Darkseid est l’un des plus grands méchants de la bande dessinée américaine. Il ne fait preuve d’aucune pitié dans la poursuite de ses objectifs et ne rechigne pas à utiliser tous les moyens, aussi déplaisants ou mortels soient-ils. Il est subtil et reste souvent à l’écart de l’action en laissant agir des intermédiaires. Mais il est pourtant courageux, et possède une sorte de curieux code d’honneur qui en fait un individu complexe et intrigant et l’empêche de devenir monolithique. Il connaît également le prix de son ambition et, comme tous les grands méchants, est prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut. Et KIRBY, en puisant dans sa propre expérience de la Deuxième Guerre mondiale, crée, avec l’équation d’anti-vie, le parfait objet de désir pour Darkseid. L’équation d’anti-vie, le Graal impie de Darkseid, n’est qu’une réification en bande dessinée du fascisme, le mal absolu de l’époque de Jack, qu’il a personnellement affronté sur les champs de bataille en Europe. En tant que système de gouvernement, le fascisme propose que la volonté propre de l’individu soit subordonnée à celle de l’État. Savoir qui représente précisément la volonté de l’État et comment on l’impose aux citoyens est la question à soixante-quatre dollars. Dans le monde des Néo-Dieux, l’équation d’anti-vie est l’oblitération totale et complète du libre arbitre : le fascisme parfait. Et Darkseid cherche justement à mettre la main sur l’équation, à en porter le fardeau et à posséder ce pouvoir absolu. KIRBY représente l’ambition de Darkseid en dessinant les troupes d’Apokolips qui défilent au pas, un symbole fort qui rappelle les régimes fascistes des années 1930 et 1940 en Europe.

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Au fil des ans, le style de Jack – qui n’avait jamais été aussi réaliste que celui de Hal FOSTER ou d’Alex RAYMOND – était devenu de plus en plus abstrait. Il travaillait les symboles, une autre manière de représenter la réalité. À l’époque du QUATRIÈME MONDE, le dessin de Jack était devenu un parfait mélange entre la puissance brute et l’interprétation gestuelle (observez le langage corporel de l’assassin privé de Darkseid, Kanto : ce dandy assassin ne correspond pas aux stéréotypes). Jack écrivait comme il dessinait : de façon abstraite. Il donnait souvent à ses personnages et à ses lieux des noms allégoriques, comme John BUNYAN dans Le Voyage du pèlerin. Les patronymes pouvaient être pertinents, comme avec Darkseid, ou contradictoires, comme avec Mamie Bonheur : l’image même d’une mère qui pourrait dévorer ses propres enfants. Et pourtant, malgré toutes ses abstractions, la force de la prose de KIRBY va bien au-delà de ce que d’autres auteurs, plus conventionnels, ont proposé. Lorsque Orion demande à Darkseid de affronter en personne, sans passer par des “créatures inférieures comme Kalibak”, hurlant, furieux, tandis que les éléments se déchaînent tout autour, la puissance brute qui se dégage de la scène révèle que la vraie nature d’Orion est celle d’une force de “pure et totale destruction” ! “La Nef de gloire”, une des meilleures histoires des NÉO-DIEUX, est le récit magnifiquement construit d’un affrontement entre dieux.

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L’histoire débute en réalité dans l’épisode précédent “Progéniture”. Elle commence de façon plutôt anecdotique, avec un confit dans lequel des agents humains, au service à la fois du bien et du mal, jouent des rôles importants. Comme souvent dans l’écriture de Jack, il y a plusieurs fils narratifs dans le récit. Un d’entre eux concerne des mortels qui, sans l’avoir cherché, se retrouvent au beau milieu d’un affrontement entre dieux. Il se dégage une grande beauté, une force évocatrice, de l’histoire de Richard Sheridan, de son confit avec son père (un écho des autres affrontements père/fils dans LE QUATRIÈME MONDE), de sa mort et de effet désastreux qu’elle a sur son géniteur. KIRBY était un maître de la narration en bande dessinée. La grâce accordée au final par Lightray à Richard est un salut qui n’atténue pas le côté tragique de son sort, mais révèle néanmoins la force rédemptrice du bien en tant qu’antidote au mal. Pour accompagner l’image, “La Nef de gloire” s’achève sur une des plus belles conclusions apocalyptiques de KIRBY où l’écriture abstraite (“Et le doute m’accompagnera… le reste de ma vie”) évoque un sombre fatalisme nordique qui semble tout droit sorti d’une analyse filmique d’Ingmar BERGMAN ! Jack n’écrivait pas des dialogues comme on les apprend dans les cours d’écriture créative. Il puisait dans le symbolisme et la concision de la poésie. Et avec cette réplique, il met en lumière la tragédie d’un père en confit avec son fils à cause de sa propre vision étriquée du monde, et qui fnit par mieux comprendre la vraie nature du courage que son enfant personnifiait. Les bandes dessinées des années 1970 ne regorgeaient pas d’histoires de ce type. Je ne suis pas certain qu’on en rencontre davantage aujourd’hui. Et si c’est le cas, c’est en partie parce que nous subissons tous influence de Jack. C’est, entre autres, par la profusion de ses idées que LE QUATRIÈME MONDE se distinguait des autres bandes dessinées grand public de l’époque et qu’elle parvient encore à nous émouvoir aujourd’hui. KIRBY n’a jamais achevé LE QUATRIÈME MONDE, et je l’ai toujours regretté. Mais c’est peut-être cette incomplétude qui a inspiré ceux qui adoraient cette œuvre. Avec une fin définitive, l’histoire aurait été terminée. Et comme le récit n’est jamais arrivé à son terme, la grande guerre entre Néo-Genesis et Apokolips ne prendra jamais fn, ses adversaires bloqués à jamais dans un affrontement mortel. Même si j’adore le travail de Jack sur Thor et bien d’autres comics, il était tout de même limité par les conventions de la bande dessinée, des conventions dont il avait lui-même participé à l’élaboration au cours de sa longue et brillante carrière. Mais pendant la période où les séries du QUATRIÈME MONDE ont été publiées en parallèle, les quatre titres ont tenté de briser ces contraintes, et ils restent mes œuvres préférées de KIRBY. J’aime la puissance et la vigueur des idées de Jack qui explosent au-delà des limites du format ordinaire du comic book, qui était la norme depuis les débuts de la bande dessinée américaine. J’aime aussi le mélange des idées abordant un contexte mythologique, proche de mes goûts et de mes intérêts. Et je me délecte également du travail effectué par un des meilleurs créateurs que la bande dessinée ait connus, balançant des rafales d’idées démentes dans tous les sens ! Comme le prétendait une des meilleures accroches jamais rédigées sur une couverture : “Faites confiance à KIRBY : ne vous posez pas de questions ! Achetez-le !”

 

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Découvrir le quatrième monde

La guerre fait rage entre Apokolips et Néo Genesis ! Les agents de Darkseid multiplient les clonages illicites ! Les Immortels se retrouvent prisonniers d’un parc d’attraction démoniaque ! Orion et Lightray mène la bataille jusqu’en mer face à des créatures mythologiques ! Et Mister Miracle reçoit l’aide de la scuplturale Big Barda !

 

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