappeler les bataillons et les armées de véhicules qui nous enchantent autant qu’ils nous détruisent.
Oserais-je proposer des histoires de Superman dans les temps à venir ? C’est tentant. Chaque fois que j’ouvre un journal ou que j’allume la télé, il y a une nouvelle technologie qui pousse du sol ou qui rugit dans le ciel, et plein de scientifiques et de juristes qui observent et attendent, essayant de formuler une « loi du mur du son » ou une « loi de l’espace ». Qui possède l’air qui nous entoure et ce qui se trouve au-dessus ? Comment enregistrer, cartographier et organiser le cadastre de la Lune ? À qui appartient le pôle nord de Mars ?

Et qu’en est-il de Jon-Erik HEXUM, ce jeune acteur qui a été touché par accident avec une cartouche à blanc, a subi des dommages cérébraux, est mort, et dont le cœur bat aujourd’hui dans le corps d’un jeune homme noir quelque part dans le monde ? Si la mère de cet acteur allait voir Superman la veille de Noël et lui expliquait qu’elle aimerait retrouver ce jeune homme noir et lui rendre visite une minute, durant la veillée, afin d’écouter le coeur de son fils battre dans sa poitrine, Superman l’aiderait-elle à le trouver ? En voilà, un dilemme moral. La mère pourrait-elle survivre à une rencontre d’une telle tristesse ? Comment le jeune homme noir se sentirait-il, face à cette femme qui vient écouter son pouls par une nuit enneigée ?
Ou…
Des dizaines de milliers d’articles ont été écrits ces six dernières années au sujet des recherches en génétique. Les scientifiques, jouant dans le bac à sable des gènes et des chromosomes, se sont demandé si un jour, par le biais d’expériences sur l’ADN, ils seraient en mesure de reconstruire un tyrannosaure à partir d’un minuscule fragment de peau ? Verra-t-on bientôt les zoos du futur emplis de ptérodactyles, de stégosaures et de grands brontosaures ? Superman viendrait-il visiter un zoo de ce type, tenu par un savant presque fou ? Ou bien l’a-t-il déjà fait, dans un numéro que j’aurais loupé ?
Et ainsi de suite. L’année dernière, une mère est morte, mais le fonctionnement de son corps a été maintenu artificiellement pendant soixante-trois jours. Pourquoi ? Pour que son enfant à naître puisse finir sa gestation et voir le jour : la vie jaillissant de la mort. Un événement incroyable, qui fut un succès. Avec nous, Superman se trouve au centre d’un ouragan d’idées qui nous bombardent à une telle vitesse que nous n’avons pas le temps de prendre la mesure des révolutions qui naissent d’un jour à l’autre et qui modifient nos vies à jamais. La révolution informatique. La révolution des vidéocassettes. La navette spatiale. La Guerre des étoiles, celle du cinéma et celle de la politique. Les missions Apollo. La télévision elle-même, qui est devenue un membre de la famille au point que nous ne faisons plus attention à sa présence à table, tandis qu’elle observe les somnambules.
Enfin, voilà, faites vous-même la liste. Superman est le produit de tout ce que nous avons été, de tout ce que nous sommes devenus depuis que les Luddites se sont précipités dans les usines, il y a cent soixante-quinze ans de ça, afin de fracasser les machines qui avaient volé leurs emplois. Superman n’aurait pas pu exister plus tôt, en tout cas pas de manière complète, pas avant que nos enfants robotiques aient pu pleinement s’épanouir. S’il est un Homme d’Acier, alors nous sommes ses compatriotes d’acier, tentant de comprendre comment diable
nous adapter à toutes ces inventions qui déferlent dans notre monde et nous clouent au mur. J’imagine que nous l’apprécions parce qu’il accomplit des choses dont nous ne pouvons que rêver, ou qui nous prennent trop de
temps. Il résout des problèmes. Tandis que nous nous empressons d’éteindre notre télé parce que le climat technologique qui y est projeté nous apparaît troublant, distrayant ou confus, Superman décolle et se rend là où se trouvent les problèmes. Entre aujourd’hui et le début du xxie siècle, il sera fascinant d’observer si nous parvenons à trouver tout seuls des solutions, sans devoir l’appeler. D’ici là, célébrons. Il a vécu dans nos imaginations depuis cinquante ans. Et nous tous, nous avons survécu à une période de cinquante ans qui a propulsé la plupart d’entre nous du xve siècle au xxe. Avec de la chance, nous resterons, avant de nous envoler dans le xxie, afin d’aller vivre sur la Lune, sur Mars, ou plus loin encore. Superman nous accompagnera. Non. Il nous attendra là-bas.

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La nouveauté à venir : Superman Man of Steel

Metropolis était autrefois le terrain de chasse privilégié de Lex Luthor, le P.
D-G. tyrannique et intransigeant de la multinationale LexCorp, mais l’arrivée d’un protecteur surhumain a changé la donne… Partageant son temps entre son identité de Clark Kent, jeune reporter pour le Daily Planet, et celle de Superman, défenseur des opprimés, il combat les menaces les plus étranges et les plus terrifiantes : Metallo, Darkseid ou Bizarro !
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