Tu as déjà entendu parler de THE LOSERS ? »
Je vais être honnête : à l’époque, non. C’était en 2002 et j’étais encore le petit nouveau chez Vertigo. Le rédacteur Will Dennis m’avait proposé mon premier travail de comics américain, à savoir le script de quatre numéros de LADY CONSTANTINE, une mini-série issue du SANDMAN de Neil Gaiman, et j’essayais de trouver quoi faire ensuite. Je voulais écrire une histoire de crime avec une bonne dose de piquant, mais je n’avais pas encore assez de poids professionnel pour proposer une création originale à vertigo. alors, j’ai pensé à dépoussiérer un ancien personnage oublié de dc comics, en le modernisant au goût du 21e siècle, comme l’avaient magistralement fait Brian Azzarello et Eduardo Risso avec JONNY DOUBLE. La question était de savoir quel personnage…

J’ai farfouillé ma collection de comics et passé les encyclopédies en ligne au peigne fin, mais je ne trouvais rien… jusqu’à ce que Will Dennis m’appelle un de ces soirs et me demande : « Tu as déjà entendu parler de THE LOSERS ? »

J’ai avoué que non, mais c’était un sacré titre. J’ai tout de suite su que je pouvais faire quelque chose avec un titre pareil. alors, j’ai commencé mes recherches. Il s’est avéré que les losers originaux étaient une section hétéroclite de héros malchanceux, créée par Robert Kanigher dans les pages des divers comics de la seconde Guerre mondiale datant des années 60 et 70. Ayant moi-même quasiment appris à lire avec les comics de guerre anglais comme Battle¸Warlord et Commando Picture Library, j’ai adoré l’idée de moderniser le titre. Il n’y avait qu’un problème : les losers étaient morts. d’après la continuité de dc comics, ils avaient été tués à la fin de la guerre en détruisant une base de missiles allemande. J’aurais pu écrire une histoire se passant avant leur mort, mais où serait l’exaltation ? Et c’est là que l’idée m’a traversé : Et s’ils n’étaient pas vraiment morts ? Et s’ils avaient simplement disparu, présumés morts au combat, mais que leurs corps n’avaient jamais été retrouvés ? Et si cette section hétéroclite d’ex-soldats furieux revenait dans les années 50 pour une dernière mission…?

Presque aussitôt, le prototype d’une histoire de crime poignante et originale s’est téléchargé dans mon cerveau, pleine d’or nazi disparu de concepteurs de fusées allemands à Los Alamos et de types en costard s’appelant « Daddio » entre eux. C’était parfait. Le pitch n’a jamais vu le jour. Voyez-vous, Vertigo avait déjà couvert ce terrain avec l’excellent WAR STORIES de Garth Ennis et AMERICAN CENTURY de Howard Chaykin et David Tischman, une série sur le crime dans les années 50. visiblement, il n’y avait pas de place chez vertigo pour les losers originaux.
Alors, je me suis contenté du titre et j’ai balancé le reste. À ce jour, je n’ai toujours pas lu un seul numéro des LOSERS originaux. J’ai seulement fauché le titre de dc et j’en ai tiré quelque chose d’entièrement nouveau. De nouveaux personnages, de nouveaux lieux, une nouvelle histoire. La seule chose qui ait survécu à mon concept « années 50 », c’était l’idée d’ex-soldats furieux, présumés morts au combat, qui refaisaient équipe après la guerre pour monter un coup.
Et pour tout vous dire, j’ai inclus deux références à l’équipe de Robert Kanigher. Nous avions tous les deux un personnage appelé « clay ». Peut-être mon Frank Clay était-il le petit-fils du sergent Clay ? Et les LOSERS  avaient un chien appelé Pooch, qui est devenu le nom de code de Linwood Porteous, le spécialiste du transport de mon équipe. Alors, j’ai présenté ma nouvelle version contemporaine de THE LOSERS , un coup militaire en quatre numéros qui s’inspiraient plus de Three Kings et The Way of the Gun que des anciens comics de guerre. et vertigo l’a aimé, assez pour me demander d’en faire une série régulière. Du coup, cela entraînait un de ces bons problèmes, mais un problème tout de même. le truc avec les coups, c’est qu’ils ont une fin. les personnages plannifient leur coup, se lancent et réussissent ou non. et ça s’arrête là. comment continuer une histoire pareille indéfiniment ? Il me fallait une série régulière de coups. Il me fallait un fil rouge pour les relier. il me fallait un méchant.

On était en 2002, quand l’Amérique ne s’était pas encore remise du 11 septembre, George W. Bush était au sommet de sa popularité (du moins sur son territoire). Les neo-conservateurs tenaient les rênes du pouvoir, et ils utilisaient déjà la pire atrocité terroriste de l’Histoire américaine comme prétexte pour poursuivre leur plan connu de tous : le changement de régime en irak. Le message de Washington était : « si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous. »

Il était antipatriote de mettre en doute les actes des dirigeants, même s’ils faisaient fi de la constitution qui protégeait les libertés mêmes qu’ils avaient juré de protéger. Je n’ai jamais aimé qu’on me dise quoi faire, ou quoi penser, et ce n’est qu’une des très nombreuses raisons pour lesquelles j’aurais été un mauvais soldat. mais j’ai beaucoup de respect pour les militaires. Imaginez ce qu’ils ont dû ressentir, eux qui devaient donner leur vie pour un mensonge ? C’est là que j’ai trouvé le thème de ma nouvelle version de THE LOSERS : parfois, être patriote, c’est refuser de suivre les ordres. Et c’est ainsi que j’ai créé Max, le néoconservateur ultime : la rencontre entre Rumsfeld et Blofeld. C’est le type qui a essayé de rayer les LOSERS  de la carte, alors qu’ils étaient en train de se battre pour leur pays et pour sauver des innocents.

Dans ma série de coups, les LOSERS  allaient se battre pour rayer leurs noms de la liste noire secrète de la C.I.A. de Max. S’ils voulaient retrouver leur vie, ils devraient les voler. Ce n’était plus un coup sans but, ils avaient un objectif. Je voulais essayer de marier le rythme entraînant des fils d’action hollywoodiens et la perspicacité paranoïaque et la critique sociale des thrillers de conspiration politique des années 70. Viser haut, rater haut, c’est ma devise. Mais surtout, THE LOSERS  était une lettre d’amour à Shane Black, le scénariste de L’Arme Fatale, Le Dernier Samaritain, Au revoir à jamais¸ et plus récemment, Kiss Kiss Bang Bang, sans oublier le farceur à lunettes de l’équipe d’Arnie qui a été le premier à être éviscéré par le Predator.

Avec John Wagner et James Cameron, il est une des raisons qui m’ont poussé à devenir scénariste, et à écrire des histoires qui bougent, même sur une page imprimée. Je voulais écrire une bande dessinée pour les gens qui n’en lisent pas, mais qui adorent un bon film d’action. Une Bd qu’on peut mettre entre les mains de M. tout le monde (le genre qui ne sait même pas que les magasins de comics existent, et qui entrerait encore moins dedans), et qui prendrait son pied avec !

Je vous laisse seuls juges pour déterminer si nous avons réussi. En y repensant, j’ai vraiment eu de la chance. J’étais au bon endroit au bon moment. J’ai eu la chance que Will Dennis ait le courage (ou la bêtise) de tenter le coup avec deux créateurs britanniques inconnus. Mais surtout, j’ai eu la chance de travailler avec Jock. Rien de tout cela ne serait arrivé sans lui. J’ai rencontré Jock quand j’étais rédacteur chez 2000 AD, et nous travaillions ensemble sur ma première bande dessinée publiée, une histoire de crime scientifique appelé LENNY ZERO. On s’est trouvés, dès le départ. Il savait instinctivement comment rendre les images dans ma tête et dans mes scénarios, comment les faire surgir du papier. son talent pour la conception des pages n’a pas d’égal. Jock est celui qui donne vie aux losers, plus que tous les autres. Il leur donne une signature visuelle distincte qui les rend  est celui qui donne vie aux LOSERS , plus que tous les autres. Il leur donne une signature visuelle distincte qui les rend immédiatement reconnaissables : de la bedaine de Pooch au chapeau de Cougar en passant par le fil en spirale qui sort toujours de l’oreille de Jensen.

Et bordel, il réussit à faire bouger ces images, comme elles le faisaient dans ma tête.

Et maintenant, nous sommes des années plus tard, dans cette  curieuse période de transition entre le statut historique de THE LOSERS (la série s’est terminée en 2006), et son renouveau grâce à l’adaptation cinématographique qui lui fait accéder à un public plus large que nous aurions pu l’imaginer. L’expérience a été étrange de voir notre bébé passer dans la machine hollywoodienne. Jock et moi avons visité le plateau du film The LOSERS à Puerto Rico pendant les derniers jours de tournage, et c’était surréaliste de voir ces personnages que nous avions imaginés marcher, parler et faire exploser des trucs. Ils ressemblaient exactement aux dessins de Jock, ils sortaient les répliques que j’avais écrites, ils exécutaient les coups que j’avais méticuleusement planifiés devant mon ordinateur dans ma chambre d’amis, il y a tant d’années. Bien sûr, nos losers fumaient, juraient et se battaient contre des grandes puissances un peu plus fort que ces types dans le film.

Mais bon, c’est pour ça que j’adore les comics.

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