Il y a des gens qui écrivent le jour ; d’autres qui écrivent le matin, et je ne les comprendrai jamais. Certains jours, je loupe  complètement la matinée ; les autres jours, en général, je suis hors d’état de faire quoi que ce soit ; je regarde mon courrier en battant des paupières, je traîne comme un fantôme, en me préparant graduellement à faire quelque chose dans l’après-midi, et je commence vraiment à écrire vers minuit. la plupart du temps. Parfois, j’écris dans la journée, mais d’ordinaire, seulement quand tout se passe vraiment bien. C’est drôle. Les gens croient que je prépare les choses longtemps à l’avance et par certains côtés, c’est vrai ; et pour être franc, ceci est la plus vieille idée pour Sandman que je n’aie pas encore utilisée : j’ai composé cette histoire à peu près au moment où j’écrivais Sandman n°4, ce devait être vers mai 1988. J’ai passé un coup de fil à Rick Veitch et je lui ai raconté l’intrigue, et il m’a répondu que je ne pouvais pas faire ça, qu’il avait l’intention d’écrire un scénario intitulé King Hell, où Lucifer allait également démissionner dans l’histoire de Rick, c’était pour aller semer le chaos et répandre le mal dans le monde. alors j’ai poussé un soupir, et j’ai dit, d’accord, je vais complètement oublier mon histoire.

sandman

Mais voilà que, pour diverses raisons, King Hell a fini par ne jamais se matérialiser, et je me suis dit : ma foi, au moins, je récupère mon histoire, « Lucifer démissionne », et ce n’était plus dès lors qu’une question de temps je me sens en fait curieusement mal à l’aise, quand me vient une de ces idées qui se présentent toutes faites et qui s’installent au fond de votre crâne, en chuchotant dans le noir.

Le Sandman n°8 était l’une d’elles, je savais depuis le début qu’il rencontrerait la mort dans un parc et qu’ils se baladeraient ensemble dans New York jusqu’à ce qu’il se sente réconforté ; je savais qu’il y aurait la convention de tueurs en série à peu près un an d’y arriver ; et cette pauvre Rainy Blackwell, avec ses visages qui tombaient, attendait, triste et solitaire dans son petit appartement, une bonne année avant que je la couche enfin sur papier dans Sandman 20. Mais cette histoire-ci a eu la plus longue période de gestation de toutes, ce qui, d’un côté, est bien mais, de l’autre, mauvais il faut que je recrée pour moi la joie pure que j’ai ressentie en m’apercevant que Lucifer pouvait tout simplement se lasser de l’enfer, d’être l’adversaire, de toutes ces conneries. Qu’un jour, il laisserait tout tomber et partirait faire autre chose. Rien que ma sensation de surprise devant cette idée. D’un point de vue théologique, toute l’idée de ce scénario est tirée d’une citation de me semble-t-il  Teilhard de Chardin.

sandman tome 2

Attendez une minute, je vais aller chercher un dictionnaire de citations pour voir si je la retrouve. Non. et elle ne figure dans aucun des livres que j’ai. De mémoire, la citation dit : « je crois qu’il existe un enfer, parce que l’église nous enseigne qu’il existe un enfer. Je ne suis pas obligé de croire qu’il y a quelqu’un là-bas. »

Plus d'articles