Je me souviens d’une randonnée avec mon ami Peter, dans les hauteurs d’Hollywood. Je lui parlais d’une histoire que je voulais dessiner. J’avais déjà le titre : Punk Rock Jesus. Il m’a conseillé d’attendre. C’était en 2003, j’avais seulement 23 ans et il pensait que Punk Rock était trop ambitieux pour un premier récit. Il m’a plutôt suggéré de prendre comme point de départ cette aventure que j’avais eue à bord d’une jeep jaune. Off Road était une base beaucoup plus simple à développer, avec une intrigue plus abordable. Et le travail serait d’autant plus facile que tous les personnages m’étaient déjà connus puisqu’il s’agissait de mes anciens amis de lycée. Finalement, je décidai de remettre Punk Rock Jesus à plus tard. Une décision dont je me félicite encore aujourd’hui.

Peter n’était pas juste un ami, il était également scénariste pour le cinéma et il a été assez bienveillant pour m’apprendre les bases de l’écriture. En parcourant sa bibliothèque, j’ai pu me forger ma propre culture et apprendre à bâtir une intrigue, créer des personnages cohérents, développer une structure narrative en 3 actes, et étudier tous les secrets éprouvés par les gens du métier. Non seulement, il passait du temps à m’expliquer toutes ces choses, mais en plus il me prêtait les grands classiques de sa collection, chacun illustrant un type de narration : Casablanca, Chinatown, Singing in the Rain, etc. Il m’a tellement bien formé que je ne pouvais m’empêcher d’être déçu lorsque je discutais avec des auteurs de comics professionnels qui n’avaient visiblement jamais maîtrisé ces bases théoriques. C’est cette prise de conscience qui m’a donné la confiance nécessaire pour achever Off Road et le présenter à un éditeur.

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Off Road

Je ne me suis jamais considéré comme un véritable écrivain, je me disais simplement que je pouvais être meilleur que la majorité des scénaristes de comics. Et, parce que cette préface est destinée à un lectorat français, moins accro aux super-héros que la plupart des Américains, je ne risque pas grand chose à vous avouer ce qui suit : il n’y a rien de bien difficile à écrire mieux que ce que propose aujourd’hui l’industrie du comics grand public, entre autre parce que ces histoires ont dans leur casting des personnages qui portent leur slip par dessus leur pantalon. En toute honnêteté, je ne me considère pas comme un écrivain. Je suis juste un auteur qui arrive à assembler les éléments de ses histoires et qui utilise le dessin pour masquer les imperfections. Pour moi, ces livres sont surtout des messages envoyés aux dessinateurs pour les convaincre qu’ils ne doivent pas redouter d’écrire leurs propres histoires. Ils ne seront peut-être pas les prochains Mike MIGNOLA, Frank MILLER ou Art SPIEGELMAN, mais il n’y a aucune raison pour laquelle ils ne pourraient pas connaître un peu de succès et payer leurs factures.

Bien entendu, l’idéal, c’est aussi de faire rentrer dans l’équation quelques travaux de commande mainstream de temps à autre. J’ai gagné seulement 3 500 $ avec Off Road, en 2004. Ce n’est vraiment pas grand chose, surtout quand on sait que j’ai mis plus d’un an et demi pour le terminer. À la moitié du parcours, j’ai fini par accepter de travailler sur un ou deux projets DC pour payer le loyer. Un de mes amis dessinateurs, qui avait passé son tour sur le titre BATMAN/SCARECROW: YEAR ONE, avait suggéré à DC de jeter un oeil à mes travaux et de me donner ma chance. Et c’est ce qu’ils firent. Je me rappelle avoir travaillé six jours par semaine pendant quatre mois complets pour tout rendre dans les temps. J’avais même annulé Noël dans la foulée. À cette époque, je me disais qu’Off Road allait être oublié et que Batman serait la série pour laquelle je serai connu. J’avais tort. Mon passage sur Batman est quasiment passé inaperçu. Je n’ai pas reçu d’autres ofres de collaborations de DC jusqu’à Joe l’Aventure Intérieure, cinq ans plus tard. À cette époque, personne ne m’identifiait comme l’un des dessinateurs de Batman.

 

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Trent, personnage principal de Off Road

 

Ils avaient entendu parlé de moi grâce à Off Road, ce qui m’avait vraiment surpris. Mais en y repensant, je pense comprendre pourquoi. Batman est une super série à dessiner, mais ce n’est sans doute pas la meilleure façon de faire connaître votre travail. Batman reste le plus important, quelque soit son dessinateur (à moins qu’il soit vraiment exceptionnel ou très connu). Fort de cette expérience, je me suis orienté vers la création au détriment des personnages appartenant à leurs éditeurs. Ou bien, lorsque c’était le cas, je participais à des séries qui passaient un peu sous le radar. HELLBLAZER, une commande pour DC qui date de 2008, est un parfait exemple.

Dans la période entre Off Road et Joe l’Aventure Intérieure, n’être que le gars connu pour Off Road était quelque chose qui me pesait réellement. J’avais fait BATMAN/SCARECROW : Year One, des couvertures pour IDW, une histoire de Star Trek, créé une série chez Dark Horse appelée Outer Orbit, et une histoire des Teen Titans qui ne sera publiée qu’en 2010.

Mais peu importe le mal que je me donnais, je restais associé à Off Road… Ce roman graphique en noir et blanc qui ne s’était pas vraiment fait remarqué à sa sortie. Avec le temps, j’ai réussi à dépasser ce sentiment parce que je réalisais qu’Off Road était devenu un livre culte pour toute une partie du lectorat américain. J’ai signé un nombre incalculable d’exemplaires abîmés, jaunis, prêtés, lus et relus, que mes lecteurs sortaient de leurs sac-à-dos d’étudiant (en art pour la plupart). Je devais finir par l’accepter parce que mes lecteurs l’avaient eux aussi adopté, avec ses défauts et ses qualités. Et le voici publié en français afin que vous puissiez découvrir mon premier récit, avec ses défauts et ses qualités. Si vous vous attendez à un autre Punk Rock Jesus, vous serez déçus. Voyez plutôt
Off Road comme un récit sur lequel je me suis défoncé et qui m’a amené, des années plus tard, à réaliser Punk Rock Jesus.

Sean Gordon Murphy
Brooklyn, juin 2013

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Découvrir Off Road

Trent vient de se faire plaquer par sa copine, Brad est un brave gars, dont le père lui mène la vie dure et Greg ne sait pas quoi faire de sa vie malgré sa fortune familiale… En excursion sur la route, ils se confrontent aux caprices de la malchance et de mère nature. Leur Jeep les lâche, et les voilà pris dans un piège infernal…

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