Batman La Légende est exceptionnel à plusieurs égards. Il rassemble des épisodes de The Brave & the Bold, publication de DC Comics depuis toujours légendaire aux États-Unis mais malheureusement méconnue en France jusqu’à la fin du 20e siècle.

À ses débuts, The Brave & the Bold était une « anthologie » qui présentait dans chaque numéro une histoire complète mettant en scène un héros du passé : ainsi, le Prince viking de Joe KUBERT figurait au sommaire de son n°1, en 1955. Dès le 25e fascicule, le titre accueille  l’aventure “pilote” de nouveaux personnages, afin de tester les réactions du public avant de les lancer dans leur propre magazine. C’est dans ces pages qu’apparaissent le Hawkman de Joe KUBERT, la Ligue de Justice, les Jeunes Titans et Metamorpho, l’homme-élément – ce dernier, sous la plume du scénariste en titre de la série, Bob HANEY.

En 1965, devant le succès du Batman télévisé, B&B devient à partir de son 59e fascicule, une suite d’aventures alliant Batman à un autre personnage de l’univers DC. Du n°79 au n°85 (1968-1969), il fait découvrir au public plusieurs exemples marquants de la grande réinvention visuelle de Batman par le jeune dessinateur prodige de l’époque, Neal ADAMS. Deux ans plus tard, dans le n°98, Batman est associé au Phantom Stranger. Cette fois-ci, la mise en images est assurée par Jim APARO, qui dessine déjà le personnage invité dans son propre magazine. Le succès est immédiat. APARO devient le dessinateur-vedette de B&B dès le n°100 et il le restera pendant 10 ans, jusqu’au n° 200, assurant non seulement les crayons mais aussi l’encrage et le lettrage de ses propres dessins. APARO a longtemps dessiné The Phantom, légendaire personnage de Lee FALK, pour la compagnie Charlton, et accompagnera le héros de DC sous différents titres – Batman, Detective comicsBatman and the outsiDers – pendant presque tout le reste de sa carrière.

Moins connu que celui d’ADAMS, son trait n’est cependant pas moins maîtrisé et tout aussi personnel et reconnaissable. Son style s’adapte à tous les personnages qu’il met en scène aux côtés du justicier masqué. Il est également capable de leur donner une dimension réaliste, très humaine.

Il faut dire que B&B nécessite une grande souplesse de la part de son dessinateur : les aventures épiques habituelles aux comic-books alternent avec des problématiques plus contemporaines (la jeunesse en révolte, les minorités opprimées), voire la tragédie (un extraordinaire épisode dans lequel DeadMan tombe amoureux). Aparo dessine aussi bien les personnages de chair et de sang (Wildcat, Black canary, le Sergent Rock) que des figures polymorphes – et parfois comiques – que sont Metamorpho et les Metal Men.

Et ses gangsters ont la gueule de l’emploi, celle des films et des romans noirs. 

L’économie de moyens avec laquelle il sait représenter deux plans dans la même scène, ses perspectives acrobatiques et son sens de l’ellipse sont impressionnants. Tout cela au service d’un scénariste inspiré : les récits de Bob HANEY ne sont pas de simples histoires de circonstance.
De manière quasi-systématique, Batman s’efface généreusement derrière son partenaire. Plutôt qu’un super héros, il y assume le rôle de « plus grand détective depuis Sherlock Holmes ». Il y enquête au péril de sa vie et, le plus souvent, c’est lui qui se retrouve sur le fil du danger, et son compagnon qui lui sauve la mise. Avec ce Batman atypique, ré-humanisé (dans l’un des épisodes, il est coincé dans un fauteuil roulant ; dans un autre, il est dans le coma !), HANEY et APARO nous parlent de l’Amérique des années 70.

Le lecteur français aujourd’hui sera surpris de voir B&B critiquer l’attitude des pouvoirs publics envers la jeunesse et le militarisme des États-Unis ; se dresser contre la destruction des ressources naturelles par les multinationales et prendre position en faveur des Indiens américains, tout en jonglant avec les contes fantastiques, la science-fiction, l’espionnage, le récit d’action et une stupéfiante histoire dans laquelle Batman est, ni plus, ni moins, un zombie ! Et par-dessus le marché, les deux compères se paient le luxe d’anticiper de près de quinze ans la prise d’otage de gratte ciel rendue fameuse par Piège de Cristal ! On le comprendra, ce recueil ne montre pas seulement la diversité et l’élégance du travail de Jim APARO, il rappelle que ce grand artiste, disparu en 2005 après quarante ans de carrière, servait solidement les scripts roués d’un scénariste tout aussi talentueux. Au fond, the Brave & the BolD – le Brave et l’Audacieux – se nommaient APARO et HANEY. Quarante ans après les avoir découverts, c’est aujourd’hui un honneur et un bonheur pour moi de vous les présenter.

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