Voilà ce que vous pourriez prochainement lire dans les quotidiens comme …The word

La ferme.
•  British Telecom vient d’annoncer qu’une puce électronique  est désormais capable d’enregistrer la mémoire d’une vie, du  berceau à la tombe, la moindre image captée par nos yeux,  tout ça dans l’éclat crépitant d’un petit morceau de métal.

•  Un comité d’exploration spatiale vient tout juste de présenter  un plan complet visant à envoyer les êtres humains sur Mars  d’ici 2005, le tout pour seulement un dixième du budget insensé originellement calculé par la NASA. Après avoir réexaminé  attentivement les propositions faites par le comité, l’agence  gouvernementale est arrivée à la conclusion que ces dernières  étaient bien meilleures que celles qu’elle avait envisagées  jusqu’alors.

• Échec lamentable d’une organisation criminelle  visant à fermer un centre médical expérimental, faute de  ne pouvoir établir l’imposture de leur doctrine : ces cancers  « incurables » peuvent et ont atteint le stade de rémission grâce  à des techniques non-invasives et n’entraînant aucun effets  secondaires. • Il existe aujourd’hui sur le marché un instrument  portatif appelé « communicateur » : c’est un téléphone  satellite, mais aussi un fax, capable d’envoyer et recevoir des  messages ainsi que des mails et offrant un navigateur universel.  On ne peut pas encore se clipper au col de la veste, mais ce  n’est qu’une question de temps.

• Le clonage est aujourd’hui  possible, et l’énergie investie dans la cartographie du génome  humain démontre que le procédé est en très bonne voie.  On peut déjà écrire nos noms sur des atomes. Maintenant, dites-moi : qui de nos jours n’aimerait pas écrire  de la science-fiction ?

Retrouvez l’oeuvre de Warren Ellis et Darick Roberston en librairie : Transmetropolitan

Gamin, j’en lisais beaucoup – il faut dire que je lisais à peu près  tout ce qui me tombait sous la main – mais en grandissant  j’ai perdu tout intérêt pour ce genre. Je ne m’y suis réellement  remis qu’après avoir terminé TRANSMETROPOLITAN. J’ai  suivi les premiers trucs cyberpunk qui sont sortis. Ils collaient  parfaitement avec la génération de l’époque : beaucoup de  lumière, beaucoup de bruit et d’horreur, très peu de vraie chaleur.  Alors que les années 1980 étaient déjà en perte de vitesse, le  mouvement cyberpunk lui emboîtait le pas, entraînant tous  ses ambassadeurs dans sa chute. Tous retournèrent hurler  leurs revendications dans l’intimité de leurs petites chambres.  Moi y compris. Je me suis donc lancé dans mon propre projet
d’inspiration cyberpunk, la série Lazarus Churchyard (le comics  s’éveille toujours en dernier. C’est un peu comme vivre dans  un pays où les radios passent encore du Abba et les Doobie  Brothers). Une fois que l’angle cyberpunk fut exploité à travers  toute une série de mes propres références et préférences,  la meilleure partie du récit naquit lorsqu’il prit le virage du  traitement SF, que j’appelle le mouvement « Décadent ». Dans  les années 1980, nous aimions notre misère. Et qui pouvait  nous en blâmer ?

Je me suis donc remis à lire de la SF l’année dernière (1996),  par curiosité, et pour savoir si, avec le temps, le genre avait  évolué. Jusque-là, la seule SF que j’avais lu était celle des  auteurs qui me semblaient les plus incontournables, tous  genres confondus – J.G. BALLARD, Philip K. DICK et autres –  et plus spécifquement Alfred BESTER et le monstrueusement  talentueux Iain BANKS, qui s’égare d’un genre à l’autre,  traversant impunément les frontières comme si elles  n’existaient pas.

Cette nouvelle immersion fut décevante. Quelque chose  ne passait pas. Pour chaque Idoru – et remercions le Ciel  que William Gibson ait dépassé son trip Neuromancien en  réalisant que l’important, c’était le paysage culturel, pas les  jouets pour garçons – il y a une brouette d’étrons de style

Nouveau Space Opera qui ne diffèrent des affreux vieux Fulgur  que par la qualité de l’arrière-plan scientifique et la prose aussi  clinquante et stérile qu’un meuble en formica. L’intelligence  brillante et l’extrapolation sociopolitique de haute volée  de Kim Stanley Robinson, dans son excellente trilogie martienne,  n’arrive pourtant pas à échapper à un brouillard de dystopie  comptable et de délire cosmique final au format de poche.  Ils ratent quelque chose qui est pourtant consubstantiel à notre époque. Le futur est déjà là. Nous y vivons. Nous avons seulement  arrêté de le remarquer. Nous nous tenons debout, dos à la Fin  de l’Histoire, où tout arrive simultanément et où le temps ne  veut plus rien dire. En un sens, TRANSMETROPOLITAN se  passe demain. Personne ne sait en quelle année nous sommes,  et tout le monde s’en fout. Ça n’a plus aucune importance.

Ce qui compte, c’est ce qui est ici et maintenant. Est-ce que  ça vous semble foutu ? Les années 1990 sont une décennie  fracturée, et TRANSMET est un récit des années 1990. Ce  que nous constatons, dans toutes les formes de culture  populaire, c’est que l’on a désormais atteint une nouvelle étape  de l’Histoire. Nous sommes à un instant charnière, à la fin  de l’Histoire, où l’on peut se retourner et l’observer avec bon sens. Nous sommes aujourd’hui à bonne distance d’un certain  nombre d’événements effroyables. Nous pouvons de fait les  regarder avec clarté. Voilà l’unique force des années 1990.  Je ne suis pas en train de demander à ce que TRANSMET soit  considéré comme de la Haute Science-Fiction, mais en (étroite)  conformité avec la pensée de J .G. BALLARD – pour qui la  seule planète peuplée d’Aliens est la Terre -, il me semble que  le seul futur qui mérite d’être exploré est celui dans lequel  nous vivons. Et de bien des façons, TRANSMET est pour moi  un outil via lequel je peux exposer notre monde et mener  une autopsie humoristique sur l’organe vital de notre futur.

Texte de Warren Ellis initialement  publié dans TRANSMETROPOLITAN #3.
(novembre 1997)

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